Goldman marche seul... les confidences de Fredericks, Jones et Arzel
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Goldman marche seul... les confidences de Fredericks, Jones et Arzel
Platine Magazine, décembre 1997
Propos recueilis par Ludovic Perrin et Gilles Cianfarani
Retranscription de Céline Vallet
Carole Fredericks, album "Springfield" -------------------------------------- Platine : Votre disque " Springfield " est paru il y a quelques mois. Le trio Fredericks-Goldman-Jones continue-t-il ?
Carole Fredericks : Il nous paraissait normal dans l'évolution du groupe de tenter des escapades en solo. De toutes parts, on me demandait : " Quand enregistreras-tu un album de blues, quand réaliseras-tu un album de gospels ? ". De plus, je crois savoir que Jean-Jacques a été largement sollicité de son côté.
Platine : A quoi se réfère le titre " Springfield " ?
Carole Fredericks : C'est dans cette ville que j'ai passé mon enfance. J'y ai puisé mes racines en découvrant le jazz, la soul, le blues, le gospel. Mon père était pianiste et ma mère chanteuse. Elle était très attirée par les musiques dont je viens de vous parler ; sa chanteuse préférée était Mahalia Jackson. On avait tous ses disques à la maison. Nous étions de religion anglicane, sauf ma mère qui était catholique. En automne-hiver, nous ne nous rendions pas à l'église anglicane. C'est donc à l'église baptiste que l'on chantait. Le chant est une expression très naturelle et innée chez les Noirs-Américains. Ça a commencé avec la naissance du blues dans les champs de coton où le travail était dur, sous le soleil accablant. A partir de ce tronc commun, d'autres musiques ont dérivé comme le negro spiritual ou le gospel. Au début, c'était une musique sociale qui est devenue, au fil du temps, culturelle.
Platine : Pourquoi avez-vous repris " Happy Day " et " Silent Night " ?
Carole Fredericks : " Happy Day ", c'était un clin d'œil à la Soirée des Enfoirés où je l'avais chantée avec Forent Pagny. Cette chanson a frappé les gens, beaucoup me l'avaient demandée. Et puis, en France, on ne connaît plus les standards, c'était donc une manière de rappeler qu'il existe un patrimoine.
Platine : Vous a-t-on proposé des chansons pour cet album ?
Carole Fredericks : Oui, un sacré paquet ! A mes débuts, quand j'en cherchais, personne ne voulait m'en écrire et maintenant, avec le succès, je croule sous les propositions ! Mon seul regret est de ne pas avoir pu en chanter une de Michael Jones que l'on connaît moins en tant que compositeur. Il m'en avait promis une, mais il a été débordé...
Platine : Vous avez écrit les textes en anglais. C'est la première fois que vous êtes auteur ?
Carole Fredericks : J'ai l'habitude de chanter les paroles de Jean- Jacques ; la barre était donc haute. Je pensais au départ à Michael Jones et Yvonne Jones pour les écrire ; ce sont des auteurs somptueux mais, devant l'urgence, j'ai dû me prendre en main. J'ai sorti mon dictionnaire de rimes, mon dictaphone et mon calepin... C'était dur.
Platine : Sur votre album, on remarque la présence de la fidèle équipe de Goldman : Erik Benzi, Gildas Arzel, Jacques Veneruso. Travaillez-vous en famille ?
Carole Fredericks : Bien sûr... Quand une équipe s'entend, on ne la change pas. Ces musiciens français qui ont composé les titres sont formidables. Mes amis suédois, australiens, américains ont tous été étonnés de leur qualité de jeu. Quand ils m'ont demandé qui jouait, je leur ai répondu : " c'est du gospel made in France ". Mon frère Taj Mahal, qui a gentiment accepté de venir jouer m'a dit : " ça joue super bien ! Je suis fier de toi ".
Platine : Vous êtes d'origine américaine. Quel a été votre parcours précédant votre arrivée en France ?
Carole Fredericks : Après avoir quitté le domicile familial, je me suis installée en Californie. Là-bas, j'ai chanté dans un trio de jazz, dans des groupes de rock, participé à des séances de choeurs entre San Francisco et Los Angeles. J'ai prêté ma voix à mon frère Taj Mahal ou à des chanteurs de variété dont David Soul. J'ai aussi rejoint une chorale de gospel, New Generation Singers ; nous étions soixante et onze ! En parallèle, je bossais la journée dans un bureau d'intérim ! J'avais l'habitude de chanter dans des restaurants français de la côte Ouest. Dans l'un d'eux, les clients et le patron ne cessaient de me conseiller d'aller tenter ma chance en France. Un jour de 1978, je me suis décidée, car rien n'avançait pour moi aux Etats-Unis. On m'a souvent parlé du courage de mon acte mais, en réalité, j'appréhendais plus de rester en Californie que de partir pour la France.
