Le retour au naturel
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Le retour au naturel
Guitarist Magazine n°96, novembre 1997
Carlos Sancho
Retranscription d'Olivier Ambrosi
"Quand la guitare est bonne"
On l'avait déjà entendu en version unplugged à diverses occasions mais il franchit le pas avec son nouvel album. Résolument acoustique, Jean-Jacques Goldman s'y révèle plus guitariste que jamais. Un événement discographique et une interview rare.
Carlos Sancho : Tu as confié un jour: "un artiste a tout dit au bout de trois ou quatre albums studio !" Or, le trio F/G/J n'en a commercialisé que deux. Un trio s'essoufflerait-il plus vite ?
Jean-Jacques Goldman : Pas du tout. Nous n'avons peut-être pas tout dit. Carole comme Michael avaient besoin de se consacrer à leurs albums respectifs et la solution d'un disque solo s'est imposée parce que les chansons que je composais n'étaient plus des duos ou des trios, mais des titres pour une seule voix.
Carlos Sancho : Leur absence s'est-elle fait ressentir en studio ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai déjà enregistré des albums sans eux, j'ai repris mes marques assez facilement. Les émotions se sont davantage manifestées lorsqu'ils sont venus m'apporter leur soutient par leur collaboration: l'une aux choeurs, l'autre à la guitare sur un titre. Cela m'a rappelé à quel point nous prenions du bon temps ensemble !
Carlos Sancho : "En passant", ton nouvel opus, marque un retour aux ballades acoustiques, qui rappelle étrangement la quatrième face de ton dernier disque solo, "Entre gris clair et gris foncé". Souhaitais-tu reprendre ta carrière là où tu l'avais laissée ?
Jean-Jacques Goldman : Les albums Fredericks/Goldman/Jones étaient mieux produits, et non surproduits. Je souhaitais revenir à une musique moins chargée et plus simple. Avec l'âge, je me sens de moins en moins guitare saturée.
Carlos Sancho : Comment t'est venue l'idée d'enregistrer un album court et à forte consonance acoustique ?
Jean-Jacques Goldman : Pour la durée, ce n'est pas une volonté, mais une permissivité. En réécoutant Aretha Franklin ou les compilations des années 70, j'ai constaté qu'elles sont toujours inégalées et que le format ne dépassait jamais deux/trois minutes. J'en ai conclu que ces artistes mettaient l'essentiel en peu de temps. Nous délayons probablement beaucoup trop en quatre minutes. Je me suis autorisé à arrêter une chanson lorsque je la trouvais suffisante. Maintenant, en ce qui concerne l'acoustique, les premières chansons qui sont arrivées, "Bonne idée" et "Quand tu danses", se sont révélées être des titres acoustiques. Les autres ont suivi dans la même veine, sans que je cherche à orienter la direction musicale. Au final, ça donne un disque plus intimiste.
Carlos Sancho : Tous tes titres ?
Jean-Jacques Goldman : Sauf l'hommage au groupe Status Quo! Je l'ai remplacé par " On ira " qui est vraiment arrivé au dernier moment. Il me fallait une chanson rapide qui soit également une ballade. "On ira" convient tout à fait à ce que je cherchais.
Carlos Sancho : Quel est le rôle exact d'Erick Benzi ? Un employé de la Comatec ou de Bouygues ?
Jean-Jacques Goldman : Comme mes programmations apparaissent très approximatives, il se charge d'abord du nettoyage général. Ensuite, il réenregistre définitivement toutes les batteries et les basses. Mais au-delà, il est déterminant pour certains arrangements comme " Les murailles ".
Carlos Sancho : Pour "Bonne idée", l'intro guitare possède quelques similitudes avec "Aïcha", de Khaled. Ne serait-ce pas déjà un début de manque d'inspiration ?
Jean-Jacques Goldman : Ce n'est pas un début, cela fait très longtemps que je répète que je tourne en rond sur le plan musical. Il existe aussi beaucoup d'autres titres dans cet album qui représentent des réminiscences d'autres choses.
