Paroles et musiques
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Paroles et musiques
RTL, 15 décembre 2001
Eric Jean-Jean
Retranscription d'Elsa S.
Eric Jean-Jean : Annonce dans un magazine de son déménagement à Marseille et d'un hypothétique remariage. Bref, du bon vieux ragot mais qui présumait une actualité proche. L'affaire se confirme pendant l'été : on apprend que l'album s'appellera "Chansons pour les pieds" et puis on reçoit le premier single et puis… rien. Il faut quand même aller chez Sony pour pouvoir écouter en groupe la petite merveille. Autant de mystères qui ressemblent assez peu à l'artiste pince sans rire et cool que je connais. Mystère et boule de gomme… Aurait-il changé ? Réponse le mardi 13 novembre, 10h du matin chez Sony. Décidément, Jean-Jacques arrive souriant avec son casque à la main. Et évidemment, à chaque fois que trois fous du guidon se retrouvent dans une même pièce, on parle de… moto ! On parle, on parle et puis on décide qu'il faut y aller. Alors on y va. Moi, je suis rassuré : il n'a pas changé. Tant mieux parce que c'est comme ça que je l'aime !
[Extrait de "Peurs"]
Eric Jean-Jean : Bonjour, Jean-Jacques Goldman.
Jean-Jacques Goldman : Bonjour, Eric Jean-Jean.
Eric Jean-Jean : J'ai une phrase de toi : "Je suis quelqu'un de tristement optimiste, un lucide optimiste" et puis une autre phrase : "Quitte à faire des chansons, je préfère qu'elles ne soient pas trop idiotes, mais le plus important pour moi est de faire chanter ceux qui écoutent". On est en plein dans le vif du sujet avec "Chansons pour les pieds".
Jean-Jacques Goldman : Ouais, ça me va ces phrases là !
Eric Jean-Jean : "Chansons pour les pieds". Quand on voit un album, on commence par regarder l'apparence extérieure de cet album. C'est un livre illustré par un dessinateur, on va en parler. Un album en métal, ça y est, on reprend la tradition des "Rouge", "En scène" [sic] etc. c'est encore une idée à toi ?
Jean-Jacques Goldman : Non, ce n'est pas une idée à moi. L'idée que j'ai moi, c'est de regretter les vinyles de mon enfance qui étaient des pochettes qui racontaient quelque chose et il y avait toujours soit des belles photos, soit des gadgets dessus. En tout cas, l'objet lui-même était important pour moi, et là c'est vrai que c'est un petit peu frustrant, le format CD, ce petit morceau de plastique. L'idée, c'était d'en faire un objet autre, en plus, disons, de la musique, que ce soit un objet qui signifie quelque chose en plus de chaque album, voilà !
Eric Jean-Jean : On se rappelle cette pochette pour "Rouge", pour "Sur scène". Moi je me rappelle "New Morning au Zénith" qui était une pochette plastique sur laquelle tu avais collé, enfin pas toi-même, mais où il y avait des petites guitares de collées…
Jean-Jacques Goldman : Qui se décollent d'ailleurs, on me l'a beaucoup reproché !
Eric Jean-Jean : Ah oui, c'est la catastrophe, elles sont toutes parties.
Jean-Jacques Goldman : Tout le monde dit ça, oui.
Eric Jean-Jean : Oui, parce que si tu les mets entre les CD, c'est l'enfer, ça tombe !
Jean-Jacques Goldman : Eh oui…
Eric Jean-Jean : Et puis, outre ce coffret en métal qui est plutôt joli, la première chose à voir c'est le livret qui est illustré par Zep. Alors Zep, c'est un dessinateur de BD ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, oui. Que je ne connaissais pas, parce que moi, je lis pas de BD, et puis je ne m'intéresse pas à grand chose sur le plan visuel. C'est un copain qui s'occupe de tout ce qui est un peu visuel et qui aime bien ça, qui m'a présenté son travail, qui me l'a pas présenté lui, son travail, mais pas son travail de BD, son travail de croquis, ses petits carnets, et j'ai été très séduit par ça. Mais bon, ça procède aussi d'une démarche : il y avait déjà eu un album qui avait été fait par Mattoti. Le dernier, c'était les photos de Gassian donc on essaye aussi d'y mettre quelque chose de joli.
Eric Jean-Jean : Dans ce livret, à la fin, tu dis : "tendre voyeur qui connaît la chanson". Ça veut dire qu'il a passé du temps avec vous pendant l'enregistrement ?
Jean-Jacques Goldman : Ça veut dire deux choses : "tendre voyeur", oui, parce qu'il a passé du temps, il est venu, il se mettait dans des coins avec ses papiers et ses crayons et puis il a passé des semaines comme ça. Et puis il s'en allait puis il revenait. Et puis "qui connaît la chanson" parce que je l'ai vu sur scène, parce qu'il a un groupe de rock, un groupe de rock suisse [rires] et je suis allé le voir, il est guitar hero avec des textes qui valent le déplacement.
Eric Jean-Jean : Justement, tu racontes l'histoire de l'enregistrement, ça aussi c'est mignon. Un enregistrement qui s'est passé cette été ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, même depuis le mois de janvier à peu près.
Eric Jean-Jean : Alors on apprend qu'il y a eu des instruments enregistrés à Lorient, chez Erick Benzi, à Alès…
Jean-Jacques Goldman : Alès, oui, où on a enregistré la chorale de "Ensemble", les fous chantants.
Eric Jean-Jean : Et puis chez toi à Marseille, où j'ai vu que ça avait aussi pas mal joué au tennis.
Jean-Jacques Goldman : Oui ça joue toujours pas mal au tennis, enfin, pas mal, ça joue mal mais ça joue beaucoup [rires].
Eric Jean-Jean : Ça se passe comment d'ailleurs, un enregistrement, Jean-Jacques ? Tu arrives, tout est prêt ?
Jean-Jacques Goldman : Non, c'est très différent justement à cause de la technique. C'est-à-dire qu'on n'est plus obligé d'aller dans des studios. Tout ce qu'on voyait sur les murs dans les studios, qui est tellement impressionnant, toutes ces machines, elles tiennent dans un ordinateur portable. Donc ça permet d'aller à Lorient, à Alès, on peut enregistrer dans son jardin, on peut enregistrer dans sa salle de bain si on trouve que l'écho est joli.
Eric Jean-Jean : Ça veut dire que c'est la fin, petit à petit, des studios, ou tu as quand même besoin à un moment d'y aller ?
Jean-Jacques Goldman : Non. On a besoin d'y aller, quand tu fais quarante cordes par exemple, parce que ça ne tient pas dans ton salon ; quand tu fais une batterie, parce que sinon, il y a les voisins qui ne sont pas d'accord. Il y a besoin quand ce sont des musiciens qui viennent d'un peu de partout et qu'on se rejoint quelque part… mais effectivement, pour beaucoup de choses on est libéré de ça.
Eric Jean-Jean : Mais ça ne crée pas une atmosphère particulière quand même d'être dans un studio ?
Jean-Jacques Goldman : Probablement. Il y a des gens qui sont très sensibles à ça. Je sais par exemple que - je ne veux pas du tout me comparer - mais les Stones ont toujours même composé en studio. Mais c'est le seul endroit où ils peuvent se donner rendez-vous, où ils sont sûrs que tous viennent ! [rires] Parce que s'ils se donnent rendez-vous les uns chez les autres, il y en a toujours un qui est encore ailleurs !
Eric Jean-Jean : Tu sais que le dernier album de Mick Jagger que l'on a reçu la semaine dernière…
Jean-Jacques Goldman : Avec Kravitz ?
Eric Jean-Jean : Il n'y a pas de Kravitz, en fait ce n'est que le titre. Et lui, il a enregistré comme toi, avec un studio itinérant. Il est arrivé avec sa guitare, il jouait des trucs etc. et c'est après qu'ils ont monté…
Jean-Jacques Goldman : Oui, je pense qu'il n'y a vraiment plus du tout de raisons de faire autrement. Et puis ce que ça donne aussi énormément, c'est du temps.
