Le business de Goldman
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Le business de Goldman
Entrevue, novembre 1998
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Retranscription de Monique Hudlot
Jean-Jacques Goldman vaut de l'or. Que ce soit pour lui ou pour les autres, chaque chanson ou album qu'il compose se vend à des centaines de milliers d'exemplaires. Quand la musique est bonne, "Entrevue" analyse les notes. Et l'addition.
Jean-Jacques Goldman : "Je me trouve surpayé par rapport à ce que je fais" (Le Figaro, 29 septembre 1997)
Pour l'inusable Eddie Barclay, si Goldman a autant de succès, c'est qu'il peut sentir ce qui marche. Seul.
André Bercoff : Comment expliques-tu le succès de Goldman ?
Eddie Barclay : Les raisons de sa popularité sont assez simples : Goldman est un excellent musicien, qui connaît toutes les facettes du métier et qui a une perception aigue de ce qu'aiment les gens.
André Bercoff : Il vend énormément de disques et pourtant il ne s'épanche jamais dans les médias. Incroyable, non ?
Eddie Barclay : Goldman n'a pas besoin de la presse pour faire sa promotion. C'est un garçon qui travaille dans la dentelle avec une formidable conscience professionnelle et un goût très sûr de ce qui marche. Il est à la chanson française ce que Spielberg est au cinéma américain.
André Bercoff : Si tu devais le comparer à un autre auteur- compositeur…
Eddie Barclay : Il me rappelle un certain Domenico Modugno, à qui j'avais demandé une chanson pour Dalida et qui avait composé "Volare", un immense tube. On peut aussi penser à Jacky [sic] Revaux, auteur de "Comme d'habitude" ou d'autres sublimes chansons pour Michel Sardou. Des artistes qui ont le sens populaire.
André Bercoff : C'est-à-dire ?
Eddie Barclay : Une chanson populaire, tout le monde doit pouvoir la fredonner. Comme "La Marseillaise" ou "Nini Peau de Chien". Mais Goldman a en plus un sens artistique accompli. Ses chansons sont à la fois de qualité et populaires. A l'instar du "Ne me quitte pas" de Jacques Brel.
André Bercoff : Que penses-tu de ses textes ?
Eddie Barclay : Personnellement, je préfère sa musique à ses mots.
Pour le patron de "Platine", le magazine qui prend au sérieux la chanson légère, J.-J. Goldman c'est du lourd.
Jean Leaud : Comment se situe Goldman dans l'histoire de la chanson française ?
Jean-Pierre Pasqualini : C'est le record absolu des artistes francophones qui exportent. "D'eux", l'album qu'il a écrit pour Céline Dion, a vendu dans le monde bien plus que Piaf, la référence historique.
Jean Leaud : Il est au top du business ?
Jean-Pierre Pasqualini : Enorme : il touche sur tout, du pressage des CD aux bals de campagne ! Les petites années, c'est 20 MF de chiffre d'affaires. Et ses droits sont protégés pour 70 ans, le maximum.
Jean Leaud : Qui gère : lui ou Sony ?
Jean-Pierre Pasqualini : Il manage avec son frère Robert mais dans la discrétion. Comme tous les artistes, il préfère qu'on ait de lui une image artistique.
Jean-Leaud : Comment reste-t-il dans le coup en écrivant pour tout le monde ?
Jean-Pierre Pasqualini : Son truc, c'est d'aller vers les jeunes. Tu veux un scoop : il n'y a que pour les 2Be3 qu'il n'a pas voulu écrire, quand ils le lui ont demandé.
Jean-Leaud : C'est l'anti-Johnny. Il cultive ce style M. Tout le Monde ?
Jean-Pierre Pasqualini : Non, il est comme ça : j'étais à côté de lui au dernier concert de Pagny. Il n'y avait plus de chaises et il s'est assis sur les marches sans faire de scandale. C'est révélateur…
Jean Leaud : Il planque sa vie privée et hait la presse. Il en a toujours été ainsi ?
