Jean-Jacques Goldman : L'interview
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Jean-Jacques Goldman : L'interview
Générations, le 15 mai 1998
Pierre Chatard
"le bonheur c'est de pouvoir faire de sa vie ce qu'on a choisi et pas ce que les autres ont choisi"
Jean-Jacques Goldman était en concert à Grenoble les 24 et 25 avril derniers. Ce n'est pas une info, vu que les concerts se sont tenus à guichets fermés, pour le malheur de ceux qui n'avaient pas pu se procurer de billets. On peut parler, je pense, de phénomène. Goldman fait toujours des salles pleines à craquer, sans aucune promo - ni affiches, ni radio, et encore moins de télévision ! Goldman a renouvelé l'exploit en réunissant plus de 10 000 personnes lors de ces 2 spectacles. Mieux encore : dès la sortie de "En passant" en août 97, son dernier bijou, ce ne sont pas moins de 650 000 albums qui se sont vendus en seulement une semaine ! Les ventes du dernier Goldman caracolent toujours en tête des charts pour dépasser aujourd'hui les 2 millions d'exemplaires ! Qui dit mieux ? !
Ses spectateurs ? Des gens qui le suivent depuis longtemps, des nouveaux admirateurs, des fans, des curieux, des amoureux. Amoureux du "style Goldman". De l'homme. Nous aimons Goldman pour son talent, sa simplicité, sa générosité, sa sincérité, et sa modestie... C'est d'ailleurs tout ça qui fait que Goldman est aujourd'hui la 2ème personnalité la plus populaire de France, juste derrière l'abbé Pierre (selon un sondage Ifop pour "Le Journal du Dimanche").
Depuis mon premier concert en 1989, lors de sa tournée de "Entre gris clair et gris foncé", rencontrer Jean-Jacques Goldman était pour moi un rêve, le RÊVE. C'était écrit que "J'irais au bout de mes rêves" : ça s'est fait avant son show grenoblois, dans le backstage du Summum !
Et depuis la même époque, Goldman n'a cessé de surprendre ses adeptes. Après avoir chanté en trio avec Carole Fredericks (qui vole maintenant de ses propres ailes), et Michael Jones (dont l'album solo "12 % blues" est à 100 % bon), il y a eu l'énorme succès de l'album "D'eux" qu'il a écrit, composé et réalisé pour Céline Dion. Et en vrac, la tournée "Rouge", le New Morning, la tournée des campagnes, les chansons pour Khaled, Pagny, Hallyday, Kaas.. la tournée avec Gildas Arzel, les Restos du Cœur, et pleins d'autres événements qui ont illuminé nos dernières années.
Le son de Goldman est reconnaissable parmi mille, alors on aime ou on aime pas. On lui reproche de se répéter musicalement ? Il avoue en être conscient et s'étonne de toujours plaire. Il annonce régulièrement son déclin, et dit ne pas être l'interprète favori de ses chansons. Et pourtant, il déplace les foules et séduit toujours plus qu'il ne lasse. A-t-il trouvé la formule magique ? La force de ses mots et l'émotion qu'ils dégagent semblent être inépuisables. Force est de reconnaître que derrière ce jeune déchevelu aux apparences timides d'anti-star primaire, se cache un homme d'une rare sensibilité, un homme qui n'a pas fini de nous émouvoir.
Reparti en tournée et de nouveau en solo, il a accordé fin avril à Générations une interview exclusive. Et quand on sait combien rares sont ses interviews, on n'en est pas peu fiers...
Pierre Chatard : La tournée "En passant" a débuté il y a 10 jours. Après les scènes mouvantes, les palmes, le masque, les flammes et les chœurs de l'ex-Armée Rouge, quelles sont les surprises de ce nouveau spectacle ?
Jean-Jacques Goldman : Nous sommes revenus à une formation plus classique, et il y a plus d'une heure du concert qui est acoustique, où on est assis...
Pierre Chatard : Hier soir devant un Summum archiplein, on lisait sur les visages une certaine exaltation. Que ressens-tu en voyant autant d'amour en face de toi ?