Eric Jean-Jean : Tu dis d'un album ou d'une chanson, "une chanson c'est la photo d'un instant", donc si tu veux bien, on va faire le tour de cet album-photo ensemble et je vais commencer par la fin, ce qui va me permettre de raccorder sur l'actualité people et après on n'en parlera plus. Il y a une plage cachée qui est vachement mignonne où tout le monde sort du studio et où tu te mets à chanter "la vie c'est mieux quand on est amoureux"… Tu as changé de vie, tu as changé ?
Jean-Jacques Goldman : Ah non, non, en plus c'est une chanson que j'avais depuis pas mal de temps. J'avais remarqué ça au cours de mon existence, tout simplement, que la vie elle est super bien, la vie, mais elle est mieux quand on est amoureux ! Et j'ai essayé de travailler sur cette chanson, donc j'ai essayé de faire des couplets, donc elle est mieux parce qu'il y a ça et puis il y a ça et puis il y a ça et puis refrain : "la vie c'est mieux quand on est amoureux". Et puis je me suis rendu compte que ça ne servait à rien. Ce qu'il fallait juste, c'était un type dans le fond du studio en train de balayer, tu vois, et qui fait juste : "da dadadadada… la vie c'est mieux quand on est amoureux", et puis tu n'as pas besoin de rajouter quoi que ce soit et d'expliquer…
Eric Jean-Jean : N'empêche que tout le monde va raccrocher sur ce qui a été dit de toi, ton déménagement, tu n'es plus parisien.
Jean-Jacques Goldman : Oui, je suis un peu entre les deux…
Eric Jean-Jean : Et puis sur un mariage.
Jean-Jacques Goldman : [se racle la gorge, gêné, voix plus basse] Je ne suis pas au courant de ça, moi !
Eric Jean-Jean : D'accord.
Jean-Jacques Goldman : Je n'ai pas lu ces journaux [rires].
Eric Jean-Jean : Tu n'as pas lu la même presse que nous… On a aussi l'impression – peut-être que je me trompe - que tu t'es plus lâché, sur cet album…
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas. Les impressions, c'est plutôt toi et les gens qui peuvent les avoir, parce que je ne me rends pas très bien compte. Mais ce que je sais en tout cas, c'est que toutes ces choses là ne sont pas très nouvelles. Il y a un zouk lent, mais moi, j'ai déjà fait du zouk par exemple, avec "A nos actes manqués". Des rocks, j'en ai fait…
Eric Jean-Jean : Oui, mais des tarentelles, tu n'en a pas fait beaucoup non plus !
Jean-Jacques Goldman : Des tarentelles, peut-être pas des masses, mais avec "Le petit cordonnier", on n'est pas loin de la gigue, enfin tu vois… Ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu "Elle a fait un bébé toute seule" qui était un peu western et puis d'un autre côté, on passait à des trucs slaves, mais ce que je veux dire, c'est qu'il n'y avait pas beaucoup d'unité dans ce que je faisais. Disons que dans celui-là, il y en a encore moins.
Eric Jean-Jean : C'est comme si à un moment, tu avais lâché un peu les vannes. Il y a des fois, il y a des gros rythmes qui arrivent, des rythmes qui sont plus dance et puis carrément un morceau disco avec des effets stéréo côté gauche, côté droit, etc.
Jean-Jacques Goldman : Là, c'est voulu un petit peu, puisque ça s'appelle "Chansons pour les pieds" donc normalement, c'est sensé être des danses, donc à la limite, une fois que j'ai eu cinq, six titres et que je suis rendu compte que ça allait dans cette direction là, je l'ai amplifié après…
Eric Jean-Jean : Avec dans le livret, un hommage aux musiciens de bals.
Jean-Jacques Goldman : Oui, à tous les musiciens qui jouent, qui jouent quotidiennement, qui arrivent quelque part et qui installent leur matos, comme ça et qui commencent à jouer et puis tout à coup, tout change. Les gens commencent à se regarder, les gens se lèvent, ils boivent, ils se parlent, ils se touchent…
Eric Jean-Jean : Alors j'ai ressorti quelques thèmes : l'amour, "Et l'on n'y peut rien". Une jolie chanson. "Et tu cherches à la croiser, t'as 15 ans soudain, tout change de base et l'on n'y peut rien"… Il y a du vécu ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais comme tout le monde : j'ai bouffé avec un copain, un type qui est professeur de philosophie, qui est très sérieux, qui est en costume cravate, tout ça… et puis il me dit : "il m'arrive quelque chose de terrible"… voilà. Et puis il est amoureux et il n'y peut rien ! Je trouve ça super ! Tout à coup, il a douze ans et demi… et j'adore ça, le fait que ça soit un aspect absolument pas raisonnable. Mais il n'est pas raisonnable aussi dans l'autre sens. De temps en temps, il s'en va, tu ne sais pas pourquoi, et puis tout à coup, il se pose sur quelqu'un d'autre, c'est comme une espèce de petit être satanique qui s'amuse et qui passe de l'un à l'autre.
Eric Jean-Jean : Il y a des phrases assez mignonnes, comme le fait de mendier les mots de quelques uns d'entre nous…
Jean-Jacques Goldman : On essaie de la croiser dans la rue, alors que ce n'est plus de notre âge… on dit "j'aime beaucoup l'acide jazz !" [rires]
Eric Jean-Jean : Et bien, justement dans "Les p'tits chapeaux" : "ça m'saoule", "c'est pas laid", "ça m'pèle", ça c'est des expressions de la fille dont tu es amoureux. "Le monde lui fait pas peur, elle trouve la vie mortelle", "elle met des p'tits chapeaux et moi ça me va", c'est exactement ça. C'est-à-dire que c'est quelqu'un qui n'est pas de ton univers et soudain, tu trouves que tout est génial parce que tu es amoureux.
Jean-Jacques Goldman : Oui, voilà, un exemple… d'un personnage comme ça…
Eric Jean-Jean : C'est pas forcément toi ?
Jean-Jacques Goldman : Qui met des p'tits chapeaux ? Non ! La personne ? Je sais exactement qui c'est. C'est à peu près trois, quatre personnes que j'ai croisées et finalement, ça finit par faire un personnage.
[extrait des "p'tits chapeaux"]
Eric Jean-Jean : C'est toujours comme ça que tu travailles ? Tu m'avais montré une fois le petit carnet que tu as sur toi. Tu l'as toujours ? Tu travailles toujours dessus ?
Jean-Jacques Goldman : Oui.
Eric Jean-Jean : Alors, tu as écrit aujourd'hui ?
Jean-Jacques Goldman : Non, j'ai écrit hier. Hier, j'ai trouvé une super idée !
Eric Jean-Jean : Alors c'est un petit carnet bleu tout petit, un peu plié par la poche du jean.
Jean-Jacques Goldman : Ben ouais…
Eric Jean-Jean : Un petit carnet Clairefontaine. Tu ne veux pas nous la dire, ta super idée ?
Jean-Jacques Goldman : En fait, c'est une femme qui parle, une maîtresse. Et elle dit, pour elle, pour l'autre, il y a la fête de Noël, il y a les dîners en famille, il y a les enfants, la belle maison, il y a la voiture… et pour moi il y a les hôtels entre 20h et 22h et tout ça… mais il y a aussi les étreintes et puis il y a aussi la solitude, le premier de l'an, tout ça… Un peu le parallèle entre ces deux femmes, je ne sais pas si ça fera une chanson un jour…
Eric Jean-Jean : C'est le pendant de "Je voudrais la connaître" en fait. "Je voudrais la connaître", c'était l'officielle !