Carlos Sancho : Des similitudes avec Cabrel, peut-être ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne le pense pas, mais probablement. Je ne trouve pas cette galette très différente de ce que je faisais avant...
Carlos Sancho : Le blues demeure une de tes musiques de prédilection. Tu affirmes tes préférences pour Clapton, Steve Ray Vaughan et Johnny Winter; tu lances d'ailleurs un clin d'œil à ce dernier sur "Bonne idée" et "Tout était dit" constitue un blues acoustique très réussi. Peut-on espérer voir un jour un album complet de blues signé Jean-Jacques Goldman ?
Jean-Jacques Goldman : J'adore le blues, mais pas au point d'en composer dix ou douze chansons. Cette musique a été tellement bien faite par d'autres, que je ne vois pas ce que je pourrais y apporter de plus.
Carlos Sancho : L'ambiance mélancolique de ton album était-elle à l'image de ton humeur de l'époque ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas si mon disque semble si mélancolique que ça... probablement puisque " vous " me le dites, mais je n'étais pas dans une telle phase lorsque je l'ai composé. D'ailleurs, les albums du trio ne sont pas non plus très " olé-olé ". Moins intimistes peut-être, mais c'est tout.
Carlos Sancho : Après réflexion, n'as-tu jamais eu envie de conserver un ou deux titres que tu as pour d'autres ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Je me suis posé la question pour "En passant". Je me suis demandé si Céline ne la chanterait pas mieux que moi. Finalement, je l'ai conservée pour moi.
Carlos Sancho : Tu n'as jamais eu envie d'interpréter tous les succès que tu as composé pour les autres dans un " Best of " ?
Jean-Jacques Goldman : Ce pourrait être une idée, mais je n'y ai pas pensé. A priori, sans aucune fausse modestie, tous ceux pour lesquels j'ai travaillé sont d'excellents interprètes. Je ne suis pas certain que les chansons gagneraient à être chantées par moi...
Carlos Sancho : Est-ce l'humilité ou la timidité qui parle ?
Jean-Jacques Goldman : La lucidité! Quand Johnny chante " L'envie ", tu peux toujours t'accrocher pour faire mieux, idem avec " Pour que tu m'aimes encore " de Céline Dion.
Carlos Sancho : Tu n'es pas un mauvais chanteur non plus!
Jean-Jacques Goldman : Je ne le prétends pas. Toutefois, je ne suis pas meilleur qu'eux non plus.
Carlos Sancho : Tu n'as jamais prétendu être un excellent guitariste, allant même jusqu'à avouer que Michael est bien meilleur que toi. Pour réaliser cet album où la guitare devient bien plus présente, as-tu davantage travaillé tes gammes et ta technique ?
Jean-Jacques Goldman : Je connais mes limites à la guitare. Les parties que j'interprète ne sont pas très difficiles. Dès qu'elles le deviennent, je fais appel aux spécialistes : Patrice Tison pour toutes les guitares d'ambiance et Michael pour les plus complexes. Michael maîtrise bien mieux que moi la technique.
Carlos Sancho : Guitaristiquement, quels sont tes moments favoris sur l'album ?
Jean-Jacques Goldman : L'essentiel, c'est quand tu es en train de faire cuire des pâtes entre amis et qu'en attendant, tu prennes l'instrument et tu joues un thème. Toutes mes chansons proviennent de certains de ces moments privilégiés. J'adore jouer et chanter des chansons comme "Quand tu danses". La guitare reste très liée à la voix. "Bonne idée" est aussi très agréable à interpréter à la guitare acoustique, le solo de "En passant" aussi.
Carlos Sancho : Quelles sont les guitares que tu as utilisées sur ton nouveau disque ?
Jean-Jacques Goldman : Sur les conseils de Claude Samard, je me suis acheté une Gibson acoustique que j'ai utilisée sur l'ensemble de mon disque. J'en ai essayé plusieurs, mais je suis revenu inlassablement sur celle-ci. Quant aux parties électriques, bien qu'il n'y en ait pas beaucoup, j'ai utilisé une Lag. Je la prendrais sur scène, elle possède un son aussi bon en électrique qu'en acoustique.