Jean-Jacques Goldman : C'est très difficile à décrire... C'est vraiment beaucoup d'émotion et beaucoup de reconnaissance.
Pierre Chatard : Est-ce qu'on s'habitue au succès, à coups de salles pleines ?
Jean-Jacques Goldman : Non, non. Je peux m'habituer à ça (le bruit de la foule dans la salle). Par exemple, au départ, les premières fois où ça t'arrive, quand t'entends ce brouhaha, t'es scotché ! Maintenant, c'est vrai, j'arrive à parler en l'entendant, mais par contre quand tu rentres sur scène, et puis que ça te vient, c'est impossible de s'habituer à ça !
Pierre Chatard : Comment vis-tu le retour à la carrière solo ? Est-ce bien différent de la formule en trio ?
Jean-Jacques Goldman : Pas tant que ça. En fait, ça a pas vraiment changé ; sur scène, on est très ensemble, Michael est toujours là, il chante très souvent avec moi, et tous les musiciens aussi.
Pierre Chatard : Tes chansons parlent souvent de meilleurs lendemains, d'étoiles, de chercheurs d'or et d'ambition, quel est à ton avis le rôle d'un chanteur-auteur-compositeur ?
Jean-Jacques Goldman : Le mot message me plaît pas beaucoup, je ne pense pas qu'il ait des messages à donner, mais il a des messages à ramasser. C'est-à-dire qu'après réflexion, parce que c'est pas une question que je me suis posée, on écrit des chansons parce qu'un jour on sent qu'il faut qu'on le fasse, quoi.
Pierre Chatard : On écrit pour le public ou d'abord pour soi ?
Jean-Jacques Goldman : On fait des chansons pour s'adresser à quelqu'un. En général, c'est quand on a des difficultés soi-même pour entrer en contact avec les autres. C'est pour ça qu'on est peintre, qu'on est écrivain, ou qu'on fait de la musique... Sinon, on va dans des boîtes de nuit et ça se passe très bien (rires).
Pierre Chatard : Est-ce que tu crois à la fatalité ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, il y a des fatalités. Par exemple, quand tu nais dans un camp en Éthiopie... Il y a des vies où tu sais que ce sera très difficile d'avoir un destin propre. On a la chance de naître dans un pays où cette fatalité existe très peu, c'est bien d'en être conscient.
Pierre Chatard : Comment définirais-tu le bonheur ?
Jean-Jacques Goldman : J'avais lu une définition intéressante, "c'est l'absence de malheur". Je trouve ça un peu réducteur, mais c'est déjà pas mal. Mais le bonheur c'est... J'ai l'impression que c'est l'autodétermination, c'est-à-dire pouvoir faire de sa vie ce qu'on a choisi et pas ce que les autres ont choisi, c'est peut-être ça.
Il faut vivre l'amour à fond et avec des "Filles faciles"
Pierre Chatard : Est-ce que tu penses que l'on peut contrôler l'amour, décider de tomber ou de ne pas tomber amoureux ?
Jean-Jacques Goldman : Je crois pas, non. Par contre, on peut expliquer grandement pourquoi on est amoureux, mais au bout d'un certain temps. Autant vivre la chose à fond, parce que c'est trop bon pendant un an, mais au bout d'un an tu peux comprendre pourquoi tu as aimé, et pourquoi tu n'as pas aimé.
Pierre Chatard : Dans ta chanson "Les murailles", tu dis "quand on aime on a tort, on est stupide, on est sourd". Est-ce que c'est se tromper que d'aimer ?
Jean-Jacques Goldman : Non, non, il dit "on a tort, on est sourd", c'est-à-dire que c'est une erreur de penser qu'on est seul. La phrase erreur fondamentale, c'est "Nous, c'est pas pareil". Et on l'a tous prononcée une fois ou du moins on l'a pensée. On voit le monde qui s'écroule autour, mais nous c'est pas pareil. Moi je trouve que le fait de dire que nous, ça va être pareil, ça donne encore plus de valeur et d'intensité au moment où nous, c'est pas pareil. Faut penser qu'un jour on sera dans le domaine commun, quoi.
