Jean-Jacques Goldman : “Je suis un chanteur utilitaire”
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Jean-Jacques Goldman : “Je suis un chanteur utilitaire”
Le Soir (Belgique), 5 décembre 2001
Thierry Coljon
Retranscription de Pierre Van Eechaute
Jean-Jacques Goldman vient de publier son nouvel album intitulé "Chansons pour les pieds", parce que celles-ci sont festives et que c'est en tapant du pied qu'on les écoutera. Pour parler de ce disque et de bien d'autres choses encore, le chanteur fraîchement quinquagénaire nous a accordé l'exclusivité d'un long entretien dans les bureaux parisiens de sa firme de disques. Toujours aussi détendu, il nous a parlé de son métier de chanteur et d'auteur-compositeur. Refusant plus que jamais son statut de star, en se montrant notamment assez exigeant avec la presse française, il défend l'idée d'une vie privée très discrète et celle d'une vie publique résumée aux seuls albums et concerts. Il évoque aussi l'état actuel de la chanson française, où les "chanteurs à voix" ont fait leur grand retour, sa complicité avec Gerald De Palmas, ainsi que ses rapports avec Maxime Leforestier, Alain Souchon et autres potes membres de la bande des Restos du Cœur. Quant à ses projets, il en évoque au moins deux : il vient d'envoyer quelques chansons à Maurane, à la demande de celle-ci, et il confirme qu'il viendra bien le printemps prochain à Forest- National, dans le cadre d'une petite tournée de quatre mois. Car il se fait vieux, dit-il avec le sourire...
Rencontre avec Jean-Jacques Goldman à l'occasion de la sortie de son album "Chansons pour les pieds"
Jean-Jacques Goldman n'est pas du genre à multiplier les interviews. Fidèle, il n'a cependant jamais refusé de se confier dans "Le Soir". Nous l'avons retrouvé mardi chez Sony-France, pour une heure de confidences.
Thierry Coljon : Tu as fêté, le 11 octobre dernier, tes 50 ans. Toujours aussi discrètement...
Jean-Jacques Goldman : Je n'aime pas beaucoup les fêtes...
Thierry Coljon : Pourtant, ton nouvel album est très festif. Au lendemain du 11 septembre, n'as-tu pas regretté d'arriver avec un album plutôt joyeux, à contre-courant d'un certain air du temps ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne me suis pas du tout posé la question. Je ne vois pas le rapport. Maintenant, est-ce que j'aurais dû le voir ? Il y a eu d'autres choses aussi, comme la disparition de Carole (Fredericks) qui est arrivée alors que l'album était fini. C'était dommage, quoi. J'ai l'impression qu'un album, c'est tellement "égotrip" qu'il reflète plus les couleurs personnelles que celles du monde. Même s'il s'inspire évidemment de ce qui se passe à l'extérieur...
Thierry Coljon : Dans ce contexte, une phrase comme "Combien d'années pour élever un enfant ? Mais pour l'égorger c'est juste un instant" en arrive à surprendre...
Jean-Jacques Goldman : Cette phrase est née toute seule. Il y a deux trois chansons fourre-tout dans cet album, qui sont sur un thème et où les idées sont jetées pêle-mêle dedans. Il y a par exemple "C'est pas vrai" et effectivement, celle-ci : "Un goût sur tes lèvres". Je me rappelle avoir noté cette phrase-là à la suite d'un assassinat quelconque. Je me suis dit : "mais c'est tellement vite fait par rapport au temps que la mère a mis pour le concevoir et l'élever". Il a 18 ans, il va sur un champ de bataille et en un millième de seconde, c'est fini. C'est très injuste.
Thierry Coljon : Cela fait-il longtemps que tu as en tête un album qui retrouve l'esprit festif des bals ?
Jean-Jacques Goldman : Avant cela, il y a l'émotion que je peux ressentir quand j'arrive dans un café au Sénégal, dans une cave d'un hôtel en Irlande, quand j'entends une chorale d'Alès, à la coupe du monde de football... Où tout à coup la musique arrive. Cet album est aussi inclus dans une chanson que j'avais écrite pour le dernier disque de Patricia Kaas, qui s'appelle "Les chansons commencent", où je suis fasciné par le pouvoir, à ces moments-là, beaucoup plus qu'aux concerts, de la chanson et de la musique. Les gens se transfigurent. Je me dis à ces moments-là qu'on fait un métier magique.
