Trois dames de coeur
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Trois dames de coeur
L'Express, 6 mai 1999
Gilles Médioni
Retranscription de Monique Hudlot
Patricia Kaas, Mylène Farmer, Axelle Red : les trois chanteuses publient chacune un album dont l'amour est le pivot. Rencontre avec Patricia, la fille de l'Est
Le "Mot de passe", cinquième album de Patricia Kaas, saisit la femme de 32 ans à un carrefour : histoires de peau, batailles de sentiments, chagrins, ruptures, déroutes, conversation avec une mère et esquisse d'enfant à naître… Depuis "Mademoiselle chante le blues" (1987), la fille de l'Est - comme la qualifie Jean-Jacques Goldman - de Lorraine et des frontières, a investi la chanson française d'une voix puissante et royale, arpentant divers territoires (variétés-blues- rock et trip- hop) et plusieurs continents (Europe, Asie, Etats-Unis). Après avoir "opéré" pour Florent Pagny et Johnny, Pascal Obispo signe, avec son équipe d'auteurs (Zazie, Lionel Florence et Didier Golemanas), 10 des 12 chansons du "Mot de passe", un disque traversé de violons habiles, de pianos délicats et d'accélérations de guitares. Si la touche Obispo se fait plus ou moins discrète selon les morceaux, le chanteur- compositeur-réalisateur et arrangeur jette un pont vers Goldman, auteur de deux titres. Pour L'Express, Patricia Kaas, qui sera en tournée à travers la France au début du mois de novembre prochain et au Zénith, à Paris dès le 12 novembre, révèle ses émotions et radioscopie ses chansons.
Gilles Médioni : Pourquoi cette collaboration avec Pascal Obispo ?
Patricia Kaas : J'ai fait appel, comme pour mes disques précédents, à plusieurs auteurs-compositeurs, dont lui. J'aimais ses mélodies, ses sons d'aujourd'hui, ses auteurs, mais il n'était pas du tout prévu qu'il compose autant de titres, et il nous a d'ailleurs fallu du temps pour aller l'un vers l'autre. Je lui avais confié mon goût pour les albums de Madonna ou de George Michael, une envie d'airs rapides et de donner de la voix. Je lui ai d'abord refusé beaucoup de musiques, mais Pascal s'est battu pour m'habiller sur mesure. Il en a écrit une quarantaine, et, au fil des mois, il a appris à mieux me connaître, retravaillant des refrains quand je le lui demandais, dans un coin du studio avec son ordinateur et son clavier. Il m'a poussée à improviser, à oser davantage une voix de tête, un saut d'octave.
Gilles Médioni : Le thème principal reste l'amour ?
Patricia Kaas : J'avais sollicité des textes autour de sentiments vrais, de situations réalistes. Finalement, ainsi ordonnées sur l'album, les chansons dessinent une histoire d'amour, une courbe se met en place, de la passion au sacrifice, de l'amour en fuite au mot de la fin : "Le mot de passe, ce sera nous".
Gilles Médioni : Parlez-nous de "Et je m'en veux"…
Patricia Kaas : C'est aussi une chanson d'amour, mais très particulière, écrite par Lionel Florence [l'auteur de "Savoir aimer"]. Une femme se reproche de ne pas pouvoir et de ne pas savoir dire "je t'aime" à sa mère. Ces paroles sont à 100% à l'opposé de moi, je partageais une grande intimité avec ma mère, et j'ai d'abord lutté contre, je les ai même transformées, effaçant les références. Tout sonnait banal et faux. Alors, j'ai pensé aux personnes que je connaissais, malades de ne pas communiquer avec leurs parents, je me suis abandonnée. Au premier refrain, Pascal Obispo, qui était près de moi, a pleuré.
Gilles Médioni : Que représente pour vous "Les chansons commencent", un titre de Jean-Jacques Goldman ?
Patricia Kaas : L'existence est faite de chants de bonheur (mariages, naissances, banquets, Coupe du monde) et de chants de guerre, de deuil. Lors d'un enterrement, quand cet orgue horrible retentit dans l'église, c'est déchirant et, à la fois, on a besoin de toucher du doigt cette douleur. Car tout commence et tout finit - hélas! - par des chansons. Et sans la musique, ma vie ne serait pas entièrement remplie.
Gilles Médioni : De quelle façon est né "Une fille de l'Est", également signé Goldman ?
Patricia Kaas : Jean-Jacques, un ami simple, un ami cher, me connaît bien. Son authenticité m'émeut, et il y a toujours une pointe de mélancolie dans les textes qu'il m'écrit. J'ai insufflé ma vérité à "Une fille de l'Est", puisque cette fille, c'est moi. Comme le texte l'exprime, les filles de l'est de la France, et j'ajouterais d'Allemagne ou de Russie, sont "dignes et debout dans leur silence". Nous avons en commun une blancheur, une froideur, un côté introverti, l'héritage des guerres aussi…
Gilles Médioni : Les grandes guerres et les guerres de l'âme ?
Patricia Kaas : Celles des combattants de la vie, des battants. Me battre ne m'a jamais fait reculer.
Gilles Médioni : Quel bilan tirez-vous de ces douze dernières années ?
Patricia Kaas : A l'occasion des 50 ans de Paris Match, un récent sondage m'a élue chanteuse préférée des Français après Céline Dion et Edith Piaf. Je suis étonnée et heureuse d'avoir autant marqué la chanson, d'être si chère dans le coeur des Français. Mon père serait fier du nom des Kaas. Mais il me reste toujours des choses à prouver, des défis à relever.
Gilles Médioni : Quand écrirez-vous vos propres textes ?
Patricia Kaas : J'écris. Des mots tellement simples et forcément tristes sur mon père, sur ma mère [tous deux décédés]. Ma première chanson aura un lien avec eux. Pour l'instant, je cherche la clef. On cherche toujours la clef des choses. Un jour, je la trouverai sans savoir comment ni pourquoi.
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