Platine : Aviez-vous un point de chute en France ?
Carole Fredericks : Non, je ne connaissais personne. En arrivant à l'aéroport de Paris, j'ai eu la chance de revoir le patron de ce fameux restaurant californien où j'avais chanté. Heureuse providence ! Il m'a présenté à des amies à lui, gentilles mais... un peu folles ! (rires). Elles m'emmenaient partout dans des fêtes où je reprenais des standards. A l'une de ces fêtes, j'ai rencontré un producteur qui m'a donné sa carte de visite. Il m'a fait enregistrer un disque de disco. Je ne le revendique pas, j'ai juste eu l'impression d'avoir prêté ma voix. Néanmoins, ça m'a permis de rencontrer Ann Calvert, une Américaine, elle aussi à Paris, qui cherchait une voix se mariant à la sienne. Et quelques mois plus tard, nous rencontrions Yvonne Jones. Pendant trois mois, nous avons répété puis, le bouche à oreille faisant, on s'est fait connaître comme choristes.
Platine : Vous souvenez-vous de vos premiers engagements ?
Carole Fredericks : Laurent Voulzy est le premier chanteur pour lequel j'ai travaillé. On avait enregistré " Bubble Star ", " Cocktail Mademoiselle " sur l'album où figurait " Rockollection ". C'était en été 1979. En 1981, j'ai rencontré Michel Berger. Ensuite, les spectacles, tournées et disques avec Gall, Mitchell, Bécaud, Mathieu, Farmer se sont succédés. Avec Bernard Lavilliers, en revanche, je n'ai enregistré en studio que " Pigalle la blanche ".
Platine : Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Jean- Jacques Goldman ?
Carole Fredericks : En 1986, Jean-Jacques m'a appelé pour faire des choeurs sur une chanson pour sa tournée d'été. Je connaissais ses succès comme " Quand la musique est bonne " car deux ans auparavant, je l'avais croisé à une émission de télé, et je m'étais présentée. Sa timidité m'avait frappée. Longtemps après, je lui ai évoqué cet épisode, mais il ne s'en souvenait plus. Normal, c'était lui la vedette et moi la choriste ! (rires). Nous avons fait une tournée ensemble en 1986. Ça a été son premier live, " Jean-Jacques Goldman en public ". On avait chanté en duo " Long is the road ". En 1987, j'ai participé à son album " Entre gris clair et gris foncé ". Puis nous avons tourné en été 1988, jusqu'en été 1989. Cette même année, il m'a permis de chanter " Brother ", la chanson-titre de la bande originale du film " l'Union Sacrée " d'Alexandre Arcady. C'est Michael Jones qui avait écrit les paroles.
Platine : Comment expliquez-vous que Goldman ait monté le trio Fredericks-Goldman-Jones alors qu'il était en solo ?
Carole Fredericks : C'est un musicien généreux qui n'a pas peur de partager. Avec Michael, on était toujours sur le devant de la scène. Jean-Jacques a simplement voulu régulariser la situation. C'était logique pour lui de former ce trio. Et ça ne lui a rien enlevé. Je ne connais pas beaucoup d'artistes français qui auraient eu cette attitude, pourtant, ça se fait dans tous les autres pays.
Platine : Le premier album de votre trio a bénéficié d'un pressage américain. C'était la volonté de vous exporter aux Etats-Unis ?
Carole Fredericks : Avec Michael, nous avons réenregistré en partie les titres en anglais. Mais les Américains sont trop snobs vis-à-vis des autres langues que la leur. Ça tend à changer avec l'album de Céline Dion, " D'Eux " qui a été disque d'or aux Etats-Unis et en Angleterre.
Platine : Comment vous répartissez-vous le travail ?
Carole Fredericks : Jean-Jacques apporte les chansons, paroles et musique. Michael vient avec sa guitare et on amène chacun ses idées sur les voix, les arrangements musicaux etc... Avec le trio, on a enregistré deux albums studio et deux live.
Platine : Avez-vous craint de chanter en français ?
