Mon Pierre, ce héros...
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Mon Pierre, ce héros...
Libération, 20 novembre 1997
Antoine de Gaudemar
Retranscription de Monique Hudlot
Assassiné à 35 ans en pleine rue à Paris en septembre 1979, Pierre Goldman a longtemps incarné un certain gauchisme des années 60 : idéaliste, irréductible, désespéré. Son enterrement a d'ailleurs été vécu par la foule qui s'y pressa comme celui d'une époque, tant l'itinéraire de Pierre Goldman fut emblématique. Fils de juifs polonais résistants né à Lyon en 1944, chef du service d'ordre antifasciste de l'Union des étudiants communistes au début des années 60, déserteur de l'armée française parti rejoindre la guérilla vénézuélienne après mai 68, braqueur à son retour d'Amérique latine par refus de l'ordre bourgeois, arrêté et condamné à perpétuité pour le meurtre de deux pharmaciennes avant d'être innocenté en cassation, musicien, auteur d'un livre extraordinaire ("Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France" (1) ), victime de tueurs non retrouvés à ce jour : tous les ingrédients du mythe sont là, et il n'est pas étonnant que l'essayiste Jean-Paul Dollé, ancien compagnon de Goldman et auteur entre autres du Désir de révolution, ait été tenté de lire, à travers le "cas" Goldman, le destin d'une génération.
Conçu comme un traité à l'usage des jeunes générations, "L'Insoumis" est construit en deux parties. Dans la première, Jean-Paul Dollé fait revivre le Paris étudiant des années 60, la guerre d'Algérie, la Sorbonne, l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, les étudiants communistes avant la scission gauchiste, la guerre du Viêt-nam, les manifestations contre l'extrême droite, la fièvre politique, les principales figures du mouvement, connues ou retournées à l'anonymat : dans ce forum agité et permanent, Pierre Goldman est comme un homme qui passe, présent et absent, révolutionnaire mais pas militant, radical et sans illusion, philosophe mais refusant la "comédie intellectuelle", solidaire et solitaire, éthiquement rebelle mais tenté par la vie facile, charismatique mais fuyant toute forme de pouvoir. Ce Goldman-là, Jean-Paul Dollé en fait un portrait sensible et retenu, justement parce qu'à ce moment-là il n'est, malgré tout, qu'un parmi d'autres, aussi singulier et secret soit-il.
D'où vient alors que cette justesse de ton disparaît dans la deuxième partie, beaucoup plus délicate il est vrai, puisqu'elle est tout entière consacrée à "l'affaire Goldman", les braquages, l'accusation de meurtre, la prison, les procès, la mort ? L'auteur y abandonne le portrait d'une époque pour une tentative biographique malaisée, allusive (parfois même inexacte, selon Christiane Goldman, la veuve de Pierre), surinterprétative. Là où il aurait dû être d'une grande rigueur, ne serait-ce qu'en raison de la gravité même des événements, l'auteur a du mal : en ce sens, la biographie de Pierre Goldman reste à écrire.
(1) Seuil, 1975. Réédition Points-Actuel, 1977.
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