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais "Je voudrais la connaître", ce n'est pas tout à fait la même chose, c'est la femme délaissée qui voudrait connaître la nouvelle. Là, c'est plutôt, est-ce que finalement, la gagnante est celle qu'on croit ? Est-ce que c'est celle qui, le dimanche, le samedi, va au supermarché et le dimanche va chez ses beaux-parents ou est ce que c'est celle qui le retrouve comme ça, une heure volée ou deux heures comme ça dans un petit hôtel, où c'est intense, je ne sais pas…
Eric Jean-Jean : Comment ça naît une chanson ? C'est peut être une question qu'on t'a beaucoup posée…
Jean-Jacques Goldman : En rencontrant, en lisant, en écoutant parler….
Eric Jean-Jean : Je discutais avec Patricia Kaas, qu'on a reçue il n'y a pas très longtemps dans cette même émission qui disait : "Goldman, il m'a pigée très vite".
Jean-Jacques Goldman : Oui, oui.
Eric Jean-Jean : Tu l'as observée ?
Jean-Jacques Goldman : Oui… Elle est très attachante, j'aime bien comme elle est dure. Elle n'est pas du tout insensible, mais elle est dure au mal. Moi, j'aime ça, c'est ce qui m'a vraiment plu chez elle.
Eric Jean-Jean : Elle nous a fait une belle déclaration à ton sujet en disant : "à moins qu'on se fâche, ce qui m'étonnerait vraiment, je ne vois pas comment je pourrais faire une fois dans ma vie, un album sans Jean-Jacques Goldman".
Jean-Jacques Goldman : Ah bon ? C'est super gentil !
Eric Jean-Jean : Après l'amour, quelques instantanés. Alors moi, ce que j'aime bien, c'est les thèmes de Goldman, c'est une espèce de petit film. Il y a une jolie chanson qui s'appelle "Une poussière", c'est une vraie image, tu es dans le désert, le narrateur est dans le désert.
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est un type qui vit dans le désert depuis des générations et des générations, un homme du désert, un touareg, et qui soudain, voit un truc au fond.
Eric Jean-Jean : En fait c'est toutes les interrogations qu'on peut se poser autour de ce que l'on ne connaît pas, ce qui arrive et ce qui peut nous arriver.
Jean-Jacques Goldman : Oui, est-ce que c'est bien, est-ce que c'est mal, est-ce que c'est une bonne idée, est-ce que c'est pas une bonne idée. Une chanson sur le mondialisme ou pas ! [rires]
Eric Jean-Jean : C'est moins violent que ce qu'a pu écrire Noir Désir sur le nouvel album, je ne sais pas si tu l'as eu, où ils sont vraiment anti-mondialisation.
Jean-Jacques Goldman : Ah oui…
Eric Jean-Jean : "Tournent les violons", c'est une très, très jolie chanson. Alors c'est ça la tarentelle. C'est ta vie qui non pas change mais une espèce de souvenir qui s'inscrit dans une tête en un quart de seconde et que tu n'oublieras jamais.
Jean-Jacques Goldman : Et que l'autre a oublié, c'est-à-dire deux destins qui se croisent et qui ne vivent pas la même chose au même moment.
Eric Jean-Jean : C'est l'histoire d'une servante qui est en train de servir dans un bal ça se passe au Moyen-Age, d'ailleurs la musique…
Jean-Jacques Goldman : Oui. C'est la rencontre de deux musiques : il y a une musique très populaire qu'on a enregistrée avec une vielle, avec une flûte traditionnelle, avec un violon joué comme ça de façon folklorique et authentique, c'était des musiciens médiévaux, vraiment, et d'un autre côté, l'orchestre de la cour, l'orchestre du bal avec cette musique bien léchée…
Eric Jean-Jean : En fait, j'ai d'abord lu cette chanson et je l'ai lu avec beaucoup d'anxiété parce que j'ai cru qu'il allait se passer une saloperie… qui ne se passe pas !
Jean-Jacques Goldman : Non… Oui, enfin, c'est presque pire parce que elle, elle va vivre toute sa vie avec les quatre mots que ce beau lieutenant lui a dits en passant, et lui, il l'a oubliée dix secondes après.
Eric Jean-Jean : Qu'il est beau dans son armure, il ne ressemble pas aux autres, il se penche vers elle… et je me suis dit "il va l'emmener dans un coin, il va se passer un truc terrible"…
Jean-Jacques Goldman : Non, non, il lui dit juste "tu es bien jolie, toi" et elle, elle va y penser toute sa vie et lui après, il est allé se saoûler la gueule comme ça [rires] et il lui a dit ça en pensant à autre chose.
[Extrait de "Tournent les violons"]
Eric Jean-Jean : Autre époque, autre instantané : "Quo's in town tonite". Alors ça, c'est plus rock. Et c'est une vraie mignonne histoire aussi.
Jean-Jacques Goldman : Et une vraie histoire.
Eric Jean-Jean : Ah bon ? Alors je voulais te demander : est-ce que tu le connais, ce mec ?
Jean-Jacques Goldman : Je l'ai rencontré, oui. C'était un gamin qui était dans un bar près de la gare St-Lazare et on a commencé à discuter. Et en fait, ce n'était pas Status Quo pour être tout à fait honnête qu'il était venu voir, mais c'était Alvin Lee. Mais sauf que Alvin Lee (1) a fini sa carrière, enfin sa carrière, j'espère qu'il n'a pas fini, mais il a fini son histoire avec "Ten Years After" quand ce gamin-là n'était pas né ! Donc, j'arrive pas à comprendre comment ce môme, qui était de Montauban ou je ne sais pas où, mais en tout cas, il était d'une petite ville et il avait pris une journée, comme ça, parce qu'il fallait absolument qu'il aille voir Alvin Lee alors qu'il n'était pas né quand Ten Years After existait.
Eric Jean-Jean : C'est l'histoire de tous les vrais fans : le môme, il habite à Valence, il est mécano, il va prendre le train de nuit et il va voir son chanteur…
Jean-Jacques Goldman : Et il va voir son chanteur et il fera les festivals l'été, tout ça…
[Extrait "The Quo's in Town Tonite"]
Eric Jean-Jean : Et tu les vois, tes fans à toi ? Ils font ça aussi ?
Jean-Jacques Goldman : Ce n'est pas tout à fait pareil quand même. C'est moins sectaire, dans le sens où tu vois, ils ne sont pas habillés pareils, ils n'ont pas les cheveux comme ça qui se balancent, ils n'ont pas les jeans délavés… Par exemple, un concert de Cure, tu n'as que des Robert Smith dans la salle, et quand tu va voir Status Quo, tu n'as que des Rossi ou des Parfitt dans la salle… bon moi… c'est des gens… !
Eric Jean-Jean : Tu n'as pas que des Goldman.
Jean-Jacques Goldman : Non, non, ils sont plutôt autour des chansons.
Eric Jean-Jean : Et les relations aujourd'hui avec les fans, les mômes qui te suivent ? Moi je me rappelle d'une image absolument incroyable la dernière fois qu'on s'était croisés en interview, c'était, il y a longtemps, sur une autre radio, tu étais sorti de la radio avec ta moto, et puis, il y avait plein de mômes qui étaient devant, tu t'étais arrêté au milieu et puis tu avais passé plus d'une heure, parce que moi, j'étais parti une heure après et je t'avais vu au milieu, si, si, pratiquement au milieu avec eux. Comment est-ce que tu considères ça… ?
Jean-Jacques Goldman : C'est rare ça !
Eric Jean-Jean : Mais là, ça avait été le cas. C'est un minimum que tu dois leur accorder ?
Jean-Jacques Goldman : En général, ils se plaignent que je leur accorde très peu par rapport aux autres, ne serait-ce que par je n'ai pas de fan club par exemple. Donc, je n'ai pas de concert spécial, je n'ai pas de journal, je n'ai pas de choses comme ça.
Eric Jean-Jean : Pourquoi il n'y en a pas ?
Jean-Jacques Goldman : Parce que, un fan club, c'est quand même, une association autour d'un thème qui est toi [rires]. Alors comme ce n'est pas un thème qui me passionne et que j'ai envie de décliner sur des pages d'un journal, "j'ai fait ça, j'ai fait ça, j'ai fait ça" "je vais faire ça" etc. Ça ne peut pas me convenir, mais par contre j'ai beaucoup de respect pour eux et puis la relation essentielle que j'ai avec eux maintenant, c'est de recevoir des faire-parts parce qu'ils font des enfants, qu'ils se marient et tout ça, puisqu'ils vieillissent comme moi.