Carole Fredericks : Dans la chanson française, les textes sont importants. Soudainement, avec le trio, j'ai eu peur de mettre ma voix en avant. Jusqu'alors, je n'avais chanté qu'en tant que choriste. J'ai travaillé l'articulation pour qu'on comprenne bien mes textes sans pour autant essayer de trop perdre mon accent qui a apporté une couleur aux chansons.
Platine : Pouvez-vous revenir sur la tournée des petites villes que vous avez faite en 1994 [Note : en fait, c'était en 1995…] avec Goldman et Jones ?
Carole Fredericks : C'était une expérience extraordinaire qui avait vu le jour suite à quatre concerts [Note : en fait, il n'y en a eu que trois…] qu'on avait donnés au New Morning. C'était si génial, cette intimité. Dans ces petites villes, les gens n'y croyaient pas ; les billets se vendaient au bureau de tabac ou dans les boulangeries. Ils pensaient que nous étions des sosies. Jouer dans de tels lieux permet une certaine proximité. Ça a poussé d'autres chanteurs à nous imiter.
Platine : Sur le live " Du New Morning au Zénith " paru en 1995, on vous entend reprendre " Think " d'Aretha Franklin...
Carole Fredericks : Personnellement, c'est ma déesse. Et nous nous sommes aperçus que chacun de nous, d'origine différente, une Américaine, un Français, un Gallois, était frappé par cette dame. Ça s'est dont fait naturellement.
Platine : Que vous a apporté votre collaboration avec Goldman depuis plus de dix ans ?
Carole Fredericks : J'ai appris de Jean-Jacques, musicalement et humainement aussi. Je lui ai piqué quelques méthodes de travail, de se balader toujours avec un carnet, par exemple. Dès qu'il a une idée, il la note. Avant, je ne les écrivais jamais et je les oubliais aussitôt.
Platine : Continuez-vous votre carrière de choriste ?
Carole Fredericks : Depuis le trio, il n'y a plus beaucoup de gens qui m'appellent. Dès que j'ai chanté avec Michael Jones et Jean- Jacques Goldman, on a commencé à colporter que je ne faisais plus de choeurs pour d'autres artistes ou bien on disait que j'étais devenue trop chère. Il y avait sûrement là de la jalousie. Depuis quelque temps, j'ai repris les choeurs autant pour des gens connus qu'inconnus. D'ailleurs, j'ai fait les choeurs sur deux chansons de l'album de Jean-Jacques, " En passant ".
Michael Jones ------------- Platine : Il y a quelques mois, tu sortais un deuxième album solo, 12% blues, avec pour premier extrait " Le temps fait mentir "...
Michael Jones : Depuis longtemps, nous étions d'accord sur le fait que le titre fort de l'album était " Oublié ", le deuxième extrait. Mais je préférais montrer une autre facette avant, car l'album est plus acoustique qu'électrique. " Le temps fait mentir " donnait une bonne idée de ce que sont les huit titres acoustiques de l'album.
Platine : Tu as enregistré dans quatre studios différents, mixé dans un cinquième. Cet album semble avoir nécessité beaucoup de temps et d'argent ?
Michael Jones : Non, je n'ai eu qu'un mois et demi de studio. C'est pour ça que je n'ai pris que des musiciens que je connais bien : le batteur Christophe Deschamps avec lequel j'ai aussi réalisé, le pianiste Jean-Yves d'Angelo qui m'a fait les pianos en trois heures, le bassiste Guy Delacroix... Je ne suis pas sûr que des jeunes auraient joué aussi vite et autant dans l'esprit. Je n'avais pas besoin d'un guitariste de grunge. Et si je suis allé dans cinq studios, c'est que chacun d'eux était le meilleur pour ce que j'avais envie de faire : le Manoir est excellent pour les rythmiques où on peut jouer live, l'Hacienda est génial pour l'acoustique, Twin parce que c'était plus économique de faire les percussions à Paris avec Denis Benarrosh, au mieu de le faire se déplacer dans le Sud, Concordet parce que j'avais juste besoin d'un micro et d'un mec avec des oreilles pour le chant, Polygone parce que c'est Neil Dorfsman qui voulait aller là.
Platine : Les textes sont tous axés autour de l'amour déçu, l'amour trompé, le temps qui passe....
