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Patron, la même chose !
(Libération, 11 octobre 1999)

Patron, la même chose !
Libération, 11 octobre 1999
Pierre Marcelle
Retranscription de Monique Hudlot

Alain Etchegoyern et Jean-Jacques Goldman Les pères ont des enfants

Un jour, Alain Etchegoyen et Jean-Jacques Goldman se rencontrèrent. C'était paraît-il à la Maison de la radio, à l'occasion d'une émission de France-Inter. Ils firent copains. Mieux, ils se considérèrent. Et, comme chez Flaubert Pécuchet dit à Bouvard : "Tiens, nous avons eu la même idée, celle d'inscrire nos noms dans nos couvre-chefs", ces deux- là se dirent : "Tiens, nous sommes tous deux papas !" Bientôt, Bouvard : "Ma foi ! Si nous dînions ensemble ?" Et bientôt, Etchegoyen (1) : "Ma foi ! Si nous faisions un livre ?" L'éditeur le Seuil, fort de sa compétence en matière d'éducation des petits nenfants (2), s'entremit. S'ensuivit ce bavardage en forme de livre au titre en forme de truisme, duquel il ressortirait que les pères ont des enfants (3).

A eux deux, des enfants, le chanteur-compositeur Goldman et le philosophe de cabinets (libéraux) Etchegoyen en ont neuf, comme l'établit la dédicace du recueil de leurs sidérales réflexions, sous- titré "Dialogue entre deux pères sur l'éducation". Vaste sujet, à propos duquel le lecteur sera fondé, peut-être, à se demander qui parle, et au nom de quoi : en vrac, quels âges, les mômes ? Combien à chacun des locuteurs, de combien de lits ? Et, last but not least, éduqués où, dans quels établissements­publics ou privés ? De brèves notices biographiques consacrées aux vies et oeuvres des deux auteurs n'eussent pas non plus nui au lecteur auquel l'activité philosophico- médiatique et politico-mondaine du boulimique Etchegoyen aurait par extraordinaire échappé. Juste un tantinet de méthode, quoi... Mais rien de tout cela. Le lectorat potentiel est présupposé fan de. Fan de Goldman, bien sûr, puisque le chanteur de variété est par définition un homme à fans, mais aussi fan d'Etchegoyen, producteur de philosophie en tube (cathodique).

Concernant la genèse de leur ouvrage, tous deux constatent : "Au fil de nos discussions, nous en revenions toujours à nos enfants (…) Comme si la paternité donnait son sens véritable à notre vie". Pour la méthode, c'est le service minimum du "dialogue qui permet au musicien de questionner le philosophe et au philosophe d'essayer de lui répondre, convaincu que le dialogue se nourrit toujours du dialogue avec l'autre qu'il n'est pas". (4). On sourira à ce paradoxe, que, dans cette division du travail, les réflexions du chanteur apparaissent d'abord d'une fraîcheur revigorante, comparées aux scolastiques réponses de l'agité de tous les bocaux. Puis, bientôt, leur propos se dilue. C'est de la guimauve servie à la pression, en dix chapitres dont un seul ("Les grands changements : affaire de responsabilité") tricote un minimum le concept (5). Un autre ("D'où parlez-vous, "camarades" ?") prétend régler le compte définitif de Mai 68, dont il est désormais acquis, pour nombre de témoins et acteurs de ce temps-là, que le diable y inspira nombre d'erreurs de jeunesse, toujours à exorciser. N'est-ce pas d'ailleurs d'alors qu'il faut dater ce coupable relâchement, dans les écoles et dans les moeurs, dont la morale et la pédagogie ne se sont jamais remises ? (6). Sur une trame de bons sens qui ressemble fort au sens commun, tous les autres thèmes évoqués constituent autant de prétextes à bavasser de tout et de n'importe quoi : le respect qui se perd, la mode street wear, la démission des parents, les programmes de télé, la drogue à la ville et le sport aux champs, le salaire d'Anelka et les coudes sur la table. Le tout agrémenté de perles somptueuses (7) et de gamineries pouffées sous cape sur le thème : "Oh la la, qu'est-ce qu'on n'est pas politiquement corrects, nous deux ! Sûr que les journalistes vont nous trouver drôlement réacs !"

Réacs, certes ­comme tous ceux qui pleurnichent que si-les-chômeurs- voulaient-bien-se-prendre-en-charge… Réacs, mais surtout un peu cons- cons, lorsque Goldman boude à cause de ses mauvaises critiques et réclame un "contre-pouvoir" aux médias, ou quand Etchegoyen s'excite en de douteuses paraphrases ("dès que certains entendent le mot morale, ils sortent leur revolver"). Insensiblement, l'aigreur monte, le ton se relâche et les masques tombent. Comme au bistrot où le taulier, trop appâté par le gain, remet les tournées sans barguigner. Quand il se décide à suggérer que "ça suffit, les gars, vous devriez rentrer chez vous, maintenant", il est généralement trop tard. (1) D'après ce que nous avons pu reconstituer de cette rencontre historique. (2) Outre l'impayable "Voyage de Théo" de Catherine Clément, le catalogue de la maison propose notamment sa collection d'explication du monde à l'usage des très jeunes générations. (3) Il doit y avoir là-dessous une astuce dont il me faut bien avouer que je n'ai pas saisi toute la subtilité. (4) Du Etchegoyen pur jus, ça… Difficile, décidément, de prendre le bonhomme au sérieux. Il y a chez ce mec une vanité de forme et un opportunisme de fond qui démentent, pour ainsi dire ontologiquement, la qualité de penseur qu'il revendique. Quand Monsieur Jourdain fait de la philosophie, Mlle Agnès, de chez Canal, passe sans conteste pour le Spinoza de la modernité. (5) Etchegoyen ("Notre concept de la responsabilité est une réinterprétation nouvelle de la morale") y recycle le fond de sauce de ses oeuvres complètes et consensuellement "républicanistes" (vous savez, cette fumeuse et furieuse propension à l'aller-retour entre Charles Pasqua et Jean-Pierre Chevènement…). Goldman y fait pour sa part état d'un touchant ­ quoiqu'un peu obsessionnel ­ souci de sécurité, que, en tant que citoyen reversant "60% à 70%" de ses revenus au fisc, il est certes en droit de revendiquer. (6) En terminale chez les jésuites, Etchegoyen déjà tortueux se sentait "disons plutôt à gauche", et manifesta sur les Champs-Elysées "avec une grande banderole que nous avions fabriquée avec les copains : La révolution avec de Gaulle". Goldman cependant, en première Porte de Vanves, constatait sobrement que "tout était noyauté par les Jeunesses communistes". (7) Etchegoyen (p.195) : "Prenez l'affaire Dumas et le scandale des bottes à 11 000 francs : est-ce vraiment scandaleux ? Certains vont s'acheter des chaînes hi-fi à double prix, on ne dira rien".


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