L'assurance sans risques de Jean-Jacques Goldman
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L'assurance sans risques de Jean-Jacques Goldman
Le Monde, 1er décembre 2001
Véronique Mortaigne et Sylvain Siclier
Retranscription de Chrystèle
"Chansons pour les pieds", un hommage aux bals
Jean-Jacques Goldman (JJG) est d'une étonnante fidélité à lui-même, "Chansons pour les pieds", son nouvel album (un concept) en témoigne. Il est dédié au peuple, aux musiciens qui, de salles des fêtes en kermesses, interprètent les airs du moment et maintiennent vivaces les vieux succès anglo-saxons ou français. "C'est l'unique ambition de ces chansons : faire que des gens se lèvent, se regardent, se parlent, se frôlent, chantent et dansent. Juste des chansons pour les pieds", écrit-il dans le livret de l'album (dessins de Zep, coffret en métal, 135 francs en prix découverte). Techno, gigue, slow, rock, chorale, pop : voilà trente ans que le monde part en boum, que les ados flirtent sur des chansons à l'efficacité éprouvée, et que JJG reste JJG.
Le chanteur revendique la légitimité du succès. Jugée à cette aune - les ventes, les passages en radio et en boîte de nuit -, la "Danse des canards" est effectivement un sommet de l'art chorégraphique. Mais qu'en est-il sur le fond ? "Chansons pour les pieds" affiche sa modestie. En comparaison, Florent Pagny, autre gros vendeur, est un audacieux kamikaze, avec versions techno hardcore de Léo Ferré ou de Serge Gainsbourg, un sacrilège que l'auteur de "Quand la musique est bonne" ne saurait jamais commettre. Ces douze "Chansons pour les pieds" sont autrement respectueuses !
Fidèle, donc, discret et conscient, JJG vient de fabriquer un disque enraciné dans son histoire personnelle. Deux tubes en puissance, "Une poussière" (technoriental) et "Un goût sur tes lèvres" (rhythm n'blues) nous disent : trop de bruit pour rien, trop de mensonges, d'inégalités.
Référence à Descartes
En 1966, les Red Moutain Gospellers se produisent dans l'église Saint- Joseph de Montrouge, et publient leur premier disque grâce au père Dufourmantelle, jeune prêtre dynamique, qui "va jusqu'à mouiller sa soutane" pour financer cette auto-production. JJG, l'un des piliers de la bande, est scout. Chez les Éclaireuses et Eclaireurs de France, pendant sept ans, il grimpe les échelons, louveteau, puis totemisé (mais jamais chef) et "affublé d'un affreux surnom : "Caffra arrogant et décidé" - le caffra étant un chat sauvage, inutile de vous dire que c'est vraiment le genre de titre qu'on ne choisit pas" (Jean-Jacques Goldman dans Scouts toujours, interviewé par Dolorès Gonzalès et Amélie de Turckheim).
En septembre 1997, juste après les Journées mondiales de la jeunesse de Longchamp, Yves Simon, chanteur, romancier, et intervieweur occasionnel pour le Nouvel Observateur ne résiste pas à la question : "Tu aurais chanté à Longchamp si le Saint-Siège te l'avait demandé ?" Réponse : "Oui, sans doute. Premièrement parce que ç'aurait été mal vu (sourire). Deuxièmement parce qu'il y avait plus de "scouts ridicules" catholiques dans la résistance que d'intellectuels gauchistes (pas de sourire)". Son demi-frère, Pierre Goldman, l'un des symboles du gauchisme des années 1970, fut "assassiné en septembre 1979 dans des circonstances encore aujourd'hui mystérieuses". (Ces informations proviennent de goldman.fr.fm et enpassant.jean-jacques-goldman.com, les sites de fans les plus consultés sur Internet).
JJG sait façonner des mélodies accrocheuses et leur donner le tempo juste - notamment dans le tendre et l'amoureux ("Si je ne t'avais pas", "Ensemble") ou par un regard amusé et simple sur des fragments de vie ("Les p'tits chapeaux"). Mais que de bonnes intentions ! Que de tolérance prudente ! Que d'amalgames ! - "C'est pas vrai" (disco), des poncifs mis bout à bout avec les poujadismes dangereux que le chanteur combat à raison. Le pompon revient à la référence à Descartes dans "Les choses", dénonciation de la société de consommation : "Je prie les choses, elles comblent ma vie, c'est plus "je pense" mais "j'ai" donc je suis". Pour peu, Jean-Jacques Goldman nous demanderait de ne pas acquérir son nouvel opus.
Et d'ailleurs, faut-il l'acheter ? Oui, si l'on est goldmanien (comme on dit sartrien). Non, si l'on a écouté ne serait-ce qu'une seconde Ornette Coleman, saxophoniste bouleversant qui tourne le même air depuis quarante ans en prenant tous les risques. JJG compose des chansons dont le phrasé et le mode de construction sont identiques d'un bout à l'autre. Il les différencie par les arrangements (gros son rock à la U2, un peu de celtitude, d'Orient ou de jazz). On n'osera par parler de "recette", un mot qui fâche l'auteur-compositeur.
Chansons pour les pieds, 1 CD Columbia 504735-2.
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