Carlos Sancho : Comment est né le solo de "En passant" ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai beaucoup ramé sur ce solo. J'ai dû le refaire à plusieurs reprises. Il représente un des rares solos que j'ai réellement structuré. J'ai repris celui de la maquette, je l'ai retranscrit, tout en changeant quelques notes.
Carlos Sancho : Pour les solos, laisses-tu ton inspiration s'exprimer sur scène ou au contraire, choisis-tu la rigueur ?
Jean-Jacques Goldman : Pour certains titres comme "Nuit", je refais exactement le même solo, contrairement à ceux de "Puisque tu pars" ou de "Peur de rien Blues", même si je ne me considère pas comme étant un improvisateur chevronné. Cela dit, d'un soir sur l'autre les solos se ressemblent pas mal (rires)...
Carlos Sancho : Ton secret pour choisir une guitare ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne suis pas attaché au matériel et comme je ne suis pas un virtuose, je ne peux me procurer une guitare que sur les bons conseils de mes amis. Je vais même plus loin: je suis incapable de régler le son de mon ampli. Je préfère faire appel à Gildas Arzel pour l'album ou à Michael pour la scène.
Carlos Sancho : Quelle est la première chose que tu écoutes et la première qualité que tu demandes à un guitariste avec lequel tu travailles ?
Jean-Jacques Goldman : Comme je sais précisément ce que chacun des guitaristes avec lesquels je travaille peut faire, je demande à chacun d'eux de jouer comme d'habitude. En agissant de la sorte, aucun risque d'avoir de mauvaises surprises. Pour Patrice, je lui laisse une totale liberté. L'écouter jouer constitue un tel bonheur que je ne peux m'empêcher de vivre ces moments comme une véritable partie de plaisir.
Carlos Sancho : Et Michael ?
JJG : J'ai absolument besoin de lui pour sa polyvalence, ses qualités vocales et surtout à titre personnel.
Carlos Sancho : Que penses-tu des guitaristes qui cherchent à se surpasser techniquement, parfois au détriment du feeling ?
Jean-Jacques Goldman : Il a toujours existé des "champions du monde de la vitesse . Cela ne m'a jamais intéressé. Et quand les magazines affublent un guitariste de l'appellation " God de la guitare ", il s'avère qu'il n'est pas pour autant le plus fort techniquement et le plus rapide. On l'appelle même " Slow Hand ". Je ne travaille malheureusement pas assez mes solos et lorsque je les écoute, je trouve que cela s'entend. Je devrais les composer, les retranscrire sur des partitions, puis les faire jouer par Patrice ou Michael pour qu'ils soient meilleurs. Comme je prends beaucoup de plaisir à les interpréter, je les garde pour moi. De toute façon les gens ne s'attendent pas avec moi à des chansons de guitaristes (rires)...
Carlos Sancho : Que penses-tu de la techno et du rap ?
Jean-Jacques Goldman : C'est une musique pour rébellion d'adolescent et pour danser. Je ne suis plus un adolescent rebelle et je ne danse pas non plus. Cela ne m'empêche pas d'en écouter, puisque mes enfants en achètent. Pourtant, je me rends bien compte que la techno et le rap bouleversent la musique. Ils font définitivement vieillir le rock. Dans les 70's, nous pensions que rien ne remplacerait le rock. Aujourd'hui, nous sommes bien obligés d'accepter qu'un grand nombre de jeunes jouent de la musique sans aucune référence au rock, mais uniquement au rap et à la techno. Les années 96/97 constituent une évolution musicale aussi forte et importante que le rock l'a été pour nous.
Carlos Sancho : On peut trouver dans un magasin d'imports un de tes singles des années 80 avec une pochette japonaise, interprété en français, pour la modique somme de 1 000 francs. Que penses-tu de ce marché parallèle à ton insu, toi qui es si attentif à la gestion de ta carrière ?