Eric Jean-Jean : Pareil pour le site Internet, d'ailleurs, j'ai cherché un site Internet officiel…
Jean-Jacques Goldman : Non, je n'en ai pas.
Eric Jean-Jean : Tu ne veux pas ?
Jean-Jacques Goldman : D'abord, moi, je ne suis pas encore sur Internet.
Eric Jean-Jean : C'est vrai ?
Jean-Jacques Goldman : Je vais m'y mettre, je vais faire un pas vers la direction du modernisme [rires]. Je vais quitter le minitel pour Internet [rires] pas à pas. Et puis c'est pareil, ce sont des sites qui te sont consacrés et où tu es obligé de donner de la matière.
Eric Jean-Jean : Il y a une autre jolie chanson, toujours en termes d'instantanés, qui s'appelle "Je voudrais vous revoir". Je suis sûr qu'il y a plein de gens qui vont se reconnaître là-dedans, l'histoire d'un amour de jeunesse, comme ça, et puis tu aimerais savoir si elle a vécu la même histoire que toi.
Jean-Jacques Goldman : Ben oui, oui.
Eric Jean-Jean : Des gens qu'on va essayer de retrouver, de se rappeler…
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est tout à fait une chanson que tu ne peux pas écrire quand tu as vingt ans, mais quand tu arrives à cinquante et que tu commences à penser à tout ça, tu as vécu quelques histoires aussi, et tu commences à te rendre compte lesquelles ont été importantes. Et très souvent, ces petites histoires d'adolescence qui ont l'air de rien, elles ont été beaucoup plus importantes que l'on croit. Et donc, j'imagine très bien le type qui dit : "elle, j'aimerais bien savoir ce qu'elle est devenue, à quoi elle ressemble"
Eric Jean-Jean : Et ce qu'elle fait, ce qu'aurait pu être ma vie avec elle, éventuellement.
Jean-Jacques Goldman : Comment elle a vécu notre histoire, est-ce qu'elle l'a oubliée, est-ce qu'elle y repense autant que moi, des choses comme ça.
Eric Jean-Jean : Tout à l'heure, j'ai failli dire que c'était un album plus léger et je me suis retenu. C'est notamment par rapport à des chansons dont je vais te parler maintenant, avec des thèmes que j'appelle plus forts et que j'appellerai un peu "goldmaniens" pour avoir retrouvé ces thèmes-là dans certaines des chansons, "La pluie" par exemple. On est en pleine métaphore, c'est-à-dire, il y a des gens qui se mouillent, il y a des gens qui ne se mouillent pas…
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais pas uniquement sur le plan du courage, de l'engagement ou des choses comme ça, même pour tout.
Eric Jean-Jean : Il y a des gens qui sont moutons, qui se planquent sous les portes cochères, et d'autres gens qui décident que…
Jean-Jacques Goldman : Voilà, qui ne prennent pas l'avion, tu peux comprendre aussi, qui disent "je suis attiré par ça mais je ne veux pas y aller" et tout ça…
Eric Jean-Jean : Comment elle est née, cette chanson ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne me souviens plus trop. Il se trouve que moi, j'adore marcher sous la pluie, et ça doit être ça, ou je devais être là comme ça en train de me régaler avec la pluie qui te passe dans les cheveux, sur le visage et tout ça… Et puis, tu vois tous les autres qui sont sous les portes cochères, qui attendent que ça se passe… Et puis tu te dis : "Bon, pourquoi ? Autant marcher, autant y aller, qu'est-ce que tu risques ?" D'être mouillé ? Bon, tu te sèches après !
Eric Jean-Jean : Il y a une autre chanson qui est à mon avis un des textes le plus fort que j'ai lus et entendus sur cet album : "Un goût sur tes lèvres". Je vais recommencer ma question, comment elle est née cette chanson ?
Jean-Jacques Goldman : C'est une déclinaison, effectivement, là, tu as raison quand tu disais que ça te rappelait d'autres thèmes, mais c'est tout à fait "Si j'étais né en 17 à Leidenstadt", c'est les interrogations qu'on peut avoir sur comment, puisque nous, on vit vraiment de façon très confortable et très tiède, c'est-à-dire, on n'aura jamais chaud, on n'aura jamais froid, on n'aura jamais faim… on l'a jamais eu en tout cas, on n'aura jamais soif, on n'aura jamais peur, on ne saura jamais comment on réagirait si tout à coup, on nous met dans une pièce et puis qu'on n'a pas à bouffer pendant trois, quatre jours et puis tout à coup, on nous met un bout de pain et puis on est six : qu'est-ce qu'on fait ?
Eric Jean-Jean : "Combien de pressions pour lâcher tes principes".
Jean-Jacques Goldman : Tiens, ça c'est des choses que tu connaîtras ou… ça par contre, on est sujet à ça.
Eric Jean-Jean : … dans notre métier. Tu as l'impression de les avoir lâchés, toi, de temps en temps ?
Jean-Jacques Goldman : Moi, j'ai eu beaucoup de chance quand même. C'est-à-dire que je n'ai jamais désiré suffisamment, par exemple, la gloire, ou d'arriver quelque part, ou d'être riche ou des choses comme ça, pour pouvoir lâcher des principes. Je pense que les gens qui sont amenés à faire ça, ce sont des gens qui ont vraiment besoin, qui sont dévorés par une ambition, qu'elle soit de pouvoir, qu'elle soit financière et puis tout à coup, ils se disent : "si je veux absolument arriver à ça, il faut que je fasse ça".
Eric Jean-Jean : Pourquoi ça a marché et quels sont les compromis que tu as pu faire ?
Jean-Jacques Goldman : Disons, les compromis que j'ai pu faire mais que je revendique vraiment énormément, c'est d'avoir pris conscience du milieu et puis de l'instant où j'étais. Il y a des gens qui disent : "Si maintenant Brassens vient avec une chanson, alors ça ne passera pas à la radio". Moi, je réponds tout le temps, mais si Brassens venait maintenant, il ne ferait pas ce qu'il faisait il y a 20 ans. Tu comprends ? Il avait aussi ce sens, que ce soit Trénet, que ce soit Mozart, s'ils arrivent maintenant, ils prennent aussi l'air du temps. C'est-à-dire, le talent, ce n'est pas uniquement de faire maintenant un super menuet. Le talent, c'est de faire un morceau de musique, qui en même temps peut être intéressant et en même temps colle à l'air du temps, ça fait partie aussi du talent. Si compromission il y a, moi, je suis arrivé en 1980, j'ai fait la musique qu'il fallait… Je dirais, même pas pour 81, pour 82 ! C'est-à- dire de pas refaire ce qui marchait à ce moment-là.
Eric Jean-Jean : Tu as suivi aujourd'hui forcément ce qui ce passe et est-ce que tu as envie d'en parler ?
Jean-Jacques Goldman : Qu'est-ce que tu veux dire ? Le seul truc qu'on peut dire, c'est que la vie ne sera pas un long fleuve tranquille. C'est-à-dire que même quand on est dans un pays en paix, et on a vraiment cette chance, nous, on est nés une des premières générations à ne pas avoir fait la guerre. Je suis né en 51 et même les grands frères sont allés en Algérie, ils ont été réquisitionnés, ce n'était pas que l'armée de métier qui y allait. Et puis, nous, on n'y a pas été, donc on a l'impression qu'on peut vivre maintenant dans un monde où il n'y aura plus de guerres, où il n'y aura plus de maladies… et bien, si, il y a encore des maladies, il y a encore des choses qui se passent, des insécurités, il y aura encore des problèmes et il y aura toujours ça, enfin, il y aura toujours…
Eric Jean-Jean : Tu parlais tout à l'heure du monde un peu tiède dans lequel on vit, où on n'aura pas froid, pas faim mais dans lequel on peut avoir peur.
