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Les "Victoires" se veulent sans histoires
(Libération, 20 février 1998)

Les "Victoires" se veulent sans histoires
Libération, 20 février 1998
Annick Peigne-Giuly
Retranscription de Monique Hudlot

Comment les Victoires de la musique tentent de retrouver une crédibilité entachée par l'"affaire Stephend". Les "Victoires" se veulent sans histoires.

Après douze éditions, un scandale en 1996 et une "nouvelle image" en 1997, cette année est celle de l'"assainissement" pour les Victoires de la musique. Histoire,au moins, de retrouver une belle place au soleil des grands ragouts audiovisuels. La "nouvelle image" ? C'était le slogan imaginé par des Victoires qui se remettaient à peine du tapage de 1996 : le prix de la révélation féminine décerné à Stephend, une jeune chanteuse inconnue… sauf de Denys Limon, son producteur. L'ennui étant que le même Limon soit également l'associé de Claude Fléouter, alors délégué général et producteur des Victoires. Aussi, après une édition 1997 pour le moins convalescente, on remet ça, en changeant tout. Avec un nouveau président, Yves Bigot, ex-directeur général de la Fnac musique, puis de Mercury France, un homme de la profession, désormais directeur d'antenne de Sport O'FM (et collaborateur occasionnel à Libération).

Approche "artistique". "Il faut bien reconnaître, explique Yves Bigot, que, jusqu'à présent, le cadre des Victoires n'était pas celui, habituel, des musiciens : des prestations ringardes au Moulin-Rouge ou au palais des Congrès. La raison pour laquelle on redémarre ? C'est que c'est la seule manifestation consensuelle de la profession. Avec les producteurs, les sociétés d'auteurs, les syndicats de musiciens, qui se retrouvent, ensemble, dans le même conseil d'administration". Bigot est arrivé au comité artistique des Victoires il y a un an et demi, au titre de représentant du Snep (le Syndicat national de l'édition phonographique, représentant donc les grandes compagnies de l'industrie musicale). Elu président dans la foulée, en mars dernier, il s'est fixé deux missions : restaurer la crédibilité de la manifestation quant aux votes et à l'organisation ; faire en sorte que les artistes aient envie de venir s'y produire.

"Plus jamais !" C'est ainsi que Florent Pagny et Jean-Jacques Goldman avaient quitté le plateau des dernières Victoires. D'autres n'étaient carrément pas venus chercher leur prix dans ce spectacle "bidon". Pour conjurer la grogne, il a été décidé de prendre le problème par le bout "artistique". Premier acte, symbolique, les Victoires ont lieu cette année à l'Olympia, salle mythique s'il en est. "On a fait venir les nominables, explique Bigot, et on fera en sorte qu'ils jouent avec les musiciens et les arrangements de leur choix. On a choisi aussi une directrice artistique qu'ils connaissent bien, Anne Marcassus, productrice des Restaurants du coeur. Par ailleurs, la nationalité ne sera plus le critère d'éligibilité, mais la langue. Ce qui ouvre les Victoires aux Canadiens, aux Belges, aux Suisses, etc. Et, pour redonner au jazz toute la place qu'il mérite, nous l'avons basculé dans les Victoires classiques".

Procès. Pendant ce temps, à quelques jours des Victoires, Claude Fléouter ronge son frein dans son local parisien de Télescope Audiovisuel. Depuis deux ans maintenant, il ferraille avec l'Association Victoires de la musique, et avec les chaînes France 2 et France 3… Trois procès sont en cours. "On m'a volé les Victoires, on m'a volé mon équipe… jusqu'au logo qu'ils ont gardé". Pour lui, c'est clair, on lui a chipé son "concept" ; pour les autres, cette manifestation n'est qu'un remake facile des Grammy Awards américains. "J'ai créé les Victoires en 1984, avec Jean-François Michel, qui était chargé de mission auprès de Jack Lang. Le projet m'intéressait en tant qu'homme de télévision". Claude Fléouter a démarré en 1966 dans Cinq Colonnes à la une, avant de réaliser et de produire une centaine de films, tout en étant chroniqueur musique au Monde de 1967 à 1991. "Quand je n'ai plus eu de tribune, on m'a tiré dessus", résume-t-il. Aujourd'hui, il reste "copropriétaire" de la manifestation à 34%, le reste appartenant à l'Association. "Ils ont fait le dépôt de marque en octobre 1986, je ne m'en suis aperçu qu'en 1993". Quant au fonctionnement des votes, il s'en dissocie. "Les collèges électoraux (environ 3 000 membres), ce n'était pas l'affaire de ma société de production, dit-il. Chaque secteur décidait : à la Sacem, ils faisaient voter les 600 plus forts "toucheurs de droits", au Snep, c'était en fonction du chiffre d'affaires, etc. Tout cela était bel et bien contrôlé. Pour ce qui est de l'affaire Stephend, j'ai moi-même demandé sa disqualification au CA quand j'ai su qu'elle était nominée. Et ça m'a été refusé… Non, il n'y a eu ni fraude ni manipulation, simplement une campagne promotionnelle qui a dû influencer les choses, et voilà tout".

Poids sur les ventes. Avec ce lourd passé, on peut supposer un enjeu très consistant qui justifie que la cérémonie perdure. "Les gagnants voient leurs ventes de disques augmenter sérieusement", explique le compositeur Jean-Claude Petit, membre du comité artistique. En 1995, par exemple, la double récompense de MC Solaar le fait monter à la 7e place dans les classements de ventes. Enzo Enzo, d'un coup, passe de la 97e à la 35e place, I AM grimpe de 27 rangs (chiffres du Snep). Sans compter l'intérêt des télévisions devant une soirée à l'Audimat quasiment assuré (plus de cinq millions de téléspectateurs en moyenne). Aussi France 2 n'a-t-elle pas rechigné à participer à l'augmentation des frais (4,5 millions de francs d'aides au lieu de 4).

Accompagnant cette relance, il était également de bon ton de faire quelques aménagements dans l'académie des votants. Là où la Sacem pouvait faire basculer le verdict (avec plus de 600 voix), on a préféré "favoriser le vote de gens impliqués dans la quotidienneté de la musique". Pour la révélation de l'année, par exemple, le jugement du public - via le Minitel - sera déterminant puisqu'il entrera pour 50% dans son élection.

Grand perdant de l'an dernier, avec pourtant quatre nominations, Pascal Obispo ne devrait pas revenir bredouille de ces treizièmes Victoires. Il est présent dans les catégories artiste interprète masculin, chanson de l'année, concert de l'année, album de l'année… Les autres favoris étant I AM, Zazie et la Belgo-Italo-Québécoise Lara Fabian. L'hommage ira à Serge Reggiani et Gilbert Bécaud sera l'invité vedette. Une nouvelle venue aussi, la "dance". Sinon, c'est toujours Michel Drucker qui présente.


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