Michael Jones : Non, " Le temps fait mentir ", c'est plutôt une chanson sur le droit avec l'âge de changer d'avis, que ce soit sur l'amour ou les convictions politiques. Mais c'est vrai que ce sont des chansons d'un mec de 45 ans. C'est plus du blues, mélancolique, mais pas désespéré.
Platine : Musicalement, trouves-tu que c'est du blues ? Penses-tu appartenir à la même famille que Paul Personne ?
Michael Jones : A 12% seulement ! (rires). Plus sérieusement, le blues, c'est un état d'esprit plus qu'un style de musique. Le blues français, ce n'est pas le boogie-woogie !
Platine : Dans le blues du piano-bar, tu dis : " Je vais pas chercher à tout prix à rentrer dans l'Histoire.. ". C'est un peu ce que tu ressens du fait d'être depuis vingt ans dans l'ombre de Goldman ?
Michael Jones : Non, c'est juste l'histoire d'un musicien de piano- bar qui joue pour son plaisir, sans ambition d'être en tête des affiches. Mais c'est vrai que je me reconnais aussi là-dedans.
Platine : Tu évoques beaucoup la bière qui est citée dans deux des chansons de ton album...
Michael Jones : Trois ! Et en plus, la pochette, c'est un dessus de canette de bière ! La bière, c'est la boisson conviviale par excellence... avec le vin...
Platine : Dans " Déjà demain ", on trouve une phrase étonnante : " Plus le temps de changer de sexe, c'est déjà demain ". Quel est son sens ?
Michael Jones : Que le temps passe horriblement vite. Je me souviens d'un temps où j'avais 16 ans, j'avais envie d'en avoir 18...
Platine : Regrettes-tu d'avoir voulu accélérer le temps ?
Michael Jones : Oui, j'ai une fille de 21 ans et je ne l'ai pas vu grandir. J'en ai une autre de 2 ans et demi et je veux davantage prendre le temps avec elle.
Platine : Les textes de cet album sont-ils de toi ?
Michael Jones : Non, cette chanson " Déjà demain ", est entièrement de Jean-Félix Lalanne, mais il a le même âge que moi. Il y a des titres de Jacques Veneruso et aussi Gildas Arzel.
Platine : Il y a aussi pas mal de noms inconus...
Michael Jones : Oui, ce sont des étudiants de Francis Cabrel que j'ai rencontrés à Astaffort lors d'un stage où j'étais consultant. Ils ont surtout travaillé sur les textes en français car j'avais déjà fait les musiques et des textes en anglais. Sauf une, " Sans rancune " où les stagiaires ont tout fait.
Platine : Tu es compositeur mais aussi parolier : tu as adapté en français " Vivre pour mourir ", tu as co-signé " Oublié " et " Le Blues du piano-bar ". Pourquoi, alors que Jean-Jacques a écrit autant pour votre trio, n'as-tu jamais fait de même ?
Michael Jones : Parce que personne ne me l'a jamais demandé ! On m'a toujours invité à venir jouer de la guitare. Même quand on parle de FGJ, on ne parle jamais de moi comme chanteur, alors que je chante autant que Jean-Jacques ou Carole... Dans une moindre mesure, je suis un peu comme Hendrix : on se souvient de lui comme guitariste et on a oublié le compositeur et le chanteur.
Platine : En souffres-tu ?
Michael Jones : Non, c'est déjà super gratifiant d'être reconnu comme guitariste. J'ai joué sur les albums de Pagny, Hallyday...
Platine : Hallyday ne t'as jamais demandé de lui faire écouter tes musiques ?
Michael Jones : Non, il avait demandé à Jean-Jacques, donc... voilà. Maintenant, ça commence. J'ai rendez-vous avec un jeune artiste, mais comme rien n'est fait, je ne peux pas dévoiler son nom.
Platine : Quels sont les artistes qui ont bercé ton enfance au Pays de Galles où tu as eu 8 ans en 1960 ?
Michael Jones : Plutôt Cliff Richard et les Shadows, mais la période rock. J'aimais bien le skiffle de Tommy Steele, Lonnie Donegan... Avant le rock'n' roll, de 6 à 12 ans, la seule musique qui m'ait marqué était le folklorique. Je faisais même partie à l'école d'un groupe gallois. C'est là, en 1964, que j'ai commencé à m'intéresser aux Beatles, car ils m'apportaient vraiment quelque chose de nouveau.
Platine : Quand as-tu commencé à chanter ?