Jean-Jacques Goldman : Faussement tiède, il faut apprendre à marcher sous la pluie quand même. Ça n'empêche pas qu'on peut marcher, mais l'idée d'un mode parfait, je crois qu'il est illusoire et celui dont on parle, qui peut se passer dans certaines tribus du Tibet, d'Afrique oui, d'accord mais il y a une mortalité infantile de tant de pour cent et puis l'espérance de vie chez nous elle est de 80 ans et là-bas, elle est de 50 ou 60 ans. Tu payes toujours quelque chose par…
Eric Jean-Jean : Et en parlant de notre société, il y a une chanson qui s'appelle "Les choses", espèce d'instantané de société, un peu vieil étudiant gauchisant…
Jean-Jacques Goldman : Euh… Ouais. Je ne sais pas, en tout cas, c'est assez…
Eric Jean-Jean : "C'est plus je pense, mais j'ai donc je suis".
Jean-Jacques Goldman : Ouais. Je suis un peu terrorisé par ces gamins qui pensent que s'ils n'ont pas telle bagnole ils n'existent pas, que s'ils n'ont pas tel survêtement, les filles ne vont pas les regarder… c'est comme si eux, ils n'existaient pas, comme si c'étaient des porte-manteaux et que tout à coup ils existaient parce qu'il y a un logo, un sigle sur leurs chaussures, ou sur leur casquette, ou sur leur téléphone portable et que sans ces choses-là, eux n'existent pas. Je trouve ça super déprimant d'avoir si peu d'estime pour soi.
Eric Jean-Jean : "supermarchés, mes temples à moi", tu mets un petit taquet à la télé aussi, d'ailleurs tu en remets un autre dans la chanson "C'est pas vrai" donc on va englober : "Plus de bien de mal mais est-ce que ça passe à la télé". Tu trouves qu'elle a une sale gueule, notre télé, en ce moment ?
Jean-Jacques Goldman : C'est pas ça, mais tu peux très bien imaginer par exemple, un débat avec d'un côté, le prix Nobel de littérature et à côté de lui, Loana ou Bernard Tapie. D'ailleurs, plus loin je dis, ce n'est pas important, maintenant, on a un terme générique pour ça, c'est VIP [prononciation anglaise], on dit VIP [prononciation française]. Voilà, c'est VIP, mais est-ce qu'il a fait quelque chose de bien ou est-ce qu'il a fait quelque chose de mal…
Eric Jean-Jean : Tu as un œil amusé sur ce qui se passe à la télé en ce moment ? Et là, je parle du monde artistique puisque tu cites Loana, je parle de Loft Story, je parle aussi de Pop Stars, de Star Academy, ce genre de real TV ?
Jean-Jacques Goldman : En gros, je ne regarde pas des masses la télé donc je ne peux pas trop juger. Moi, je ne suis pas trop critique pour ça. Je sais qu'il y a des choses fantastiques à la télé, il y a des trucs extraordinaires, je trouve que c'est un outil extraordinaire, ne serait-ce que pour regarder le sport par exemple, ou des documentaires… Moi, j'apprends énormément à la télé. Et ensuite, la télé de divertissement, je n'ai pas vu Loft Story mais je lisais dans le journal tous les jours… J'ai l'impression que ça a toujours existé, ces trucs-là, de s'intéresser un peu aux…
Eric Jean-Jean : Je lisais dans ta bio, que la télé, ce n'est pas du tout dans ton histoire personnelle, qu'à la maison, il n'y avait pas de télé, tu racontais des soirées où tout le monde lisait…
Jean-Jacques Goldman : Mais oui ! Dans les années 50 à 60… j'ai eu la télé peut être en 62-63, mais comme beaucoup de gens, j'avais 12 ans, 13 ans… Ça fait beaucoup d'années sans télé.
Eric Jean-Jean : Les médias entre autres parce qu'il n'y a pas que ça. C'est le morceau disco dont on parlait tout à l'heure, d'abord, c'est un vrai effet de style celui là ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, oui c'est une parodie, une parodie du disco.
Eric Jean-Jean : Une parodie du disco avec des effets… D'ailleurs c'est qui les voix de gens à la fin ?
Jean-Jacques Goldman : C'est des copains, il y a un peu tout le monde, il y a Zep, il y a mes enfants, il y a des copains…
Eric Jean-Jean : Là, tu mets sur la gueule à toutes les idées reçues…
Jean-Jacques Goldman : Tous les lieux communs surtout, tous les trucs du genre : Ah, "ce sont des victimes de la société", les pauvres…
Eric Jean-Jean : [chuchotant] "C'est pas vrai" !
Jean-Jacques Goldman : Genre : "Molière est mort sur scène", c'est pas vrai.
Eric Jean-Jean : C'est pas vrai ?
Jean-Jacques Goldman : Non, c'est pas vrai !
Eric Jean-Jean : Il est mort comment ?
Jean-Jacques Goldman : Il est mort de maladie chez lui, je crois !
[Extrait de "C'est pas vrai"]
Eric Jean-Jean : Est-ce que c'est pas difficile pour quelqu'un comme toi, qui connaît la gloire et tu peux pas revenir sur ça, qui a aujourd'hui, suffisamment d'argent pour pouvoir vivre confortablement, de se remettre en question ou d'essayer, justement, en permanence de casser la gueule à des idées reçues ou de rester fidèle à tes idées à toi ?
Jean-Jacques Goldman : Il n'y a pas trop de rapports, entre le fait d'être…
Eric Jean-Jean : Sauf que, à un moment, tu es quand même bien installé dans une société, tu vois…
Jean-Jacques Goldman : Oui, il y a quand même beaucoup d'exemples de gens qui ont été super bien intégrés à la société et qui ont été quand même beaucoup plus rebelles que je ne le suis…
Eric Jean-Jean : Tu as l'impression de l'être un peu ?
Jean-Jacques Goldman : Moi, j'ai l'impression d'être à contre-courant, justement, du politiquement correct. Tu parlais de Noir Désir tout à l'heure… Tout le monde est anti-mondialisation, ben moi, je trouve, je suis plutôt pour ! Tu vois…
Eric Jean-Jean : C'est à dire, les artistes qui, dans un effet de mode, essaient de râler contre les gros trucs…
Jean-Jacques Goldman : Je sais pas si c'est un effet de mode, moi je pense qu'ils sont tout à fait sincères, mais par exemple de gueuler contre les hommes politiques, tous les mecs qui disent : "moi je ne vote pas, ça ne sert à rien" enfin tu vois ? Je dirais plutôt qu'il faut absolument s'inscrire sur les listes électorales, et que si on ne le fait pas et qu'on ne va pas voter, on peut le faire mais dans ce cas, on la ferme, voilà ! Et que si on veut changer la politique et d'hommes politiques, il faut le faire, c'est à dire aller voter !
Eric Jean-Jean : Tu es un citoyen ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, oui, à mort !
Eric Jean-Jean : Tu pourrais – on connaît tout ce que tu as fait pour les Enfoirés - aller vers d'autres choses à défendre qui peuvent aller jusqu'à de la politique ?
Jean-Jacques Goldman : Non, je ne crois pas, non. Je n'en ai pas ni la générosité, je dirais, ni la capacité. Mais en tout cas, je ne dirai jamais, dans les trucs qui ne sont pas vrais, il y a "les hommes politiques sont tous corrompus", moi je dis : "c'est pas vrai". Il y a des gens super bien, qui font ça, et puis super courageux. Et puis, il y en a, et puis il y a des crapules. Mais je ne pense pas qu'on puisse généraliser comme ça.
Eric Jean-Jean : Tu parles de générosité : où est-ce que tu situes la tienne, si tu dis que tu n'es pas généreux ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'ai pas cette générosité là, de m'engager, de consacrer ma vie aux autres, tu vois, de devenir maire, pour essayer de changer les autres.
Eric Jean-Jean : Est-ce que par les Enfoirés, ce n'est pas aussi un peu un acte politique ?
