Les bonheurs de Pimi
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Les bonheurs de Pimi
Radio Lac, mai 1998
Propos recueillis par Pierre-Michel Meier
Retranscrition de Delphine W.
Pierre-Michel Meier : Est-ce que je peux poser une question qui me trotte par la tête depuis des mois ?
Jean-Jacques Goldman : Oh, non ! Tout mais pas une question (rires) !
Pierre-Michel Meier : Par rapport à l'approche que vous avez de la vérité.
Jean-Jacques Goldman : De quelle vérité ?
Pierre-Michel Meier : Bah d'une vérité qui pourrait émaner de certaines chansons, émaner de certains moments à travers lesquels vous êtes passés.
Jean-Jacques Goldman : Genre, la Bible ou Talmud, ou...
Pierre-Michel Meier : Ou simplement la vibration de rendre les gens heureux.
Jean-Jacques Goldman : Est-ce que c'est ça la vérité ?
Pierre-Michel Meier : Ouais.
Jean-Jacques Goldman : C'est un piège cette question, parce que... soit c'est un gag et puis on fait autre chose...
Pierre-Michel Meier : Non, non, non, je l'ai posée ces derniers temps à Bruner, à Talli et tout ça, savoir si vous, le sens que cette vibration qu'on ressent quand on est dans la foule, vous l'avez aussi et que dans un sens, c'est une vérité.
Jean-Jacques Goldman : C'est un échange, est-ce que la vérité l'est dans l'échange ? Probablement, à mon avis, oui. Donc il y a une parcelle de vérité dans un concert comme il y a une parcelle de vérité dans une rencontre, dans une interview ou dans tout contact. A mon avis elle est là, oui. En tout cas, l'intérêt d'être là, il est là.
Pierre-Michel Meier : Et la vérité en tant que vibration, ça vous choque pas ?
Jean-Jacques Goldman : La vérité en tant que vibration, c'est un concept que je comprends pas très bien.
Pierre-Michel Meier : Alors, y'a une belle chose qui se passe devant nous, un morceau de musique superbe, une femme superbe, un sourire d'enfant, parce que là, y'a plein d'enfants dans les coulisses, et tout d'un coup, on sent tout son être qui vibre et on se dit qu'on est dans le vrai.
Jean-Jacques Goldman : (silence) Ça fait partie de la réalité, quoi. Mais ça fait même parfois partie de l'irréalité. Moi, j'ai l'impression que... par exemple, j'ai fait une séance de studio là, pour la première fois avec des choristes, enfin pas des choristes, des choristes j'en ai fait beaucoup, mais avec 40 chanteurs classiques. Et tout à coup, vous ouvrez la porte, et vous entendez 40 voix qui s'élèvent, et là, tout à coup, c'est comme s'il y avait, tout à coup... comme s'il y avait des nuages et pis un petit trou qui mène vers ailleurs. Donc je dirais qu'il y a des cas comme ça où effectivement dans un accouchement, je parle pas d'un sourire d'enfant, mais un accouchement où j'ai l'impression à ces moments-là, donc d'extrême réalité, et de ces certaines réalités-là j'ai eu l'impression d'une connivence avec autre chose quoi, effectivement.
Pierre-Michel Meier : Mon trouble à moi, c'est plus je vieillis, plus je quitte les notions qui étaient celles de l'adolescence qui voulaient par exemple que la vérité se serait exprimée comme sur les tableaux classiques, ou la musique classique, par une sorte de lumière. C'est ça qui me frappe.
Jean-Jacques Goldman : Mais ça je pense que c'est... quand on est adolescent, on s'intéresse à soi et quand on vieillit, on s'intéresse toujours à soi, et là, y'a un fait nouveau qui commence, c'est qu'on commence à s'intéresser à après. Alors, vous arrivez jusqu'au pire, c'est Mitterrand. A la fin, il s'inquiétait, il ne parlait que de la mort (rires). C'était le seul truc qui l'intéressait, il allait voir des philosophes et tout ça, mais en fait, c'était continuer à penser à soi. Je pense que cette vision des choses, elle vient parce qu'on s'intéresse toujours à soi et que cette donnée-là, celle de l'après, celle de l'irréalité, elle commence à se poser aussi.