Michael Jones : J'ai toujours chanté. Après le groupe gallois, j'ai été dans la chorale masculine classique du Pays de Galles. J'avais entre 13 et 15 ans et j'étais alto. Il m'est même arrivé de chanter avec le London Symphony Orchestra. J'ai arrêté lorsque j'ai mué, tardivement.
Platine : Quand as-tu composé tes premières chansons ?
Michael Jones : Étrangement, j'ai commencé à écrire des poèmes à l'école. Un jour, le prof, qui les avait lus et appréciés, a voulu que j'en récite un devant tous les élèves... La cour de récréation n'a plus jamais été la même. Pendant les deux années scolaires suivantes, les garçons me traitaient de gonzesse : ça m'a permis d'apprendre à me battre... Ça m'a aussi coupé l'envie d'écrire pendant dix ans.
Platine : Quand à 16 ans, en 1968, tu fais partie du " Urban District Council Did Dob Band ", tu chantes des reprises des " Who ". Ça te rapporte de l'argent ?
Michael Jones : Pas vraiment, ça payait le matos. On jouait dans les bals avec plein de groupes : chacun son heure. De plus, je ne pensais pas devenir chanteur. Je faisais des études, une sorte de BTS de mécanique automobile de sport, pour devenir cadre chez Ford.
Platine : Pourquoi alors tout lâcher pour venir en France en 1971 ?
Michael Jones : Je ne suis pas venu m'installer en France en 1971, mais simplement passer des vacances avec mes parents en Bretagne. Comme je m'y faisais royalement chier, un soir, je suis allé rencontrer un groupe qui jouait à la fête du village, et j'ai fait le bœuf avec eux. C'est parti comme ça et j'ai passé le reste de mes vacances à chanter avec eux. A la fin des vacances, ils m'ont proposé de m'engager pendant un an. Je trouvais très bien de prendre une année sabbatique, avant de commencer à travailler, surtout que c'était bien payé.
Platine : Que chantiez-vous, toujours le rock ?
Michael Jones : Non, du rythm and blues, Otis Redding, Wilson Pickett ou Chuck Berry... Pas " Dock of the Bay " qui était trop gentil, mais plutôt " Respect " ou " Try a little Tenderness ", plus blues. On avait une section de cuivres et ça sonnait pas mal. Cette période a duré jusqu'à Taï Phong.
Platine : N'as-tu pas eu envie de repartir ?
Michael Jones : Jamais ! On s'ennuie beaucoup moins en France qu'au Pays de Galles.
Platine : Sur ta bio, on lit Taï Phong de 1976 à 1979, pourtant tu n'es crédité que sur le troisième et dernier album du groupe.
Michael Jones : Oui, mais je suis arrivé dans le groupe un an après " Sister Jane ", à la sortie du deuxième album " Windows " en 1976 avec le single " Games ". Le groupe souhaitais faire une tournée pour présenter l'album. Comme Jean-Jacques ne voulait pas faire de scène, je l'ai remplacé.
Platine : Tu t'es bien intégré au groupe, puisque sur le dernier album " Last Flight ", non seulement tu joues de la basse et de la guitare, mais tu chantes sur cinq des six titres, dont deux que tu composes...
Michael Jones : " Thirteenth Place ", je l'ai écrit avec Pascal Wuthrich qui est un très bon clavier. " How Do you do ", je l'ai fait seul.
Platine : Jean Mareska, votre directeur artistique, nous a raconté que l'ambiance était catastrophique à la fin... Que pensais-tu des membres de Taï Phong ?
Michael Jones : L'ambiance musicale était catastrophique, pas l'ambiance humaine, car j'étais très ami avec Stéphane Caussarieu et, bien sûr, avec Jean-Jacques. En revanche, je ne peux pas dire qu'avec Khanh et Taï, nous avions des atomes crochus. A la fin du groupe, on n'écoutait plus du tout les mêmes musiques : Stéphane et Pascal aimaient Weather Report ; Khanh, Pink Floyd et Supertramp ; Jean- Jacques et moi AC / DC.
Platine : Qu'as-tu fait après Taï Phong ?
