Les plus belles citations de Jean-Jacques Goldman
Tout sur l'actualité de Jean-Jacques Goldman
La vie de Jean-Jacques Goldman, de ses origines à aujourd'hui
Tout sur les chansons de Jean-Jacques Goldman
Tous les albums de Jean-Jacques Goldman
Tous les DVD et les cassettes vidéo de Jean-Jacques Goldman
Toutes les tournées de Jean-Jacques Goldman depuis 1983
Interviews, essais, livres
Robert Goldman : l'autre Goldman
Pierre Goldman : le dossier
L'histoire des Restos du Coeur et les tournées des Enfoirés
Les sondages de Parler d'sa vie
Listes de discussion et de diffusion, liens, adresses utiles, recommandations
Goodies : Jeu, fonds d'écran, humour...
Le livre d'or de Parler d'sa vie
Le pourquoi de tout ça...

Goldman : Rebrousse-gauche
(Marianne, 26 novembre au 2 décembre 2001)

Goldman : Rebrousse-gauche
Marianne, 26 novembre au 2 décembre 2001
Alexandre Panado
Retranscription de Christian Thierry

Décrié puis courtisé par la gauche, celui dont les tubes ont accompagné toute une génération depuis vingt ans veut simplement sonner juste, au mépris de toutes les récupérations.

On ne veut pas toujours se l'avouer, mais les variétés ne servent pas seulement à passer le temps dans les embouteillages et à meubler les samedis soir télévisés. C'est souvent avec elles que l'on apprend à vivre, à aimer, à espérer, avec elles que l'on rêve de l'humanité future ou simplement de l'année prochaine. Et les chanteurs sont souvent nos grands frères, nos oncles, nos parrains, que l'on apprenne à mépriser les bourgeois avec Brel ou à aimer l'amour avec Barbara. Ces jours-ci sort un nouvel album de JJG, "Chansons pour les pieds", précédé sur les ondes depuis quelques semaines par les vastes chœurs d'Ensemble : "Je ne me souviens que d'un mur immense/Mais nous étions ensemble, ensemble/Nous l'avons franchi/Souviens-toi/Ensemble". Encore un hymne goldmanien, une chanson pour se tenir la main, pour regarder l'horizon, pour se réchauffer devant l'obstacle. Qu'en restera-t-il plus tard lorsque le temps aura passé, lorsque l'on aura grandi ? Cela fait presque vingt ans que JJG donne à la France des chansons qui lui ressemblent et qui, en même temps, la changent. Un seul chiffre, pour bien comprendre : six disques de diamants, c'est à dire que six de ses albums se sont vendus à plus d'un million d'exemplaires. Comment imaginer qu'un si énorme et durable succès ne laisse pas de trace dans la société française !

Une génération qui "marche seule"

Justement, lorsque l'on examine ces traces, on a des surprises, comme avec Christine, 30 ans, cadre supérieur dans un grand groupe français. Stock-options, augmentation de salaire annuelle, primes d'objectif : une belle carrière, une vraie vocation. A 15 ans, elle savait qu'elle intégrait l'institut supérieur de gestion parce que la scolarité se déroule en partie à l'étranger : New York, Vietnam, Indonésie, Thaïlande… Une "expat" donc qui vibre de la mystique libérale, déteste la loi sur les 35 heures et est devenue bouddhiste en Asie – le jeune chic libéral contemporain. Comment décide-t-on à l'âge de la première guitare et du premier pétard, qu'on passera sa vie à parler en commercial english et à s'extasier devant une marge brute ? Quelle est, là dedans, la part du rêve ? Christine répond : "JJG. Envole-moi ou Je marche seul, qu'est-ce que ça raconte d'après toi ?" On n'y aurait pas pensé, en se souvenant de JJG, mobilisé pour SOS Racisme avec sa cravate en cuir et "Quand la musique est bonne". Sur une autre orbite que les intentions humanistes de la génération Mitterrand. Envole-moi peut être compris comme un dégoût de la France de 1984. JJG chante : "J'ai pas choisi de naître ici/Entre l'ignorance et la violence et l'ennui/J'm'en sortirai, j'me le promets/Et s'il le faut j'emploierai des moyens légaux/J'ai pas choisi de vivre ici/Entre la soumission la peur et l'abandon" ; et, plus loin :"Me laisse pas là, emmène-moi, envole-moi/Croiser d'autres yeux qui se résignent pas". Dans cette année où la France de Laurent Fabius déçoit le peuple du 10 mai, des jeunes qui se découvrent une conscience politique, rêvent d'étendre leurs ailes : pourquoi ne pas vivre ailleurs, dans un autre peuple, sous un autre régime ? Dix ans plus tôt, on rêvait encore de Katmandou pour échapper aux petitesses des Dupont-La joie. Là on s'imagine bâtissant un empire à Bangkok, pour échapper au règne des fonctionnaires socialistes. Autrement dit "Et j'men fous, j'men fous de tout/De ces chaînes qui pendent à mon coup/J'm'enfuis, j'oublie/J'm'offre une parenthèse un sursis/Je marche seul". Après Bob Dylan en prophète de la révolution adolescente, Michel Polnareff en archange de l'amour libre et Léo Ferré en parrain de l'anarchie seventies, voici JJG en apôtre des carrières de cadres internationaux ?