Jean-Jacques Goldman : Non, non c'est un acte qui admet que la politique ne peut pas tout changer. On ne peut pas demander à la politique que les gens sortent un bol de soupe et un morceau de chocolat et aillent discuter avec quelqu'un qui est dans la rue. Il faut arrêter de demander aux politiciens ou aux assistantes sociales de le faire. C'est à nous de le faire…
Eric Jean-Jean : Pourquoi ?
Jean-Jacques Goldman : Parce que la politique… Le tout politique n'existe pas. Et tant mieux. Il me semble que quand il y a des gens qui sont dans le malheur ou dans le besoin, c'est à chacun de s'en occuper, ça me paraît beaucoup plus révolutionnaire que de demander à ce que, une personne payée pour ça aille parler à quelqu'un. C'est comme quand on arrive à Toulouse par exemple, il y a plein de psychologues qui sont en train de parler aux gens. Je trouve que les gens peuvent parler aux gens, tu comprends ? Pourquoi est-ce qu'il faut des gens payés pour ça ? Bon, peut-être que les psychologues vont le faire mieux, dans certains cas, mais globalement, je trouve que l'on ne peut pas, nous, nous abstraire de ce qui se passe en bas de chez nous, en téléphonant aux services compétents.
Eric Jean-Jean : Pour conclure sur cet album, avant qu'on passe à autre chose, est-ce que tu as une vision d'ensemble sur cet album ou est-ce que c'est un peu tôt, et comment tu le sens si tel est le cas ?
Jean-Jacques Goldman : Déjà, des choses tout à fait techniques. Il y a beaucoup plus de chansons rapides que sur les autres albums, c'est une constatation objective…
Eric Jean-Jean : C'est voulu ?
Jean-Jacques Goldman : Non, c'est un hasard, je voulais en enlever une d'ailleurs.
Eric Jean-Jean : Laquelle ?
Jean-Jacques Goldman : J'hésitais entre "Un goût sur tes lèvres" et "Les choses". Et puis il y avait aussi le "Status Quo" et aussi "Les p'tits chapeaux". Enfin, bon, il fallait que j'enlève une chanson rapide. Je n'ai pas réussi à me décider donc je les ai toutes gardées, ce qui fait qu'il y a plus de chansons rapides… Non, c'est tout, je ne vois pas une grosse, grosse différence par rapport aux autres albums.
Eric Jean-Jean : Est-ce que tu es "trackeur" face à un album ? 81- 2001, ça fait 20 ans de carrière. Est-ce que, aujourd'hui, quand tu sors "Chansons pour les pieds", tu flippes un peu ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Alors j'aurais pu l'être au début, parce que j'avais vraiment besoin que ça marche, ne serait-ce que pour pouvoir en vivre, parce que je suis un peu peureux…
Eric Jean-Jean : On va y revenir, là-dessus, parce que le fait, sur les deux premiers albums, de conserver le magasin de sport, c'est étonnant !
Jean-Jacques Goldman : Oui. J'ai toujours eu peur de, peut-être à cause de ma famille et tout, mais je n'étais pas léger. Il y a des gens qui disent : "je verrai pour le loyer, je verrai…" Moi, je n'arrive pas à dormir ! Donc il fallait que je sois sûr. Mais à cette époque là, j'étais tellement sûr de moi, sur le plan musical, que ça allait marcher, je n'avais pas le trac à cause de ça. Et maintenant, où je suis plus du tout sûr que ça va marcher, parce que bon, c'est un peu décalé de ce qui ce fait maintenant, mais par contre, si ça marche moins, ce n'est pas grave.
Eric Jean-Jean : Même quand tu as - parce que tu les as gardés, on les a vu dans la presse et puis, on les a vus je crois que c'était dans le livret de "En passant" [sic - c'était dans le livret de "Singulier"], les articles - je me rappelle de cet article du mec dans "l'Evénement du Jeudi" que tu avais gardé, ça, ça ne te fait pas flipper. Ça ne te fait pas mal ?
Jean-Jacques Goldman : C'était pas le seul, mais bon, ça continue maintenant, pas pour moi mais sur des jeunes qui arrivent et qui sont assassinés sans aucune raison…
Eric Jean-Jean : Enfin là, l'article de Delbourg, il est…
Jean-Jacques Goldman : Ouais, mais bon, moi, j'avais de la chance, parce que je savais qui c'était, ces journalistes. J'avais fait plus d'études qu'eux, j'en connaissais autour de moi, donc je savais qu'ils n'étaient pas grand-chose…
Eric Jean-Jean : Tu parlais de la peur de manquer. Tu as grandi dans quel genre de famille ? En fait, c'était un peu juste à la maison ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai grandi dans une famille d'ouvriers, puisque mon père était mineur, tailleur, poseur de rails et puis ensuite, il a eu un magasin de sport.
Eric Jean-Jean : Emigrant polonais qui a été naturalisé français grâce à des faits de guerre pendant la résistance.
Jean-Jacques Goldman : Grâce à l'armée, c'est-à-dire, ça naturalisait à fond avant la guerre pour pouvoir avoir des militaires. Il avait été chasseur d'Afrique, il a fait la résistance après, mais par contre, on n'a jamais manqué, c'est-à-dire, on n'a jamais eu l'impression… Bon, on faisait du camping l'été, puis on a appris après qu'il avait failli faire faillite et puis il a été aidé au dernier moment, mais on ne s'est jamais rendu compte de ça et ils ont toujours fait passer les choses matérielles comme absolument secondaires par rapport à l'essentiel, qui était qu'on était bien ensemble, qu'on pouvait lire des livres, qu'on pouvait se parler, qu'on pouvait se promener…
Eric Jean-Jean : Et alors d'où elle vient cette peur de manquer ? Parce que il y a les Phalansters, il y a Taï Phong et il y a les deux premiers albums durant lesquels toi, tu continues de travailler avec ton frère, vous avez le magasin…
Jean-Jacques Goldman : Non, mais ce n'était pas la peur de manquer, moi, je n'ai jamais eu peur de manquer, mais je n'aurais pas pu ne pas avoir de travail et vivre aux crochets. Ça, on ne l'a jamais fait. Je n'ai jamais eu besoin de beaucoup. Par contre, et puis maintenant encore, je vis vraiment [rires] de façon extrêmement, tu vois, j'ai ma moto en bas, je ne suis pas habillé, je n'ai vraiment pas besoin de beaucoup !
Eric Jean-Jean : Tu n'es pas un flambeur !
Jean-Jacques Goldman : Non, ça ne m'intéresse pas des masses, tu vois, j'ai une petite voiture…
Eric Jean-Jean : Tu as déjà fait des folies avec du blé, quand ça a commencé à rentrer à un moment ?
Jean-Jacques Goldman : Non, mais en fait, on en fait. C'est-à-dire que si je décide, par exemple de partir en vacances, dans un endroit où je ne vais pas être emmerdé, c'est en général dans des grands hôtels. Tu veux partir pendant quinze jours et puis tes copains ne peuvent pas vraiment payer des hôtels comme ça, c'est toi qui paies le truc. A la fin, ça fait beaucoup de sous, mais quand tu les as, ça ne fait pas des folies.
Eric Jean-Jean : C'est quoi, ton rapport avec l'argent ?
Jean-Jacques Goldman : Ça ne m'intéresse pas du tout, je m'en méfie même…
Eric Jean-Jean : Dans quel sens ?
Jean-Jacques Goldman : Je trouve que l'argent que tu n'as pas gagné, il est super dangereux, en particulier pour des gamins. Je m'en méfie beaucoup en particulier pour mes enfants. Je trouve que quand tu en as trop, ça te déconnecte de l'existence, ça te déconnecte des autres. Un étudiant qui a une maison, qui n'a pas de problèmes et tout ça, je crois qu'il est déconnecté par rapport à celui qui a une certaine somme de ses parents mais qui doit donner des cours du soir, comme on l'a fait nous. Je voudrais qu'ils connaissent ça, parce que c'est aussi des expériences fantastiques de donner des cours, d'aller bosser le dimanche, c'est aussi des rencontres, c'est un pied dans la vie. Donc dans ce sens-là, il faut faire gaffe à trop de blé.