Michael Jones : Jean Mareska m'a proposé de faire partie d'un nouveau groupe, Week-End Millionnaire : trois chanteurs et des musiciens qui accompagnaient dont Gérard Bikialo, Jean-François Gauthier et moi. J'ai bossé deux ans et demi dans ce groupe jusque vers 1982. Avec ces musiciens, j'ai également monté une formation en parallèle, Gulf Stream, qui était produite pas William Sheller. J'en ai un très mauvais souvenir. Pas uniquement musicalement. Je crois que j'y ai vu ce qu'il y a de pire dans le show-biz : des mecs qui me disaient comment m'habiller, comment me tenir. Tout juste s'ils ne m'avaient pas mis des plumes dans le cul ! Halte ! D'autant plus qu'en studio, quand j'arrivais pour bosser, tout le monde marchait à la coke. Une horreur ! Le lendemain de la sortie du disque, j'ai tout lâché et je suis retourné à Caen.
Platine : Continuais-tu à voir les anciens membres de Taï Phong ?
Michael Jones : Seulement Jean-Jacques qui commençait à marcher avec " Il suffira d'un signe " et " Quand la musique est bonne "... C'est en 1983 que j'ai commencé à travailler avec lui, après la sortie de son deuxième album. C'était sa première tournée. Depuis, je les ai toutes faites, on m'entend sur les live, " En public " de 1986 ; " Traces " de 1989. Je suis le seul survivant de la première tournée.
Platine : Tu as commencé en solo avec le single " Viens " vers 1983, puis celui de " Guitar man " en 1985 avant de sortir l'album " The swinglers "...
Michael Jones : " Viens " est une chanson que Jean-Jacques m'avait écrite en français, avant que je compose seul " Guitar man ". J'ai dû faire trois singles, puis la maison de disques m'a enfin permis de faire un album.
Platine : Après les tournées, tu participes aux séances des albums studio de Jean-Jacques...
Michael Jones : Pas tout de suite, car, quand j'ai fait la première tournée, " Positif " en 1984, était déjà enregistré. En revanche, sur " Non Homologué " et " Entre gris clair et gris foncé " c'est moi qui joue.
Platine : Pourquoi ne pas avoir continué ta carrière solo en parallèle avec le trio de 1990 à 1996 ?
Michael Jones : Parce que FGJ me prenait tout mon temps, je n'étais plus uniquement musicien comme auparavant : un an et demi de travail pour chaque album FGJ, puis la promo, et chaque fois une tournée de presque deux ans. Ensuite, nous avons enregistré deux albums et deux live de 1990 à 1995.
Platine : Etait-ce frustrant pour toi de ne pas avoir le temps de continuer ta carrière en solo ?
Michael Jones : Non, pas du tout, car j'ai toujours aimé chanter en groupe. Je n'aime pas être devant, ce n'est pas mon truc.
Platine : En 1990, le trio sort son premier single, " Nuit " en Angleterre. As-tu eu une émotion particulière ?
Michael Jones : Aucune, car je me sens français désormais. En plus, on n'est jamais allé faire de la promo là-bas, même si ça passait douze fois par jour sur MTV.
Platine : A la sortie du premier album trio, était-il prévu pour durer ou était-ce un one shot ?
Michael Jones : Au départ, le trio était un one shot, on n'imaginait pas que ça allait durer six ans. Et ce n'est pas fini, car ce n'est pas la première fois qu'on chante chacun de notre côté. En 1992, Jean-Jacques chantait déjà seul le cinquième extrait du premier album du trio.
Platine : Est-ce que ça avait changé ta vie que ton nom soit associé à celui de Goldman sur une pochette ?
Michael Jones : Non, l'attitude des gens n'a changé que depuis que j'ai fait mon album solo. Avant, les albums du trio étaient considérés comme les albums de Jean-Jacques, ce qui était de toute façon un peu vrai car il signait toutes les chansons. Jean-Jacques en était tellement conscient et peiné qu'après plusieurs mois d'interviews en commun, où les journalistes ne posaient des questions qu'à lui et, où Carole et moi étions là comme des cons, Jean-Jacques a décidé que les journalistes nous verraient chacun notre tour pendant vingt minutes.
Platine : Comment se sont passées les dernières années du trio ?
Michael Jones : A partir de notre deuxième album " Rouge ", Jean- Jacques avait moins de temps, à cause des chansons pour Pagny, Hallyday, Kaas... Je me souviens que c'est la première fois qu'il rentrait en studio sans avoir ses textes tout à fait finis et la tête un peu ailleurs.
Platine : C'est peut-être aussi pour ça que sur " Rouge ", il y a moins de succès que sur le premier album du trio ?