Jean-Pierre Pasqualini : Non. A ses débuts il a collectionné plus de couvertures de Podium et OK magazine que les 2Be3 ! Mais même à l'époque où il faisait crier les petites filles, il a toujours refusé l'idée de créer un fan club, c'est symptomatique.
Jean-Jacques Goldman : la famille avant tout.
Goldman a chanté un titre en duo avec Johnny au Stade de France. Mais ce duo n'a pas été retransmis sur TF1. Et ce, à la demande de Goldman. Officiellement, le chanteur était mécontent de sa prestation. Mais la véritable raison de son refus serait plus personnelle : le frère de Jean-Jacques, Robert, est très ami avec une ex-directrice des variétés et divertissements de TF1, licenciée par la chaîne.
N° 1 des auteurs-compositeurs vivants.
Goldman multiplie les records. Côté droits d'auteur, il arrive en tête du classement de la Sacem, dans la catégorie "auteur-compositeur vivant". "D'eux", l'album écrit pour Céline Dion, s'est vendu à 6 millions d'exemplaires. C'est aujourd'hui l'auteur francophone le plus vendu dans le monde ! Au premier semestre 98, il était le Français le plus passé sur les ondes hexagonales (16 700 diffusions radio). Depuis ses débuts, il aurait écoulé 12 millions de disques (albums et singles). En ventes cumulées, il décroche la médaille d'or sur les 15 dernières années avec des disques de diamant (plus d'un million d'exemplaires), dont "Singulier", "En passant" et les deux albums signés Fredericks/Goldman/Jones.
Goldman et ses interprètes en or. Des tubes pour Johnny, Kaas et Dion.
A ses débuts, dit la légende, Goldman aurait autant aimé ne pas chanter, mais écrire pour les autres. L'époque où personne ne veut de ses oeuvres est révolue. En 85, il concocte un tube pour Johnny Hallyday, "Laura". Ils se retrouvent dix ans plus tard, pour un album cette fois, "Lorada", qui cartonne : 600 000 disques vendus. Entre temps, Jean-Jacques Goldman, planqué sous divers pseudos (Sam Brewski, O. Menor, etc.), a écrit pour Marc Lavoine, Florent Pagny et Patricia Kaas. Le "Je te dis vous" de cette dernière se vend à plus d'un million d'exemplaires. Goldman s'exporte via Céline Dion : 3 millions de copies de "D'eux" vendus hors Hexagone. Auteur tout terrain, il propulse le roi du raï Khaled en tête des hit-parades avec "Aïcha" : 750 000 singles vendus !
Goldman et Goldman associés. Pour la compta, voyez son frère.
Bien que diplômé de commerce et de gestion (il a été élève de l'EDHEC de Lille) Jean-Jacques Goldman ne s'occupe pas des affaires d'argent ! C'est son frère aîné, Robert, qui tient les comptes de sa maison d'édition. Selon le mensuel "Capital", le frangin gère un chiffre d'affaires variant au fil des ans entre 25 et 40 millions de francs. C'est Robert Goldman qui, à en croire certaines sources, aurait renégocié à la hausse en 94 les termes du contrat sous licence de son frère avec Sony. A la fois manager, négociateur, gérant comptable, coordinateur des tournées, Robert joue aussi à ses heures perdues les compositeurs. Il a écrit trois mélodies sous le pseudonyme de J. Kaplan [sic].
Un contrat fabuleux à sa démesure.
Jean-Jacques Goldman est entièrement propriétaire de ses oeuvres : il touche donc avec Sony, en tant qu'auteur-compositeur-interprète, mais aussi en tant que producteur, éditeur graphique et phonographique. Alors que les artistes maison de Sony touchent en moyenne entre 8 et 12 % de royalties, lui, grâce à son contrat de licence, empoche plus de 20 % des ventes de ses disques (certains parlent même du double !). Contrepartie : il produit ses albums à ses frais. Mais ce n'est pas tout : il perçoit aussi de la Sacem des droits d'auteur- compositeur-éditeur et des droits d'exécution publique : en bref, il s'enrichit à chaque diffusion d'une de ses oeuvres (télé, radio, concert, discothèque, lieu public…). Ce qui lui permettrait de doubler le revenu provenant de ses ventes.