Pierre-Michel Meier : Et quel rapport faites-vous entre la vibration, la vérité et la mort ? Comment arrivez-vous à me parler de la mort ?
Jean-Jacques Goldman : Mais parce que vous avez dit que vous avez changé de vue entre… quand vous étiez adolescent et quand vous étiez maintenant. Vous vous rendiez compte qu'il y avait des connexions éventuelles avec autre chose, non ?
Pierre-Michel Meier : Hum.
Jean-Jacques Goldman : Bon bah voilà. C'est vrai qu'autre chose, ça ne nous intéresse pas du tout quand on est adolescent parce qu'on s'intéresse qu'à la réalité, je vais dire palpable pour ne pas être obscène.
Pierre-Michel Meier : Chaque minute qui passe a son sens.
Jean-Jacques Goldman : Mais en particulier quand le capital s'amenuise. Je pense qu'on n'a pas du tout cette notion du temps quand on est adolescent parce qu'on est là pour toujours.
Pierre-Michel Meier : Alors sur scène, pour un homme de spectacle, c'est la même chose, quand on est jeune, on se dit « y'a tout le temps, y'a plein de concerts », et puis on se dit quand on monte sur scène « là , c'est peut-être le dernier » ?
Jean-Jacques Goldman : Bien sûr.
Pierre-Michel Meier : Ah ouais ?
Jean-Jacques Goldman : Ah ouais.
Pierre-Michel Meier : Parce que moi je pensais qu'il y avait un oubli total.
Jean-Jacques Goldman : Ah non. Il y a un oubli évidemment mais consciemment, on l'a toujours en soi. C'est à dire… lorsque j'ai commencé à faire des concerts, je me suis dit « comment faire des concerts… euh… voilà, est-ce que ça va durer ? » Mais pour moi, le temps des concerts était infini devant. Est-ce que je vais continuer à en faire ? Est-ce qu'il y aura encore des gens ? Comment être plus à l'aise ? Et à partir de maintenant, chaque fois que je passe à Grenoble, je me dis « c'est peut-être… » ou même avant que je commence la tournée et que je suis arrivé à Rennes, et y'a eu cet accueil des gens, je l'avais inconsciemment oublié. Pour moi, ça s'était terminé avec la tournée précédente parce que je trouve ça anormal qu'à 46 ans on ait encore ce type de concert, ça n'existe pas.
Pierre-Michel Meier : Et ce qui pourrait expliquer les grands troubles de nos héros ? J'entends… euh… de Robert Planck qui à un moment se planque complètement, sans faire de jeu de mots, de cette désertion du cœur qui fait que tout d'un coup on n'en entend plus parler ?
Jean-Jacques Goldman : Non, à mon avis, là il y a des choix artistiques, des associations. Robert Planck, c'était Led Zeppelin, et puis après, sans Led Zeppelin, il n'a plus existé, ou il a eu du mal à exister seul. Ça, ce sont des dérives artistiques ou des aléas artistiques qui n'ont rien à voir avec cette angoisse-là.
Pierre-Michel Meier : Et la notion de choix, de continuer à donner des chansons aux autres, de continuer à les chanter tous les jours, elle se prend quoi, quotidiennement ?
Jean-Jacques Goldman : Sur le plan des faits, oui…
Pierre-Michel Meier : Parce que le petit carnet, ça veut dire « je vais continuer à écrire »
Jean-Jacques Goldman : Ah non, le petit carnet, c'est pas parce que je vais continuer à écrire, le petit carnet, c'est parce que je continue à avoir des idées et que j'ai envie de les garder. Y'aura plus de petit carnet le jour où il ne me servira pas, le jour où je l'aurai dans ma poche depuis quatre mois et qu'il sera vierge.
Pierre-Michel Meier : Et avec le temps, on comprend mieux d'où viennent les idées ?