JJG : Certains achètent bien des cafetières ayant appartenu à Louis XIV pour plusieurs milliers de francs ou des tampons hygiéniques portés par Marylin Monroe au même prix! Cet attachement pour un disque, une cafetière ou autre, même si je ne le juge pas, m'est étranger. J'avoue aussi ne pas vouloir chercher à comprendre, non plus.
Carlos Sancho : Certes, mais des personnes se font de l'argent sur ton dos sans que tu puisses contrôler ton image ?
JJG : Je n'y fais pas très attention.
Carlos Sancho : Pourtant, tu donnes très peu d'interviews, et en outre, tu veilles à ce qu'aucun magazine ne mette une photo de toi sur la couv'!
Jean-Jacques Goldman : Si je donne peu d'interviews, c'est parce que je préfère regarder la télévision chez moi ou aller jouer au tennis. Je fais juste le minimum. Maintenant, pour les " couv' ", cela me gêne de me voir. La raison est plus instinctive que raisonnée...
Carlos Sancho : Tu ne t'aimes pas ?
Jean-Jacques Goldman : Je trouve obscène de voir à la une, des attentats en Algérie accolés à une photo de moi pour la sortie de mon nouvel album. A mon sens, la place des artistes est à l'intérieur des magazines et non sur la " couv' ".
Carlos Sancho : D'accord, mais avec Guitarist, tu as quand même peu de chances de voir la photo d'un attentat en Algérie, ou la photo du président accolée à la tienne!
Jean-Jacques Goldman : Il est vrai, je serai beaucoup moins contrarié pour un journal musical que pour l'Express... Si je le demande aussi aux magazines spécialisés, c'est pour vous éviter les problèmes avec vos confrères de la presse généraliste. Cela créerait un précédent qu'il faudrait que j'explique à toutes les rédactions! Je n'ai pas envie.
Carlos Sancho : Patricia Kaas, Céline Dion, Gildas Arzel, Johnny Halliday sans compter Florent Pagny et Khaled. N'as-tu pas peur qu'un jour un de tes détracteurs te nomme le nouveau Barbelivien de cette fin de siècle, pour enfin terminer ta carrière en train d'exécuter un duo avec Félix Gray ?
Jean-Jacques Goldman : Cela ne me dérangerait pas. Je n'ai rien contre lui. En revanche, mes affinités musicales vont quand même plus vers Sirima, Michael, Carol ou Céline que vers Félix Gray. Céline reste la seule personne pour laquelle j'ai demandé de collaborer. Je voulais cela depuis plus de dix ans. Elle a une voix exceptionnelle. En la rencontrant, je me suis rendu compte que sa voix était encore plus intéressante que je ne me l'imaginais.
Carlos Sancho : A 46 ans, as-tu réussi la première partie de ta vie ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas. J'ai fais des choses comme tout le monde. J'ai été gâté par la vie, je suis en bonne santé, j'ai trois beaux enfants qui sont en bonne santé, je suis à l'abri du besoin et je ne fais que des choses qui me plaisent. En ce sens, je ne peux pas me plaindre.
Carlos Sancho : Quelle serait aujourd'hui ta devise ?
Jean-Jacques Goldman : Tant qu'on a la santé!
Carlos Sancho : A-t-on abordé tous les sujets que tu voulais ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne voulais rien aborder!
*** Encadré : JJG matos ***
Acoustiques :
12 cordes Takamine 6 cordes électro-acoustique Alvarez Yairi 6 cordes Gibson
Electriques :
1 Lag 2 Telecaster fabriquées par Michel Scamps 1 Gibson SG 1 Gibson Les Paul
Effets :
1 GP 16 Roland commandé par 1 pédalier FC 100 Roland 1 RSP Intelliverb 1 Rocktron Hush HC
Amplis :
1 préampli Marshall JMP-1 1 Mesa/Boogie Strategy 400 2 baffles Mesa/Boogie 2x12 1 stack Marshall Anniversary
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