Jean-Jacques Goldman et Pascal Obispo, les pompiers du succès (2)
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Jean-Jacques Goldman et Pascal Obispo, les pompiers du succès (2)
Le Monde, 7 février 1998
Véronique Mortaigne
Retranscription de Monique Hudlot
C'est devenu une spécialité française, dont la dernière manifestation est la collaboration entre Johnny Hallyday, rescapé du rock hexagonal, et Pascal Obispo, jeune compositeur-interprète en vogue : pour relancer et/ou réorienter la carrière d'une vedette, la meilleure recette consiste à faire appel à une autre. Celle-ci peut écrire, réaliser, produire jusqu'à un album entier, appuyé par une intense campagne de promotion, pour son rival. Michel Berger fut pionnier en la matière (avec France Gall), suivi plus tard par Jean-Jacques Goldman (avec Johnny Hallyday ou Céline Dion), et aujourd'hui donc par Pascal Obispo, qui, outre le dernier album d'Hallyday, a écrit trois chansons de celui de Florent Pagny. Habile artisan, Obispo s'inspire aussi bien du romantisme à la française que de la luxuriance de la pop britannique.
Carrière bloquée ?
Image à revoir ? Succès à tenir ? Il n'y a pas de solution miracle, mais des stratégies commerciales. Première règle d'or, digne des plus beaux mariages d'intérêt : unir le riche avec le riche. Finis les artisans de l'ombre, les Boris Bergman (Alain Bashung), les Jacques Lanzmann (Jacques Dutronc), les Didier Barbelivien (Patricia Kaas). Le casting s'opère aujourd'hui entre stars : pour épauler une vedette populaire, on en appelle une autre, de même stature commerciale. On voit ainsi des titulaires de disques de diamant (un million d'exemplaires vendus) redevenir artisans, écrire, réaliser, produire des albums entiers pour leurs rivaux, et complimenter "le patron" sous des airs d'humilité admirative. Ce fut le cas de Michel Berger, puis de Jean-Jacques Goldman, c'est aujourd'hui celui de Pascal Obispo, mélodiste prolifique, chanteur très apprécié des jeunes filles et des radios FM, inscrit au panthéon des tubes avec "Lucie", l'air de l'été 1997.
Compositeur, président de la République du néoromantisme, Pascal Obispo est en visite officielle chez Laurent [sic] Pagny pour "Savoir aimer", tube de l'hiver, et joue les stylistes de haute couture chez Johnny Hallyday pour "Ce que je sais". Pas une photo, ou presque, qui ne montre, depuis la sortie du disque début janvier, Johnny flanqué de son alter ego de la jeune génération. "C'est normal, dit un ancien patron de maison de disques, les radios FM sont sourdes. Avant d'écouter, les programmateurs lisent les prospectus. Si Obispo marche, alors les chansons qu'il fera pour Johnny, souvent boudé par les radios jeunes, vont aussi cartonner. C'est ainsi qu'ils pensent et c'est la logique des golds".
Sur tous les fronts
A chanteur, chanteur et demi : il faut aujourd'hui occuper tous les fronts, du studio à la scène, de la télévision à la presse. "A chaque fois qu'il entendra "Hallyday", l'auditeur pensera "Obispo" ; à chaque fois qu'il entendra "Obispo", il pensera "Pagny" ", dit un programmateur de radio. Ce jeu de miroir, dont ne se plaindra pas Mercury, le label du groupe PolyGram auquel appartiennent Pagny et Hallyday, se solde souvent par un duo (Hallyday-Obispo, Goldman-Dion, etc.). Qui a commencé ce petit jeu des familles, très français ? Serge Gainsbourg, sûrement, mais son but était autre : séduire les femmes, Birkin, Bardot, Karina, Adjani ou Deneuve.