Michael Jones : Je ne sais pas. Pour ma part, entre 1993 et 1996, j'en ai fait de plus en plus. L'an dernier, j'ai fait tout seul la post-production du live " Du New Morning au Zénith ", mais je ne regrette rien, de plus, je sais depuis longtemps que faire chanter les autres, c'est ce que Jean-Jacques aime. Quand il a enregistré les maquettes de l'album " Il suffira d'un signe ", c'était pour présenter les titres à d'autres interprètes, pas pour les chanter. Ecrire pour les autres, c'était le rêve de Jean-Jacques.
Platine : Où en es-tu avec Jean-Jacques ?
Michael Jones : Tout va bien. Il est venu au mix de mon album et m'a poussé à moins sous-mixer ma voix à l'anglaise, à la mettre plus en avant. Je joue de la guitare sur son nouvel album. Et la prochaine tournée, on sera tous les trois. Sans parler des soirées spéciales Restos du cœur, où on se retrouve comme on l'a fait cet été aux Vendanges du cœur.
Platine : Et avec Carole ?
Michael Jones : Si elle n'est pas venue faire des voix sur mon album, c'est qu'elle faisait le sien. Elle m'a aussi demandé une chanson que j'ai finie trop tard.
Platine : Comment Jean-Jacques a-t-il pu avoir le temps de venir au mix de ton album ?
Michael Jones : Il travaille vite. Quand j'ai fini mon album, il n'avait pas encore ses chansons, et aujourd'hui, quelques semaines après la sortie de mon disque, le sien est déjà prêt.
Platine : Sur les pressages anglais de Céline Dion, tu es crédité sur " To love you again ", le premier titre anglais de " Pour que tu m'aimes encore "...
Michael Jones : J'avais écrit six ébauches d'adaptations anglaises - un couplet et un refrain - en respectant l'esprit de Jean-Jacques. Céline les a d'ailleurs enregistrées en studio. Mais l'équipe de Céline ne les a pas prises en compte. On a préféré des gens plus connus que moi aux Etats-Unis. Le problème, c'est que les adaptations retenues n'ont pas la puissance des mots français. Je pense que Céline va rectifier le tir sur les prochains titres de Jean-Jacques qu'elle fera en anglais.
Platine : As-tu des projets de scène en solo ?
Michael Jones : Avec mon groupe, qui a d'ailleurs joué avec notre trio, on vient de finir une tournée de vingt dates en café-concert très éprouvante, car il faut tout faire tout seul, monter, démonter son matériel... Je chantais aussi près de Grenoble pour une association de jeunes de l'EDF, Energie-emploi, qui se bat pour leur emploi. C'est la continuité des Restos : pas de l'assistanat mais de l'aide, car c'est l'emploi qui rend la dignité à l'homme, pas l'aumône.
Gildas Arzel ------------ Platine : Dix ans après Canada, tu viens de publier un troisième album solo chez Epic.
Gildas Arzel : Oui, j'ai changé de maison de disques après avoir fait deux albums chez EMI. C'est le délai normal : un album en 1991, un en 1993 et un maintenant.
Platine : On raconte qu'Erik Benzi et Goldman t'ont poussé à faire cet album ; qu'ils sont venus te chercher au fond d'une petite retraite...
Gildas Arzel : C'est un peu poétisé. Je ne me suis pas vraiment arrêté, mais c'est vrai que je n'avais pas envie de continuer à faire des albums, que personne n'écoute.
Platine : Pourquoi enregistrer chez Epic puisque Jean-Jacques est chez Columbia ?
Gildas Arzel : Comme nous travaillons ensemble, on préfère séparer un peu les projets. Et puis Epic, ça me correspond plus, c'est un petit label, mais avec des moyens.
Platine : Goldman a été co-réalisateur de l'album et a co-écrit un texte. Comment ça s'est passé en studio ? Etait-il présent ?
Gildas Arzel : Jean-Jacques avait des idées très précises sur ce qui avait empêché mes deux premiers albums de marcher. C'est peut-être pour ça qu'il n'a pas passé une minute de moins que moi en studio. Pourtant, cela s'est déroulé très collégialement : on a sélectionné les chansons. Jacques Veneruso, qui n'est pas crédité sur le disque, passait également souvent au studio par amitié. Il lui arrivait même de monter ma voix à partir de quelques prises, pendant que j'allais boire un café.
Platine : Y aura-t-il une tournée nationale ?
Gildas Arzel : On a prévu une mini-tournée, moitié show-case en octobre-novembre. Pour un peu montrer aux gens de la profession qui je suis. Goldman m'y accompagnera à la guitare. Je crois qu'il est content de faire une tournée où il est en retrait.