Eric Jean-Jean : C'est arrivé comment ? C'est arrivé tout d'un seul coup avec la notoriété, la célébrité et le pognon, je suppose que ça arrive au début des années 80.
Jean-Jacques Goldman : Non, pas du tout, parce que je gagnais bien ma vie avant ; et puis je travaillais, j'étais marié, j'avais des enfants avant, et puis je travaillais dans un magasin de sport et je gagnais tout à fait convenablement ma vie sans être riche, et depuis, j'ai pas vraiment changé de style de vie.
Eric Jean-Jean : En fait, ce que je voulais savoir, c'est si c'est arrivé comme une espèce de claque de tout en même temps et si tu l'avais vécu toi ?
Jean-Jacques Goldman : Non, non, jamais. "Claque de tout en même temps", c'est-à-dire ?
Eric Jean-Jean : Les premiers droits d'auteurs tombent, première télé, les gens te reconnaissent dans la rue, ta vie change forcément ?
Jean-Jacques Goldman : L'argent et la notoriété alors là, je m'en foutais complètement.
Eric Jean-Jean : Oui, mais c'est arrivé quand même.
Jean-Jacques Goldman : Oui c'est arrivé, mais bon, ça n'a pas été des moments violents.
Eric Jean-Jean : Tu dis "Les chansons sont souvent plus belles que leurs auteurs, je ne peux que décevoir les gens qui veulent me connaître vraiment".
Jean-Jacques Goldman : Ouais, ça c'est une phrase qui a une quinzaine d'années, j'avais mis ça en bas d'en album, parce que je recevais beaucoup de lettres, de filles surtout, à l'époque, c'était surtout ça, qui disaient "je voudrais tellement te connaître, tu dois être tellement formidable" et je leurs disais qu'il ne fallait pas se faire une idée de quelqu'un à travers ses chansons. On écrit des chansons et le type qu'il y a derrière n'est pas forcément au niveau de l'image que l'on s'en fait.
Eric Jean-Jean : Pourquoi tu écris des chansons d'ailleurs ? Jean-Jacques Goldman : J'ai écrit des chansons parce que j'avais besoin d'écrire des chansons, parce que je savais le faire, parce que c'était mon truc, comme Thierry Henry a fait du foot. Il ne s'est pas posé de questions. Quand j'avais 6 ans, je passais des heures au piano, et puis j'ai adoré la chanson, j'écoutais des disques, c'était mon monde, comme certaines personnes, c'est le dessin…
Eric Jean-Jean : Tu dis qu'il y a eu deux déclics pour toi, le "Think" d'Aretha Franklin, et Léo Ferré.
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais il y avait déjà eu le premier déclic qui vient de je ne sais où, qui fait que la musique te parle.
Eric Jean-Jean : Il n'y avait pas de musique chez toi ?
Jean-Jacques Goldman : Il y en avait peu, mais par contre, il y en avait à l'école, il y en avait chez les scouts et je savais que c'était ça qui me plaisait. Ensuite le "Think", ça m'a dirigé vers la musique noire que je connaissais peu ou vers le Blues, le Gospel et tout ça et définitivement, et ensuite Léo Ferré, ça m'a montré la puissance des textes français, ce que je n'envisageais pas du tout, puisque je ne connaissais pas du tout la chanson française.
Eric Jean-Jean : Tu parlais des scouts, c'est la musique, pareil, qui t'a fait avancer dans les scouts. Il paraît que tu es parti en voyage aux Etats-Unis parce que tu savais jouer de la guitare et faire n'importe quoi !
Jean-Jacques Goldman : Parce que je pouvais jouer dans tous les tons ! [rires] C'est à dire, il y avait le groupe, j'avais fait un Jamboree - tu sais c'est les réunions mondiales de scouts où il y en a très peu qui sont sélectionnés - et moi, ils m'avaient pris, parce que quand le groupe commençait une chanson, quelle que soit la tonalité, je mettais le capodastre et je partais et j'accompagnais dans le ton [rires].
Eric Jean-Jean : Les Red Mountain Gospellers, c'était à la même époque que les scouts et c'était une chorale, c'est ça ?
Jean-Jacques Goldman : C'était juste après. Alors, les Red Mountain Gospellers, c'était à Montrouge. Il y avait un groupe qui jouait du gospel, donc le groupe de la paroisse, qui était à 200 m de chez moi, et il y avait un orgue électrique, ce qui était une denrée extrêmement rare, que les prêtres avaient acheté et donc, ils avaient besoin d'un gars qui pouvait jouer du Blues sur l'orgue électrique. Et moi, j'avais un copain dedans, donc je m'y suis intégré et ça été le creuset des premiers groupes. C'est avec ces gars là, après, que j'ai commencé à faire mes premiers groupes de rock.
[Le coureur]
Eric Jean-Jean : Alors je voulais venir sur la composition pour les autres, parce qu'on a compris que tu écrivais pour toi, que tu avais ton petit carnet, mais comment est-ce que tu choisis, si je peux me permettre l'expression, une proie ?
Jean-Jacques Goldman : Ouais… Alors, j'aime bien les gens qui chantent bien - c'est pas du tout par modestie - mais qui peuvent chanter comme moi je ne peux pas chanter. Ce n'est quand même pas être modeste que de dire que quand Céline Dion chante "Pour que tu m'aimes encore", ce n'est pas la même chose que quand je la chante, et que quand Johnny, au stade de France, chante "L'envie", il lui donne une dimension que je ne pourrais pas lui donner. Ce n'est pas être modeste que de dire ça ! Donc, j'aime bien ça. Ensuite, j'aime bien que ce soit des gens sympas, si c'est des têtes à claques ou des têtes de cons, ça ne m'intéresse pas. Troisièmement, il faut que j'aie l'impression de pouvoir leur apporter quelque chose, ce qui n'est pas toujours le cas.
Eric Jean-Jean : On pourrait aller te voir en disant : "Jean-Jacques, fais-moi une chanson", si tu ne sens pas le mec...
Jean-Jacques Goldman : On peut venir me voir, ça arrive, et je trouve que la personne, c'est arrivé là, récemment, pas mal, je trouve que la personne, elle chante super bien, elle est super sympa et tout ça mais je ne trouve pas le truc qui soit mieux ou qui soit différent de ce que les autres lui font.
Eric Jean-Jean : Quand tu fais un album, tu vas jusqu'au bout ?
Jean-Jacques Goldman : Ben oui, parce que je suis toujours déçu. Comme je suis feignant, j'ai essayé de…
Eric Jean-Jean : [rires] Tu es feignant, toi ?
Jean-Jacques Goldman : Enfin, j'aime bien déléguer quand c'est possible, tu vois, comme ça, ça me laisse plus de temps pour faire mes trucs à moi. Par exemple, pour les pochettes, j'ai trouvé un type qui s'en occupe super bien, qui s'en réfère à moi toutes les semaines, mais c'est lui qui avance, qui propose et tout ça, c'est Alexis, et là, je délègue à mort, j'adore ça.
Eric Jean-Jean : Tu fais confiance ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, quand… mais en musique ce n'est pas possible. J'ai déjà essayé de donner mes chansons à des arrangeurs, par exemple, et à des grands arrangeurs, et j'ai toujours été déçu, j'ai toujours refait après.
Eric Jean-Jean : Une phrase de toi, encore, "je dors dix heures par nuit, mange comme quatre, je joue au tennis et au scrabble, skie l'hiver, me baigne l'été, je ne me drogue pas, ne fume pas, mon seul vice : les desserts". Tu essaies de faire croire à tout le monde que tu es chiant ?
Jean-Jacques Goldman : Ben, ce n'est pas chiant ça ! [éclat de rire d'Eric Jean-Jean] Je ne me rappelais pas avoir raconté ça, mais bon… Oui !
