Goldman: un troubadour fin de siècle
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Goldman: un troubadour fin de siècle
Le Mauricien, 02 avril 1999
Jean-Jacques Goldman nous revient. Pour un concert qui aura lieu le dimanche 4 avril à 19h30 à La Citadelle. Il viendra et chantera devant un public enthousiaste et conquis d'avance. Il enflammera les quelques milliers de personnes qui se déplaceront à la Citadelle. Ce sera l'un des moments forts de cette année au plan culturel. Tout cela est bien prévisible. Pourtant, on serait bien fat de nier que le charme Goldman opère toujours. Un charme à toute épreuve.
En passant, son dernier album, est une vive saisie des moments furtifs dans la vie des gens ordinaires. Goldman a toujours fait preuve d'une réelle propension à raconter ces histoires simples, presque banales, d'hommes et de femmes tirés de notre quotidien. Et l'homme est la clé de voûte de sa symphonie.
De l'amour qui refuse à se dire dans "Sache que je" aux nouveaux "actes manqués" que raconte "Quand tu danses", le nouvel album de Goldman réitère la foi du parolier-musicien en la simplicité. Textes courts, inscrits dans le concret, et musique aux résonances des cantiques amoureux sont les deux principales caractéristiques de cet album.
La poésie de Goldman reste ancrée dans le vécu, à l'image d'une rime événementielle, comme c'est le cas avec "Elle écrit seule à sa table et son café refroidit - Quatre mètres infranchissables, un bar un après-midi" dans la chanson "Tout était dit" ou encore avec "Des routes et des motards et des matches de rugby - Des spaghetti, Fréderic Dard et Johnny Winter aussi" dans "Bonne idée".
Sans aucun doute, ce romantisme désabusé, populaire et recherché a son public. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, ses albums plaisent tant aux plus jeunes. Son rayonnement dans les fanzines ados n'est un secret pour personne. Mais il est faux de croire qu'il chante ou écrit des chansons mièvres à la Bruel.
Goldman propose des textes - et c'est un auteur talentueux autant qu'un phénomène doué d'empathie à voir les textes qu'il écrit pour autrui - et une musique qui se situent entre rêves inaccessibles et besoin d'exister. En faisant de son identité juive, qui le rend particulièrement sensible au faux procès fait à l'immigration en France, un tremplin pour réclamer à la fois le droit à la différence et celui d'aimer les influences les plus diverses.
Rock
Le gospel des églises afro-américaines, le rhythm & blues et le rock d'une part. Mais aussi d'autres musiques rythmées, le raï par exemple, à entendre cet Aïcha de Khaled qui fit, qu'on le veuille ou non, un tabac dans les chaumières. La chanson à texte également du côté d'une très bonne chanson française qui sait manier les mots en faisant simple. Une excellente chanson populaire en somme.
Mais que chante J.J. Goldman au juste? Le mal-vivre du quotidien, la solitude des villes et des banlieues, les lieux-communs des amours difficiles et du besoin d'aimer, la nécéssité d'avoir des "frangins" de toutes les couleurs et de combattre le poison du racisme… et comment ne pas parler de ce métissage qui est mis en évidence par les membres mêmes de son groupe qu'on ne présente plus et de leurs cultures musicales "autres".
Carole Fredericks, Michaël Jones. Parmi les plus notoires. Mais qui disent bien que la multiplicité des origines peut, avec juste un brin d'intelligence, être un atout. Culturel, convivial, enrichissant. Et musical. Et tant pis pour ceux que cet autre lieu commun énerve. Goldman et bien d'autres ne chantent pas pour eux. Comme le sous-entend "Le steak" de Le Forestier. Même si en consommateur machinal, ils se hasardent aux portes des concerts ou écoutent leurs chansons, dont ils ne doivent pas bien comprendre les paroles.
Chez Goldman, certains verront de la sensiblerie, peut-être, mais aussi la beauté des gestes et des mots. Ses chansons sont des odes qui, si elles évitent parfois la noirceur pour arpenter des désirs secrets, n'habitent pas un pays chimérique. Pour à la mode qu'il soit, le combat contre le racisme qu'il mène est tout à fait en accord avec le fait qu'il vienne, seul, promener ses godillots du côté de chez nous. Certes, on peut, avec raison, devenir grincheux en constatant le prix du billet même s'il ne vaut que FF60… largement en deça de ce que vaut un concert en France. Il est largement au-dessus du prix d'un concert local !
Baladin
Le seul titre de l'album, "En passant", rend compte des préoccupations sociales du chanteur-parolier. Poète de la chanson française contemporaine, anti-star et troubadour fin de siècle à la guitare électrique qui s'entête à évoquer des images familières. Au passage.
Baladin doté de cette nostalgie de l'ange déchu - et c'est en cela qu'il plaît aux plus jeunes, aux plus purs aussi - sa voix se veut le miroir de ce qu'on ne dit pas. L'indifférence. L'oubli. L'égoïsme. Les petites gens aux histoires sans intérêt pour autrui. Des vies simples dans des décors simples, urbains, nus. Mais à l'atmosphère limpide. Le dernier album de Goldman répond à ses détracteurs. Traversant la périlleuse épreuve du temps, le chanteur-compositeur-interprète croit toujours aux mêmes valeurs qu'il énonce depuis le début de sa carrière.
Tant dans l'écriture musicale que dans les textes. Mais cet album marque aussi une sorte de maturation de l'artiste. Ce qui se disait avec du rythme, dans ses précédents albums, s'appuie désormais sur une musique qui frôle le blues. On comprend mieux, dans cette perspective, la démarche du compositeur qui, régulièrement, se fait parolier pour des chanteurs comme Hallyday ou Céline Dion.
Au-delà de cette modestie qui le pousse à prêter ses mots à d'autres voix, il y a aussi le fait que Goldman a une conception de la musique qu'il tente de partager avec d'autres. C'est aussi une manière de voir la société française que font passer ses chansons, qu'il les chante lui-même ou que d'autres lui prêtent leurs voix.
Né à Paris de parents étrangers - son père est né en Pologne alors que sa mère est allemande - Jean-Jacques Goldman porte un regard des plus distanciés. On imagine presque celui d'un étranger, sur la société française.
Il chante et bouscule. La jeunesse française y répond avec engouement. Puisque la musique n'a pas de couleurs, notre jeunesse - euro, afro, indo, sino ou batardé - à nous pourrait s'y arrêter elle aussi. Surtout si, comme chez Goldman, il s'agit d'une façon de décrier les basses-cours complaisantes qui n'aiment pas ceux qui marchent seuls ou qui n'aiment pas les "bandes". "Plus de quatre on est/une bande de cons…". Une manière égrillarde de voir les cliques, les troupes, les moutons qui processionnent. Dans toute société…
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