Un créateur inspiré par lui-même.
Goldman a écrit et composé plus de 150 chansons… Sans compter les B.O. de films et les génériques d'émissions télé ! Avec un tel répertoire, pas facile de se renouveler. Ses détracteurs l'accusent de recycler ses compos. Ainsi, la mélodie de "Aïcha", écrite pour Khaled, rappelle celle du titre interprété par Céline Dion, "Les derniers seront les premiers". Anecdote : en 90, Goldman accuse Thierry Hazard d'avoir "pompé" sur "Quand la musique est bonne" pour écrire "Le jerk". La plainte pour plagiat se retourne contre lui : la Sacem découvre des similitudes entre "Quand la musique…" et des dizaines de titres écrits bien avant par d'autres artistes. Affaire classée ! Pas rancunier, Jean-Jacques Goldman a chanté cette année "Le jerk" avec les Enfoirés…
Goldman et les Enfoirés. Du platine pour ceux qui ont faim.
En 1985, Jean-Jacques Goldman chante "Je te donne" sur toutes les radios. Coluche le prend au mot en lui demandant de donner un peu de son talent aux pauvres. Jean-Jacques Goldman écrit en une semaine [sic] l'hymne des Restos du Coeur, intégralement au profit de ceux qui ont froid, de ceux qui ont faim. Coluche décédé, Goldman a repris le flambeau et se dépense chaque année pour organiser concerts, émissions de télé et tournées. L'album "Le Zénith des Enfoirés" est sacré disque de platine (plus de 300 000 exemplaires vendus). Le bilan de 1997 des Restos du Coeur bat tous les records avec plus de 61 millions de repas distribués. L'artiste, sincèrement impliqué, a également chanté pour l'Ethiopie et SOS Racisme. Mais il refuse, lui, le statut de chanteur engagé.
Goldman et les médias. Une anti-star qui flingue la presse.
Le plus bel exploit de Goldman ? Toucher le gros lot sans passer par la case "promo-télé / cocktail mondain / paparazzi". "La presse contribue à faire de vous une vedette, pas forcément à faire vendre des disques. Mon propos n'est pas de devenir une vedette", a-t-il un jour déclaré. Ses relations avec les journalistes seront houleuses. Après son triomphe au Zénith fin 95, il s'achète une page de pub dans "Libé" pour publier les critiques de ceux qui l'ont flingué, assorties de ce commentaire : "Merci d'avoir jugé par vous-mêmes !". Furieux que la presse se serve de lui "pour vendre du papier", il attaque en justice les canards qui mettent sa photo en Une sans autorisation… Alors qu'à ses débuts, il squattait les pages des journaux pour ados comme aujourd'hui les 2Be3.
Un multimillionnaire qui hait les riches.
Que fait Goldman de tous ses millions ? "Pas grand-chose. Je paie mes 60 % d'impôts et j'en suis bien content", déclare-t-il en substance aux rares journalistes qui ont l'honneur de l'interviewer. Langue de bois ? Apparemment, non. Il habiterait toujours, avec femme et enfants, dans un pavillon de Montrouge, près de chez sa mère. Et affiche un franc mépris pour les riches. "Lady Di qui prend un jet privé à Portofino pour aller dîner au Ritz, c'est d'une telle vulgarité !", balance-t-il sur M6 en 1998. S'il affirme que "les vrais bonheurs sont bon marché", Jean-Jacques Goldman ne se prive pas pour autant du confort que procure l'argent : il vient d'acheter une maison de 25 millions de francs à Saint-Nom-la-Bretèche, selon le magazine "Platine".
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