Eric Jean-Jean : Et tu crois qu'on va te croire ?
Jean-Jacques Goldman : Je disais ça sûrement pour énerver le type qui me posait la question ! Eric Jean-Jean : D'accord. Il y a un bouquin qui est sorti en 1999, qui s'appelle "Les pères ont des enfants" , avec Alain Etchegoyen, dont on n'a pas tellement parlé parce tu n'es pas le roi de la promo, et on ne t'a pas vu clamer haut et fort que tu faisais ça partout.
Jean-Jacques Goldman : Mais parce que je n'ai pas écrit le bouquin, moi, j'ai été le questionneur, j'ai été le père dubitatif qui se pose des questions sur comment il faut élever ses enfants en 2000, ce qui n'est pas du tout évident, et il se trouve que lui, c'est un type que j'ai rencontré qui a des réponses, et qui a aussi une famille très nombreuse, et donc je lui posais ces questions, voilà !
Eric Jean-Jean : Tu es quel genre de père, toi ?
Jean-Jacques Goldman : Comme tout le monde, je crois, qui se pose des questions entre l'éducation traditionnelle qu'on a reçue, donc avec une certaine distance, et l'époque que l'on traverse où les enfants sont beaucoup plus proches… Alors, en même temps, c'est très bien ça, mais en même temps, je ne sais pas si c'est si bien que ça. Nous, en 68, on était entièrement différent de nos parents, c'est-à-dire qu'on n'avait pas la même coupe de cheveux, on n'avait pas les mêmes fringues, on n'avait pas la même musique, on n'avait pas le même rapport aux substances, par exemple, à essayer des trucs, on voulait voyager, on n'avait pas la même vie sexuelle aussi, enfin, tout changeait, alors que là, nos enfants sont comme nous. C'est-à-dire, ils s'habillent pareil, ils écoutent la même musique, enfin, en gros ! Donc, nous, on a vraiment été une génération fracture.
Eric Jean-Jean : Ça crée des interrogations quand toi tu es dans le rôle de père ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais pas uniquement en tant que père. Regarde dans l'Education Nationale par exemple, depuis 68, il y a un retour à l'autorité par exemple qui a été long à faire mais qui se révèle… C'est la même chose dans l'éducation des enfants.
Eric Jean-Jean : On ne sait pas trop où se positionner ?
Jean-Jacques Goldman : On ne sait pas trop s'il faut être permissif… J'ai lu un bouquin d'un psychologue qui travaille pour l'Education Nationale, et on lui pose la question : ma fille de 13 ans - enfin ce n'est pas mon cas ! - veut passer ses nuits avec son petit copain à la maison, qu'est-ce que je dois faire ? Et la réponse c'est : il faut bien lui parler de la contraception ! [rires] Il y a des choses quand même qui sont bizarres !
[La vie c'est mieux quand on est amoureux]
Eric Jean-Jean : Je termine par un questionnaire que j'ai volé, en tout cas, inspiré de Bernard Pivot, tu as déjà fait "Apostrophe" ?
Jean-Jacques Goldman : Non.
Eric Jean-Jean : Quel est ton mot préféré de la langue française ?
Jean-Jacques Goldman : Candeur ! J'adore ce mot.
Eric Jean-Jean : Un mot que tu détestes ?
Jean-Jacques Goldman : Ouais, mais je suis sûr que les gars, ils avaient le temps de préparer ! S'ils avaient le questionnaire, ils l'avaient donc préparé chez eux puisque c'était toujours le même.
Eric Jean-Jean : Oui, c'était toujours le même. Oui, c'est vrai, ils l'avaient intellectuellement préparé. Mais tu as le temps, on coupera au montage…
Jean-Jacques Goldman : Un mot que je déteste… euh… [silence]. Je ne sais pas.
Eric Jean-Jean : La sensation que tu préfères ou que tu détestes ?
Jean-Jacques Goldman : Je vais être nul… La sensation que je préfère, c'est une femme, quand même. C'est ce qu'il y a de plus fort. Et que je déteste ? Un homme, mais je n'ai jamais essayé ! [rires]
Eric Jean-Jean : Si tu avais dû faire autre chose que ce que tu fais aujourd'hui ?
Jean-Jacques Goldman : Ethnologue ! J'aurais adoré ça. Ethnologue, c'est trouver, ou chercher, pas forcément trouver, ou chercher le dénominateur commun de l'humanité. Ce qui fait que l'être humain est être humain.
Eric Jean-Jean : Quelqu'un de toi m'a dit : "c'est un archéologue moderne".
Jean-Jacques Goldman : Ouais, on est pas très très loin quand même…
Eric Jean-Jean : Justement, c'est pour ça que je te dis ça… Quel est le moteur, l'énergie de tout ça ?
Jean-Jacques Goldman : La chance d'être vivant. Parce qu'on a été mort très longtemps avant, avant de naître, on va remourir après, pour aller je ne sais où, au même endroit probablement… Et là, tout à coup, on a un petit flash de lumière sur nous qui va durer x années, et c'est un coup de pot, puisque avant, ça a duré l'éternité et après, ça durera l'éternité aussi…
Eric Jean-Jean : Tu crois qu'il n'y a rien après ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'en sais rien. Si, probablement il y a autre chose, mais en tout cas, ça dure longtemps. Alors que là, c'est un petit moment fini, qui est invivable pour certains et qu'on peut trouver magnifique quand on a du pot, évidemment. Il ne faut pas être né à Kaboul actuellement. Et quand on a la chance d'être né là, je trouve que c'est cette chance-là, tous les jours qui est un super moteur.
Eric Jean-Jean : Qu'est ce qui te rend dingue de colère ?
Jean-Jacques Goldman : Ça : les gens qui sont inconscients de la chance qu'ils ont.
Eric Jean-Jean : Qu'est-ce qui te fait marrer ou sourire systématiquement ?
Jean-Jacques Goldman : Marrer ou sourire ? [silence] Il y a plein de trucs qui me font marrer mais un truc chaque fois… [silence] Je ne sais pas, je chercherai après.
Eric Jean-Jean : Mettre un nez rouge face à Bigard aux Enfoirés ?
Jean-Jacques Goldman : Ouais, pas toujours, les comiques ne sont pas toujours drôles ! [rires] Eric Jean-Jean : Pour finir, quel est le juron que tu utilises le plus souvent ?
Jean-Jacques Goldman : C'est pire que des jurons. Des jurons, je crois que j'en utilise peu. Je crois que c'est le silence. Ce que je dis, ce n'est pas un juron, mais quand quelqu'un m'agresse et tout ça, ou que j'ai un problème avec, je vais le voir et puis je lui dis : "voilà, ça fait 50 ans qu'on se connaît pas, ça serait super si ça continuait". Ce n'est pas un juron vraiment, mais c'est plutôt froid !
Eric Jean-Jean : Je vois ça ! Merci d'avoir été avec nous, j'espère qu'on se reverra avant cinq ans !
Jean-Jacques Goldman : Ben ouais ! Va savoir…
Eric Jean-Jean : A bientôt. Salut Jean-Jacques !
Jean-Jacques Goldman : Salut !
(1) Alvin Lee (Nottingham, 19 décembre 1944). Légende vivante du rock et de la guitare (Gibson 355). Fonde en 1965 avec Leo Lyons (basse), le groupe "Ten Years After" (augmenté en 1966 par Rick Lee à la batterie et Chick Churchill aux claviers). Le groupe fait carrière aux Etats-Unis et en Allemagne, enregistre dix albums dont "Undead" en 1968 et "Sssh" en 1969, dans un style qui évolue du Blues anglais au Hard Rock. En 1974, par lassitude, Alvin Lee dissout le groupe pour fonder quelque temps plus tard "Ten Years Later" qui ne rencontre qu'un succès mitigé. Le groupe se reforme en 1989 mais garde le nom de "Ten Years Later"
Alvin Lee, "Nineteen Ninety Four, last call" / Wotre music, 1993
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