Le véritable inventeur en fut Michel Berger. En 1967, France Gall chante "Bébé requin". C'est la fin de l'époque "Sucettes" et "Poupée de cire, poupée de son", de Serge Gainsbourg. Le succès la fuit, elle doit lâcher son image de bébé fatal. Sa maison de disque, La Compagnie, créée par Hugues Aufray, est en faillite. "On cherchait, on ne trouvait pas", explique Bernard de Bosson, de l'UPFI (Union des producteurs phonographiques français indépendants), alors dirigeant de WEA France, où France Gall s'était finalement réfugiée. En 1974, ils s'adressent à Michel Berger. Il a à son actif le travail mené avec Véronique Sanson, et la renaissance d'une autre star du yéyé, Françoise Hardy, pour qui il a réalisé l'album "Message personnel", à dix mille lieux de "Tous les garçons et les filles". "Michel Berger l'a entièrement relookée, dit Bernard de Bosson. Berger a été un pionnier : avec "Message personnel", il avait montré que pour lui la composition ne s'arrêtait pas sur la feuille. Il allait jusqu'au bout de tout, jusqu'à la production et la scène". Berger composait des tubes, Gall chantait avec lui, "il passait alors, continue Bernard de Bosson, pour le producteur le plus doué du monde avec Quincy Jones". En 1984, Johnny Hallyday est mal à l'aise. Les déchirements de "Ma gueule" ne lui suffisent plus. Alain Lévy, alors PDG de PolyGram France, lui présente le créateur de Starmania, qui conçoit l'album "Rock'n'roll attitude" pour le rocker en mal d'image. Sa sortie suit de peu le tournage de "Détective" de Jean-Luc Godard, avec Nathalie Baye dont on entend la voix sur "Quelque chose de Tennessee", hommage à Tennessee Williams. L'ensemble apporte la caution intellectuelle qui manquait à Johnny.
Machine promotionnelle
L'année suivante, Hallyday renouvelle l'opération avec Jean-Jacques Goldman. "Gang", où percent des chansons comme "Laura" ou "Je t'attends", connaît une réussite mitigée, malgré la "goldmania" du moment, portée par les albums "Positif" et "Non Homologué". Par la suite, Goldman mettra beaucoup la main à la pâte, réitérant sa collaboration avec Johnny Hallyday pour "Lorada" en 1990, s'alliant avec Patricia Kaas, mais pour un titre "Il me dit que je suis belle", sous le pseudonyme de Sam Brewski ou encore pour une adaptation ("Quand j'ai peur de tout", à partir d'un thème composé par l'Américaine Diane Warren, responsable de plusieurs tubes de Céline Dion). Goldman offre également à l'Algérien Khaled "Aïcha", dont la mélodie est identique à celle d'une chanson composée pour Céline Dion, "Les derniers seront les premiers".
Le chef-d'oeuvre du genre demeure "D'eux", l'album écrit par Jean- Jacques Goldman, alors champion des ventes françaises avec Francis Cabrel, pour Céline Dion, star mondiale ayant écoulé 18 millions d'exemplaires de "Falling into You". Jean-Jacques Goldman, dit-on, avait toujours rêvé d'écrire pour Céline. Certes. Mais, en 1990, Olivier Montfort, le très dynamique patron de Columbia France, label de Sony, sait que la carrière de la Québécoise stagne en France le public a boudé ses chansons en anglais. La carrière de Dutronc, pourtant sans nouvelles chansons, venait d'être relancée avec grand succès par la scène. La stratégie Dion passe par les mêmes chemins : concerts en salle moyenne, un "Live à l'Olympia". Manquent les nouveautés en français.
Goldman, qui appartient au même label, vient de vendre plus d'un million d'exemplaires de "Rouge". Son double CD en public, "Du New Morning au Zénith", suit la même courbe. "D'eux" paraît au printemps 1995. Les douze chansons de Goldman sont efficaces, autant que la machine promotionnelle qui les accompagnent. On ne voit plus qu'elles. "Envoyé spécial", le magazine de France 2, diffuse en prime time un reportage intimiste sur la chanteuse, Jean-Jacques est de la partie. Dès le lendemain, "D'eux", aujourd'hui triple "diamant", se vendra jusqu'à 50 000 copies par jour dans l'Hexagone. Quand le succès vole au secours du succès...
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