"Je n'ai pas trop envie d'être trop longtemps sur la route. Je me fais vieux maintenant".
Thierry Coljon : C'est ce qu'on retrouve malgré tout aux concerts de Louise Attaque ou de Matmatah...
Jean-Jacques Goldman : Je ne fais pas de jugement de valeur mais ça, cette ambiance de bal, ça m'émeut beaucoup. Ça me rappelle mes années de formation, quand il fallait un orchestre de bal pour mettre de l'ambiance à une soirée. On retrouve beaucoup ça à l'étranger ou dans certains bals de quartier ou de campagne.
Thierry Coljon : Ces "Chansons pour les pieds" sentent fortement l'envie de faire de la scène aussi...
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas si on y pense en écrivant mais l'expérience de la scène intervient certainement sur la composition plus ou moins consciemment. Ceci dit, une chanson comme "Puisque tu pars" ou "Là-bas" marche toujours très fort sur scène alors qu'a priori, ce ne sont pas des chansons de scène.
Thierry Coljon : Pour être logique avec toi-même, tu devrais faire des toutes petites salles, pour être proche du public...
Jean-Jacques Goldman : Tu as raison mais là, ce ne sera pas possible car je ne vais pas tourner très longtemps, quatre ou cinq mois maximum : avril, mai, juin, août . Je serai donc soit condamné à faire des grandes salles, soit à laisser beaucoup de monde dehors. En fait, je n'ai pas trop envie pour le moment d'être sur la route trop longtemps, comme la dernière tournée qui a duré plus d'un an. Je me fais vieux maintenant...
Thierry Coljon : Ne commence pas comme Souchon...
Jean-Jacques Goldman : Non mais Souchon, c'est vrai... Je le lui dis tout le temps...
Thierry Coljon : Pour le titre "Ensemble" qui ouvre l'album avec son joli canon, tu ne crédites De Palmas et Le Forestier que par leur prénom...
Jean-Jacques Goldman : Je voulais qu'ils comprennent à quel point je les ai pris parce que c'était des chanteurs qu'il me fallait et pas parce que c'était des gens connus. Je suis amoureux de leur voix, voilà. Quand j'ai demandé à Gérald, il n'avait pas encore explosé comme maintenant. Pour moi, Maxime, c'est le James Taylor français et Gérald, un genre de Stevie Wonder un peu rock. Ce sont de bonnes voix de canon.
Thierry Coljon : Taï Phong, Fredericks-Goldman-Jones, les Enfoirés... tu as toujours bien aimé être "Ensemble" qui est un peu une chanson manifeste de ce en quoi tu crois le plus.
Jean-Jacques Goldman : Elle marche assez mal en radio...
Thierry Coljon : C'est bien la première fois.
Jean-Jacques Goldman : Oui, oui. Mais moi j'aime bien être un chanteur utilitaire. Soit faire danser, ou faire la chanson des Restos du cœur. Dans mon esprit, "Ensemble" est clairement une chanson qui peut être reprise par des chorales, des scouts, des écoles... J'ai été scout et je pense que c'est toujours un peu les mêmes chansons qu'on reprend. Mon côté boy-scout est une attitude et des valeurs - ridicules probablement mais essentielles pour moi - que j'assume totalement.
Sollicité par Maurane
Thierry Coljon : "Libération", qui te traite de "patron de la chanson française" ou de "seul chanteur français milliardaire", a rappelé tes problèmes avec la presse généraliste. C'est vrai que tu exiges de leur part une lettre de motivation ou de pouvoir relire leurs articles...
Jean-Jacques Goldman : On juge notre travail, on l'aime ou on ne l'aime pas. Je comprends qu'on puisse ne pas l'aimer, ce n'est pas un souci. Par contre, j'ai du mal à comprendre pourquoi tout à coup on ressort mon frère, des déclarations, mon argent, le fait que j'achète une grosse maison... Alors que j'admets à fond que je ne suis pas l'auteur le plus original du monde et qu'il y a une sacrée différence entre Mozart et moi. Pour les interviews, je ne sollicite rien d'abord. Contrairement à certains, je ne demande jamais à ne pas parler de tel ou tel sujet. Je demande à relire les articles en m'engageant à ne rien changer sur la forme mais simplement remplacer des erreurs du style "je déteste Bob Dylan" alors que j'ai dit "j'adore Bob Dylan". Effectivement, je demande à ne pas être en première page, pour des raisons personnelles, parce qu'être à la une des magazines, ça change votre vie quotidienne, ça fait de vous une vedette. Pour moi, il y a une différence entre une vedette et un chanteur professionnel.