Pierre Chatard : Les filles ou les femmes sont plus que jamais présentes dans tes chansons, quelles sont celles qui t'inspirent le plus, est-ce que ce sont plutôt les "Filles faciles" ou "les filles à caresser" comme dans "Bonne idée" ?
Jean-Jacques Goldman : Je déteste les filles qui sont pas faciles ! C'est-à-dire les filles qui ont quelque chose à vendre. Je n'en connais pas d'ailleurs, quand je dis facile, c'est pas péjoratif, c'est-à-dire des filles qui se considèrent comme une marchandise où il va falloir allonger soit du temps, soit des billets ou des choses comme ça, des filles qui ont l'impression qu'elles sont importantes...
Pierre Chatard : Quelle est ta manière de travailler, de composer ?
Jean-Jacques Goldman : Je compose en jouant, c'est-à-dire en passant des heures au piano ou à la guitare, mais pas par obligation. Tu rentres chez toi le soir et tout à coup le piano t'attire, tu sais pas pourquoi, et tu commences à jouer, tu joues n'importe quoi, ou tu rejoues un truc ancien, voire un truc à quelqu'un d'autre, tu joues, quoi, par plaisir. Puis après, rien... et parfois, tout à coup tu trouves une suite d'accord, une harmonie, et là il faut appuyer sur le dictaphone parce qu'il y a une idée. Voilà, ça c'est pour la musique. Ensuite les arrangements viennent après. Et pour les textes, c'est tout à fait à part, c'est une démarche qui est de trouver des angles ou des idées. Par exemple, dire je t'aime, c'est pas si clair que ça. Tu réfléchis à ça, ou t'en parles même, c'est des discussions. Puis tu dis c'est bizarre ce mot-là, et là tu commences à dire il y a de l'ombre là-dedans, est-ce que c'est pas une question perverse... Et tout ça devient un thème de chanson. Par contre, je n'écris la chanson que quand j'ai la mélodie, c'est-à-dire les mots eux-mêmes sont absolument asservis à la mélodie. Donc j'ai d'abord la mélodie, ensuite un thème, trois pages de réflexion, d'idée sur ce thème-là, et ça fait la chanson.
Pierre Chatard : Est-ce que tu composes en suivant des règles harmoniques, ou au contraire tu es autodidacte ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai l'impression que dans la chanson il ne faut rien respecter en dehors de l'émotion que tu peux avoir.
Pierre Chatard : Est-ce que la musique est un exutoire pour toi ?
Jean-Jacques Goldman : C'est en tout cas une évidence, c'est une façon d'être, une manière d'être. Je crois que c'est Nietsche qui disait que "la vie sans musique serait une erreur", ben en tout cas pour moi la vie sans musique est inenvisageable.
Pierre Chatard : Comment juges-tu le monde dans lequel on vit ? Qu'est-ce que la corruption, la malhonnêteté t'inspirent ?
Jean-Jacques Goldman : Ça m'inspire l'humanité, il suffit de lire un peu l'histoire, d'étudier un peu la nature humaine, de voir ce qu'ont écrit les Grecs là-dessus, qui ont connus la République, qui étaient tellement évolués sur le plan philosophique et puis tu te rends compte wazzu que bon, ça fait parti de la nature humaine et ça rend, à mon avis, un peu optimiste, ça va plutôt vers le mieux que vers le pire, malgré les horreurs auxquelles on assiste.
Pierre Chatard : A ton avis quelles sont les causes du désengagement des jeunes notamment en ce qui concerne le vote ?
Jean-Jacques Goldman : Pour moi, je mettrai le désengagement des jeunes non pas sur un désintéressement, mais sur le fait qu'il y a des évidences, quoi. C'est-à-dire que la démocratie, la justice, l'égalité sont presque des évidences pour eux, ils ont toujours vécu là-dedans; ils savent très bien que s'ils ont des diplômes, ça marchera plutôt mieux... Moi, à mon époque - je suis né en 1951 -, j'ai des copains qui ont quitté l'école parce que financièrement les parents ne pouvaient pas assumer, il fallait qu'ils se mettent au travail, tu vois. Ça, se sont des choses qui existent quand même nettement moins, avec l'école obligatoire jusqu'à 16 ans. Donc je comprends très bien que vous soyez beaucoup moins rebelles parce qu'en fait, vous savez très bien qu'à 99 % le sort est entre vos mains, il est pas dans les mains des autres, de la société. Ça, c'était extrêmement confortable pour nous, parce que c'était jamais de notre faute, c'était de la faute au monde, la vie était extrêmement simple, il y avait les gentils d'un côté et les méchants de l'autre. Maintenant, c'est beaucoup plus difficile parce que vous savez que ça dépend de vous...
