Doués conformistes…
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Doués conformistes…
La Presse, 5 septembre 1998
Alain Brunet
Retranscription de Monique Hudlot
S'il y avait une machine à remonter le temps, on retournerait en 1995, on transformerait "D'eux" en album double. Et "S'il suffisait d'aimer" en serait le second volet. Humanisme, romantisme, passion, anti- violence, mélodies ultra pop, références rock, chant choral, cordes acoustiques ou électriques, harmonies classiques ou gospelisantes, irruptions vocal…niques - croyez-moi, ça pète fort sur "Tous les blues sont écrits pour toi". Peut-être un peu moins de beat… Céline avait grandi en 1995, "D'Eux" fut une révélation, même pour nombre de ses détracteurs. Cette fois, rien de neuf sous le soleil (éclatant, on vous l'assure) de la superdiva. Imperceptible évolution, quelques trucs valables comme "Terre". Mais bon… tant qu'à se faire bombarder de mégatubes jusqu'au troisième millénaire, c'est moins éprouvant avec les chansons du cousin français. Interprétations bien fagotées, en fait, parfaitement adaptées à l'esthétique Goldman. Une facture tellement plus fine que celle proposée par le répertoire anglophone de Céline Dion, tellement supérieure aux fadaises de Diane Warren, David Foster et autres millionnaires du songwriting qu'on devrait recycler au p.c. dans les publicités d'appels interurbains. Let's talk about love, dites-vous ? Au tournant de la trentaine, Céline vit avec deux répertoires si différents, bien au-delà des langues. En anglais, elle chante avec les Pavarotti, Streisand ou autres Bee Gees, elle chante Carole King, Frank Sinatra, Sir George Martin. Ces pointures pourraient toutes être ses parents. Pour la plupart, ces incontournables des sixties et seventies n'ont plus rien à proposer, si vous voyez où je veux en venir. Jean-Jacques Goldman, lui, n'a pas terminé son oeuvre chansonnière. Et, comparativement à la majorité des songwriters anglo-américains au service de Céline Dion, il a l'air… surdoué ! Pourtant, il n'est pas un génie de la chanson fançaise. Excellent mélodiste, honnête parolier, pop-rockeur raffiné, compositeur efficace, l'artiste de Montrouge ne sera jamais un Brel, un Ferré, un Brassens, un Bashung, un Higelin, un Murat, un Roda-Gil ou un Bergman. Doué conformiste, comme sa plus célèbre interprète.
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