Platine : Vous semblez former une sorte de famille avec Jean-Jacques, Carole et Michael...
Gildas Arzel : Ce sont les autres comme Yacoub ou Goldman, qui sont rentrés dans la famille Canada. Ce qui n'était pas évident pour eux car nous étions un véritable groupe de potes depuis vingt ans ! Aujourd'hui, notre groupe s'est étendu à Michael pour lequel j'ai fait quelques chansons sur son album. J'adore Michael : il ne fait même pas sa promo, il fait la mienne ! Il n'arrête pas de demander aux radios où il passe de programmer mes disques ! Ce qui est important, ce n'est pas que tous ces gens que tu cites forment le haut du panier dans la chanson, mais que ce sont de vrais amis.
Platine : C'est ce qui explique qu'il y ait des ressemblances au niveau de la production...
Gildas Arzel : C'est peut-être prétentieux ce que je vais dire, mais je trouve que nos différents albums sont assez variés. C'est même curieux parfois. Ce n'est pas du tout le même son et les inspirations sont différentes. Anggun, c'est du Erik Benzi, Jean-Jacques... c'est Jean-Jacques, et moi c'est franchement celtique.
Platine : N'y a-t-il personne en France avec qui tu aimerais travailler ?
Gildas Arzel : Je ne vois pas trop et puis il faudrait qu'ils me le demandent ! En plus, si je n'ai pas d'affinités humaines ou artistiques, je ne peux pas bosser. Je ne sais pas faire comme Jean- Jacques : " Il me dit que je suis belle.. ". Il n'écoute pas ça chez lui, je ne sais pas comment il fait pour l'écrire. Ce n'est pas une question d'argent mais un défi ; parce qu'il ne sait plus quoi foutre de son pognon. Là, il a acheté une clio, et il va la garder dix ans !
Platine : Il aime peut-être les chanteurs à voix...
Gildas Arzel : Oui, surtout avec Céline.
Platine : Tu accompagnes d'autres artistes en studio, mais aussi sur scène. A quand Bercy avec Goldman ?
Gildas Arzel : Jamais, car Jean-Jacques n'aime pas la foule. C'est un des rares grands artistes raisonnables, car il pourrait remplir Bercy plusieurs jours, mais il ne l'a jamais fait. Pour lui, le Zénith, c'est la limite.
Platine : Comment as-tu rencontré Jean-Jacques Goldman ?
Gildas Arzel : Ça fait dix ans. Il nous avait invités sur RTL, à Studio 22, je ne sais pas si c'est vraiment lui ou si c'était RTL, quoi qu'il en soit, on a fait son émission. Ensuite, il nous a proposé de venir le voir en répétition. Après la fin de Canada, Jean- Jacques est venu bouffer chez moi et m'a dit : " pour mon prochain album, je vais essayer de travailler avec des gens différents ". Et, comme il n'avait pas pensé à Erick, car il le voyait comme clavier d'un groupe, je lui ai fait écouter à trois heures du matin ce qu'il faisait. Erik, à ce moment, était dans son projet Benzia. Et, en parlant, je crois que Jean-Jacques était convaincu. Il m'a dit : " j'appelle Erik demain matin à la première heure ! ". Et il l'a fait ! C'était complètement dingue. Et tout ce qu'a fait Goldman dans ces années-là : Kaas, Lavoine, Pagny, Hallyday... Erik y a collaboré.
Platine : Et Céline Dion ?
Gildas Arzel : Aussi. La programmation de " D'Eux " a été faite chez Erik, avec Jean-Jacques.
Platine : C'est un peu l'apogée de Goldman comme auteur et de Céline Dion comme interprète.
Gildas Arzel : Au niveau des ventes ?
Platine : Même au niveau qualité...
Gildas Arzel : Là c'est discutable.
Platine : Pour elle, c'est un projet cohérent.
Gildas Arzel : " D'Eux " a l'avantage de ne pas être disparate. C'était peut-être le problème de Céline Dion avant Goldman, même si elle marchait. Jean-Jacques Goldman se compare souvent à Guy Roux. Il prend des chanteurs qui ne sont pas à leur maximum. Il les élève au grain. Au lieu de prendre un Cantona, il va engager un Jean-Jacques Durand et en faire un Cantona. C'est un peu ce qu'il veut faire avec moi.
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