Pierre Chatard : Tu t'engages souvent sur la nécessité de l'éducation scolaire...
Jean-Jacques Goldman : Ouais, pour moi, la clé, elle est là...
Pierre Chatard : Et que conseillerais-tu aux jeunes qui en ont marre et qui voudraient arrêter leurs études ou qui ne voient pas bien la finalité ?
Jean-Jacques Goldman : On peut s'en sortir sans faire d'études, surtout pour les mecs, parce que pour les filles, c'est plus difficile, vaut mieux qu'elles aient un diplôme, mais les filles en général sont plus courageuses que les garçons. Donc pour un garçon qui veut quitter ses études parce qu'il a une passion à suivre, ou des trucs comme ça, ben je trouve ça très bien, puis il s'en sortira toujours...
Pierre Chatard : Ecoutes-tu du rap ?
Jean-Jacques Goldman : Un petit peu, oui.
Pierre Chatard : Dans les reprises que tu fais de "Pas toi" dans ce nouveau spectacle, tu singes un rappeur et tu dis "je pense à moi, je pense à moi...". Est-ce que cela a une signification ?
Jean-Jacques Goldman : C'est vrai, c'est curieux, je trouve que les rappeurs s'intéressent beaucoup à leur cas, globalement, ils sont quand même très très intéressés par eux-mêmes. Ceci dit, je ne fais pas une parodie que du rap, je fait une parodie du tango, du hard-rock... Et puis j'ai une vision extrêmement pas compétente du rap, je suis un auditeur lambda, qui écoute un peu les textes et qui voit ce qui se passe ; en gros, ça parle pas beaucoup du monde, ça parle beaucoup plus de leur monde.
Pierre Chatard : En première partie, un cameraman chauffe la salle en filmant le public. Est-ce pour éviter de prendre des risques avec un groupe en première partie, ou est-ce justement pour innover dans le concept des concerts de rock ?
Jean-Jacques Goldman : C'est pour pas faire chier les gens, parce que je trouve que 9 fois sur 10 quand je vais voir un concert, la première partie me gonfle. Je trouve que ça sert à rien pour les jeunes, mieux vaut faire des clubs ou des petits endroits à soi. Déjà la dernière fois on avait trouvé un concept de première partie qui puisse intéresser les gens et puis rendre l'ambiance un peu conviviale, donc on a eu cette idée là.
Pierre Chatard : Ta carrière peut servir d'exemple pour beaucoup de nouveaux interprètes, quels sont les conseils que tu pourrais leur donner surtout par rapport aux médias qui font un peu la loi en décidant de passer tel disque ou tel autre ?
Jean-Jacques Goldman : Je dirais de ne pas attendre le salut de quequ'un, que ce soit une maison de disque, une personne à qui ils écrivent, ou un programmateur. Il faut savoir que c'est un métier qui marche pas comme ça. Et par contre, si tu acquiers un vrai professionnalisme, si tu sais jouer dans un groupe, si tu fais tout cet apprentissage, de savoir comment on fait une chanson, en gros de dépendre de personne, à un moment, ce n'est plus toi qui est en face des médias ou des maisons de disques, ce sont les maisons de disque et les médias qui sont en face de toi, et qui ont besoin de toi; ça c'est très clair. Mais bon, il faut bien 10 ans pour faire tout cet apprentissage...
Internautes, fans de JJG, connectez-vous sur le meilleur site consacré à l'artiste : http://www.geocities.com/~jean-mi/jjg
Merci à Jean-Michel Fontaine et Philippe Richard
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