Thierry Coljon : Tu as toujours été profil bas. On te voit rarement à la télé. C'est une forme de moralité que te permet le succès ?
Jean-Jacques Goldman : C'est antagoniste avec l'intérêt de la presse, c'est clair, mais pas avec la radio ou la télévision qui mettront en avant les chansons. Je ne parle pas des émissions "people" genre Ardisson, où je ne vais pas d'ailleurs. La presse, par nature, est obligée de parler du personnage. C'est un souci, je m'en rends bien compte.
Thierry Coljon : Il y a très longtemps déjà, tu as dit : "Les chansons sont plus importantes que ceux qui les interprètent".
Jean-Jacques Goldman : Oui et puis quand je vais dans la rue, à un spectacle ou dans un magasin, ça fait une différence dans ma relation avec les gens si je suis ou non en première page.
Thierry Coljon : Certains fans se sont malgré tout plaints que tu ne te sois pas montré à ton récent mariage à Marseille...
Jean-Jacques Goldman : Je n'ai pas de soucis avec les fans. Je pense qu'il y en avait 999 sur 1 000 qui souhaitaient me laisser tranquille à ce moment-là et qui ne me pardonneraient pas d'être dans "Paris- Match" ou quoi... Là, tu me parles de nécrophiles qui n'ont rien d'autre à foutre que de me harceler. Ce sont des cinglés, pas des fans. Ça ne me dérange pas de les décevoir, ceux-là.
Thierry Coljon : Que tu te sois remarié avec une très jeune demoiselle n'est pas non plus facile à admettre par une partie de ton public féminin qui dit : "Obispo ou Bruel, oui, mais lui, ça ne le lui ressemble pas"...
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas trop bien ça, quelle image on a de moi, de sérieux... En tout cas, elle ne vient pas de moi. C'est un malentendu...
Thierry Coljon : Robert, ton frère et manager, est devenu un compositeur connu sur la place publique sous le nom de J Kapler. Te mêles-tu un peu de sa carrière alors qu'il est longtemps resté dans l'ombre de la tienne ?
Jean-Jacques Goldman : Je m'en mêle un peu dans le sens où j'avais pris une de ses musiques dans le premier Céline Dion, que j'ai fait. Il fait de la musique depuis très longtemps. Puis il a commencé à faire des textes, il me refile des cassettes pour avoir mon avis. Robert est un dilettante et il en est conscient. Il ne se prend pas pour ce qu'il n'est pas.
Thiery Coljon : D'où t'est venue cette influence celtique qu'on retrouve sur ce disque ?
Jean-Jacques Goldman : Elle vient de Bruno Le Rouzic, le joueur de cornemuse, avec lequel j'ai tourné lorsque j'étais le guitariste de Gildas Arzel. J'ai fait une petite tournée avec lui en tant que musicien. C'est Bruno qui m'a branché sur son Bagad de Kemperle.
Thierry Coljon : Es-tu toujours aussi sollicité ? L'exemple de De Palmas confirme une fois de plus que tout ce que tu touches devient de l'or...
Jean-Jacques Goldman : De Palmas était quelqu'un pour lequel j'avais beaucoup d'estime. Chaque fois que je l'avais croisé, je sentais que c'était un type très digne, très intègre, très entier. J'aime ça. Quand, au festival Solidays où je l'avais invité à nous rejoindre sur scène, il m'a dit qu'il était planté sur un texte, j'ai proposé de lui refiler un coup de main. C'est tout.
Thiery Coljon : Tes collaborations se passent-elles toujours comme ça ? Jamais par le canal officiel des firmes de disques ?
Jean-Jacques Goldman : Non, j'ai besoin d'un contact personnel. La seule fois où c'est passé par une maison de disques, c'est pour Johnny. Mais je connaissais bien Alain Levy qui me l'a demandé. J'écoute beaucoup la radio même si c'est de plus en plus France-Info. Mais il y a des choses qui me plaisent encore.
Thierry Coljon : Y a-t-il des projets en cours ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, en dehors de la fidélité avec des interprètes comme Céline ou Patricia, j'ai été sollicité par Maurane pour qui j'ai écrit quelques chansons. Mais comme elle change souvent d'avis, je ne sais pas ce qu'elle va en faire. Des chanteuses de cette qualité, ça m'intéresse. J'écris toujours en sachant qui va la chanter. Je n'ai pas de tiroirs remplis de chansons...