Méprisé par la gauche

Il y a à gauche, un quiproquo curieux à propos de JJG. Longtemps, il fut de bon ton de mépriser ce chanteur à voix aiguë qui rendait folles les gamines de 15 ans. Lui-même, pour remercier ses fans après une tournée [sic], a un jour reproduit dans une page de publicité les plus virulentes attaques de la presse à son endroit – elles sont salées et très à gauche. Mais ça s'est calmé au bout de quelques années, et pas seulement parce que le poids commercial de JJG a fini par le légitimer a posteriori : pêle-mêle, quelque temps de compagnonnage avec Harlem Désir, des prises de position "estimables" sur quelques sujets de société et le fait qu'il soit le demi-frère de Pierre Goldman, martyr de la génération perdue du gauchiste français armé, lui assurent la sympathie du pouvoir rose. On a considéré Goldman comme acquis à une sorte de socialisme vaguement rocardien, satellite à l'orbite proche de Mitterrand. On confondait : dire que Goldman est humaniste, que le président est humaniste donc Goldman est mitterrandiste, c'est un sophisme, et non une démonstration de transitivité. En 1993, réveil cinglant pour les barons socialistes qui rêvaient d'embaucher, un jour ou l'autre, Goldman dans leurs plans : alors qu'il a publiquement soutenu Michel Rocard en difficulté dans sa circonscription de Conflans Sainte Honorine, la chanson On n'a pas changé solde l'hypothèque en stigmatisant "un président pathétique, cynique et boursouflé". Goldman accroche au mur des désillusions "des vieux leaders en vrai toc /Des gourous périmés/Pas mal de stars de rock en stock, ex rebelles jetsettisés". Bel affront, et d'autant plus cruel que cette chanson passe presque inaperçue à coté de celle qui donne son titre à l'album, Rouge. Car le fils d'un héros polonais de la résistance célèbre le grand espoir communiste qui a fait rêver des générations de militants : "Y aura du soleil sur nos fronts/Et du bonheur plein nos maisons/C'est une nouvelle ère, révolutionnaire/ Un monde nouveau tu comprends/ Rien ne sera plus jamais comme avant/C'est la fin de l'histoire, le rouge après le noir". Explication par l'auteur : "j'envie un peu les militants des années 20 à 30. Le monde était simple, il y avait d'un côté les gentils, la vérité absolue et la logique et, de l'autre, les méchants. C'était assez confortable".

Ni rose ni rouge ni à droite

Mais les années 80-90 sont plus compliquées : la gauche au pouvoir après les décennies de fantasmes politiques, l'épreuve de l'alternance, les premiers ministres usés l'un après l'autre, Bernard Tapie, les affaires, les compromis … On voit des hommes intègres à droite comme à gauche, des apôtres de la morale convaincus de corruption, des idées politiques et même de grands principes qui se présentent à fronts renversés. Goldman peut être nostalgique de cet âge simple des révolutionnaires affrontant la réaction sur une ligne de partage toujours visible.