Jean-Jacques Goldman : Non, par contre, je me rends compte des limites de ce qui me touche et de ce qui ne me touche pas et je me rends compte que ce sera toujours la même chose. Mais c'est pareil pour tout le monde.
Pierre-Michel Meier : Je parlais de vibration, c'est une question très indiscrète, mais est-ce qu'avant de venir, une idée frappe à la porte de votre tête ?
Jean-Jacques Goldman : Avant de venir ? [note de Delphine : René, le régisseur de la tournée, frappe à la porte] « bah je dis ça y est, j'vais… »
Pierre-Michel Meier : Et puis là, ça frappe, c'est bizarre, hein ?
René : Y'a beaucoup de monde et puis One FM comme radio.
Jean-Jacques Goldman : Cinq minutes, cinq minutes.
René : J'ai un truc, il faut que je te voye [sic], que je t'explique.
Pierre-Michel Meier : C'est étonnant, hein ? Est-ce que l'idée frappe à la porte et…
Jean-Jacques Goldman : Ouais, toc-toc-toc. Mais c'était pas l'idée qui frappait à la porte.
Pierre-Michel Meier : C'est pas Johnny.
Jean-Jacques Goldman : C'est René. Euh non, les idées se présentent sans prévenir.
Pierre-Michel Meier : Donc, elles peuvent surprendre à tout moment.
Jean-Jacques Goldman : Oui, tout à fait. D'ailleurs des fois, ça pose des problèmes, je suis en train de conduire ou un truc comme ça et comme je sais que je vais l'oublier… Voilà. Ou surtout en jouant c'est bizarre. Vous êtes en train de jouer et puis tout d'un coup, quelque chose vient. Faut un Dictaphone.
Pierre-Michel Meier : Sous quelle forme ? Sous quelle forme, parce que là, on sort du salon du livre [NDD : le salon du livre était fermé depuis un petit moment…], j'ai vu Bruckner, j'ai vu toutes sortes de gens qui ont des idées et qui les notent sur papier, Manuel [?], des gens remarquables et chacun a sa façon d'expliquer l'inspiration. Et vous c'est quoi ? Trois petites notes de musique ?
Jean-Jacques Goldman : Moi je pense, j'ai eu l'occasion de le dire déjà donc je m'excuse si c'est une redite…
Pierre-Michel Meier : C'est pas grave, je couperai.
Jean-Jacques Goldman : J'ai l'impression que le talent qu'on a n'est pas forcément un talent de compositeur mais un talent de détecteur. C'est à dire que Bruckner, il est là, et puis il est assis, et puis il lit son journal et y'a j'sais pas, le tirage de son journal c'est 236 284. Y'a 236 283 personnes qui ont lu l'article sans rien et lui il a dit « là, y'a un thème de livre, là y'a quelque chose à faire, là sur cette phrase de femme ou sur ce truc-là ».
Pierre-Michel Meier : Mais alors, comment après on explique, ce sera ma dernière question, comment on explique le fait que des chansons puissent être appréciées par une multitude comme là c'est le cas avec vous ?
Jean-Jacques Goldman : D'abord, ça ne marche pas à tout les coups et puis… c'est c'qu'y a je trouve de vraiment d'extraordinaire, c'est que c'est incompréhensible. C'est à dire, contrairement à ce que croient beaucoup de spécialistes, avec des énormes guillemets, de la chanson française en particulier, il n'y a pas d'explication sur le succès d'une chanson. Y'a des tendances, c'est vrai quand le texte n'est pas stupide, c'est mieux, quand la musique est originale ou avec un arrangement, tout ça, mais y'a une part de charme que nous ne pouvons pas expliquer, que les spécialistes ne peuvent pas expliquer et que les gens ne peuvent pas expliquer. C'est à dire, y'a des gens qui ont honte, qui n'aimeraient pas aimer une chanson mais cette chanson leur parle à un endroit que personne ne connaît, quoi. Moi, je trouve ça extraordinaire.
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