Thirry Coljon : Tu ne tournes pas en juillet, c'est pour éviter les Francofolies ? Pourtant, ton disque va bien avec l'esprit festif de ces rendez-vous estivaux...
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est vrai. Je me pose la question exceptionnellement sur cette tournée-ci. Mais je crois que je vais me dégonfler, comme d'habitude. Je vais partir en vacances... Si vraiment il y a énormément de demandes, je ferai peut-être quelques dates en septembre, octobre. C'est difficile de passer de sept ou huit fois Forest-National à deux ou trois fois. Après, je m'arrête. Pour écrire des chansons pour d'autres, j'ai envie de vivre... J'ai l'impression d'avoir conduit un train TGV depuis mes 20 ans et la retraite des conducteurs TGV, c'est 50 ans, donc...
"Ils devraient être plus exigeants"
Thierry Coljon : N'as-tu pas jamais essayé de faire autre chose dans la vie ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais faire qu'écrire des chansons, je pense. J'ai essayé d'écrire une comédie musicale. L'album "Rouge" a été un début puis finalement j'en ai fait un album. Puis j'avais commencé à en écrire une que j'ai bien fait de ne pas sortir car juste après, le film "Titanic" est arrivé. Ce qu'il en reste se trouve sur le deuxième Céline Dion, ça s'appelle "Sur le même bateau". Je ne voulais pas reprendre une grande histoire comme "Les dix commandements" ou "Notre-Dame" mais en écrire une, un scénario. Et je me suis rendu compte à quel point j'étais incapable d'écrire une histoire avec des rebondissements. Ça me passionne moins de composer des musiques sur des textes que je n'ai pas écrits.
Thierry Coljon : Ne trouves-tu pas que la mode des comédies musicales a appauvri un peu la chanson française, qu'on revient en arrière ?
Jean-Jacques Goldman : C'est vrai que la comédie musicale a participé au retour des chanteurs à voix, des Fiori, Garou... qui n'avaient plus leur place depuis les Mike Brant, les Herbert Léonard. Ils étaient un peu interdits de séjour. Chanter bien était devenu suspect.
Thierry Coljon : Cette nouvelle génération tranche par ses textes assez pauvres avec celle des Goldman, Souchon, Renaud...
Jean-Jacques Goldman : C'est une énigme ça, pour moi. C'est comme une espèce de serpent qui se mord la queue. Il y a eu la génération des Mireille Mathieu, des Michèle Torr... qui a été terriblement sanctionnée pour cette raison : la pauvreté des textes. Et ensuite, on a l'impression que ça recommence, comme si les deux choses étaient incompatibles. Ce qui n'est pas vrai. Bono ou Springsteen sont de très bons chanteurs ne disant pas n'importe quoi. Chez nous, c'est pourquoi, sans forfanterie de ma part, "D'eux" a été si haut. C'était une chanteuse à voix qui ne chantait pas forcément n'importe quoi. Je pense que c'est la faute des chanteurs à voix qui devraient être plus exigeants sur leurs textes.
Thiery Coljon : Que t'inspire l'exemple des succès de Manu Chao et Noir Désir, qui se fait sans la télévision ?
Jean-Jacques Goldman : Je pense que c'est plus grave que ça. Ça prouve qu'on s'y salit presque. La question est : est-ce que c'est bien parce que ça marche sans télévision ? Ou est-ce que ça signifie qu'avec promotion, on n'y arriverait plus ? Y aurait-il un tel divorce entre les médias et le public ? J'espère que ce n'est pas ça, ce serait dommage. Moi c'est vrai que ce côté VRP m'a toujours gêné.
Thierry Coljon : Les Restos du cœur, ça devient un peu le grand banquet de la chanson...
Jean-Jacques Goldman : Oui, ces réunions sont sans arrière-pensées, elles ne sont que pur plaisir. C'est parce que j'ai la chance de faire partie d'une génération de chanteurs qui s'admirent et se respectent. Maxime, Cabrel, Julien, Souchon... On s'entend très bien et on n'a pas de problème d'ego. Grâce à notre autorité d'anciens, on tient la jeune garde. Un peu comme une équipe de football. Les anciens sont garants de l'ambiance.
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