Alors contrairement à quelques-uns uns de ses confrères de gauche qui s'entêtent à conserver la même orientation – de Juliette Greco à Bernard Lavilliers -, JJG prend le large, idéologiquement. Car, s'il y a quelque chose de simple dans son éducation, ce n'est pas le simplisme des solutions politiques, mais la simplicité du bonheur. Chez les Goldman, on n'enseigne pas le chemin unique vers les lendemains qui chantent, mais l'amour de la liberté, le primat de la dignité humaine et ces petits principes à la généreuse chaleur : "j'ai toujours su que la richesse, c'est un Livre de Poche, un poulet grillé aux herbes de Provence par Mme Simone, une plage avec du soleil, un concert à 180 F la place, un tennis avec un ami". Avec ça, comment croire au grand soir et se sentir à l'aise devant le socialisme en Safrane, comment lire le monde au seul filtre de la lutte des classes et suivre les louvoiements de la realpolitik mitterrandienne ? C'est clair : Goldman n'est ni rouge, ni rose. Mais il n'est pas vraiment à droite non plus. Un exemple ? Dans une interview au Figaro, en 1997, il se dit heureux de payer énormément d'impôts, et s'affirme opposé à l'idée d'héritage, jugeant que ce serait ne pas rendre service à ses enfants que leur transmettre sa fortune. On est plus près de Prudhon que de Madelin ! Mais deux ans plus tard, il prend à rebrousse-poil la gauche bien-pensante, qui le croyait appartenir, sinon à son système politique, du moins à son cousinage culturel et moral. "Les pères ont des enfants" sous-titré "dialogue entre deux pères sur l'éducation" (Seuil, 1999) est le fruit d'une rencontre avec le très médiatique philosophe Alain Etchegoyen. Les deux hommes ont le même âge et tous les deux des enfants. C'est l'argument de leur dialogue, Goldman posant les questions en candide et Etchegoyen lui répondant en détenteur d'une réflexion neuve sur l'état de la société. Mais "Les pères ont des enfants" va bien au-delà : le chanteur dévoile des craintes, des passions, des choix qui balayent l'image d'un bon gars plutôt de gauche. Il avait 17 ans en 1968 et il règle leur compte aux gauchistes d'hier et d'aujourd'hui : "Quand on hurle "CRS SS" j'entends "les juifs à la mer !" […] Quand NTM incitait à "casser du flic" pour moi c'est aussi grave que casser du bougnoule". Quant aux événements et leurs conséquences, il frappe tout droit : ce qui m'a frappé […], c'est la démission des professeurs, à quel point certains ont été complices de cette négation de leur autorité". Et lorsqu'il parle de l'école avec Etchegoyen, il se réjouit : "on va vraiment faire très réac, j'adore ça !" Réhabiliter l'effort, l'autorité du professeur, les savoirs de base : les deux pères attaquent de front les idées bien reçues à gauche. Sur la sécurité et les craintes traditionnelles de la gauche face à l'idéologie sécuritaire, sur le droit à l'expression de jeunes, et même sur le rap, Goldman se livre plus que jamais – et franchement à rebrousse-gauche. Gêné, Libération va les trouver "un peu cons-cons".

Un juste, juste modeste

Mais ce qu'affirme avec force le chanteur dans ces entretiens, c'est sa position quant à l'engagement : il se refuse à influencer son public, à lui délivrer quoi que ce soit qui ressemble à un mot d'ordre ou à un conseil. Et, selon lui son public refuserait d'entendre ses injections. Son public ? "Des gens intégrés dans la société, note-t- il, pas des marginaux, des gens qui font des études ou travaillent, qui se posent des questions, qui ne vont pas simplement acheter des voitures et regarder la télévision. […] Ils ont toujours un rapport soit avec un militantisme, soit avec une religion, avec l'enseignement, mais avec une autre idée que la consommation". Autrement dit, des gens conscients, actifs, généreux. Ni droite, ni gauche, mais surtout pas indifférents. Un peu miroir de JJG qui consacre chaque année 2 ou 3 mois à organiser les concerts des Enfoirés. Son seul militantisme est là, dans la passion qu'il met à poursuivre l'œuvre de Coluche, comme dans d'autres actions généreuses et discrètes. Une histoire à la curieuse modestie (l'humilité dans la gloire, en quelque sorte), soucieuse d'être juste plutôt que définitive. Une politique, une idéologie ? Une morale, plutôt : "au bout du mal, où tous les dieux nous quittent/Et nous abandonnent/Dans ces boues noires où même les diables hésitent/A genoux pardonnent / Juste quelques hommes/Quelques hommes justes", chantait-il sur l'album "En Passant". Cette histoire des justes sauvant une parcelle d'humanité est sans doute plus humble que l'espoir de Rouge, mais c'est le destin qui passe, aujourd'hui, à la portée de Goldman. Ce quinquagénaire qui n'a pas voulu être maître à penser d'une génération se soucie surtout d'être un juste. Un juste un peu réac, sans doute, qui fait profession de pragmatisme, d'efficacité, de réalisme, qui ne croit qu'aux vertus du cœur, mais un juste quand même… Espérons que, de cela, la trace reste profonde.


Retour au sommaire - Retour à l'année 2001

- Signaler une erreur Ajouter à mes favoris