La bande passante
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La bande passante
Radio France Internationale, 15 mars 2002
Présenté par Alain Pilot
Retranscription de Nicolas Pacros
Alain Pilot : Quand tournent les violons et vient la pluie, il porte des petits chapeaux et l’on n'y peut rien, vous vouliez le revoir, the Quo is not in town tonight but Jean-Jacques Goldman is on the air today. Bonjour Jean-Jacques Goldman, bienvenue sur RFI...
Jean-Jacques Goldman : Je fais la hola là, ça ne se voit pas trop à la radio mais je la fais.
Alain Pilot : Voilà, pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore tous les titres, aujourd’hui je me suis amusé à jouer avec les titres.
Jean-Jacques Goldman : Bien joué...
Alain Pilot : Merci... "Status Quo". On découvre, ceux qui vous connaissent bien le savaient peut-être, votre fanatisme pour "Status Quo" ? Ou est-ce une histoire imagée du fan qui court après le concert, qui part avec son billet ?
Jean-Jacques Goldman : Non non, c’est une réalité. C’est une chanson qui était prête déjà sur l’album précédent mais qui n’y avait pas sa place, l’album était plus acoustique et plus tranquille, et par contre là il me fallait absolument un rock, et surtout un rock dansant et je pense que le groupe culte pour le rock dansant et festif c’est "Status Quo".
Alain Pilot : On pourra s’étonner quand même du graphisme du titre "C’est pas vrai" qui est traité à la façon "tag", quand on connaît l’aversion que vous avez envers le rap...
Jean-Jacques Goldman : Mais je n’ai pas du tout d’aversion envers le rap !
Alain Pilot : C’est ce que j’ai lu, alors est-ce vrai ou faux ?
Jean-Jacques Goldman : Non ! C’est complètement faux ! Simplement j’ai exactement le même sentiment envers le rap que celui que mes parents avaient envers le hard rock quand j’écoutais "AC/DC", c’est-à-dire ils se disaient : "Mais qu’est-ce que c’est ? C’est pas de la musique !" ou un truc comme ça ; c’est à dire que je ne comprends rien ! Mais je respecte n’importe quelle personne qui s’exprime, il n’y a pas de souci !
Alain Pilot : Tous les styles sont indiqués en face de chaque chanson de ces "Chansons pour les pieds", de la gigue en passant par la ballade, le disco, le rock, le zouk lent, la fanfare swing... Il n’y a pas de rap. Vous ne vous voyez pas, vous, à cinquante ans, faire du rap ?
Jean-Jacques Goldman : Je l’ai fait de façon un peu ironique sur les derniers concerts où je reprenais "Pas toi" en rap, mais ça durait une minute et ça faisait rire les gens. J’espère que le but du rap c’est de faire rire les gens...
Alain Pilot : Dans "C’est pas vrai", il y a "des radios, des infos, des rumeurs". Cela nous amène à ces rumeurs qui n’en sont peut-être pas sur vos rapports apparemment difficiles avec une certaine presse écrite. Au moment de la sortie de l’album, "Libération" et "Le Parisien" ont titré que vous ne vouliez pas, justement, être en Une de leurs quotidiens, qu’il fallait envoyer une lettre de motivation pour vous interviewer... Est-ce que c’est vrai ? Faux ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne demande pas aux gens : "S’il vous plaît, est-ce que vous voulez parler de moi ?", donc ça déjà, ça les choque terriblement. C’est eux qui doivent me demander... Sinon je n’y vais pas moi, je m’en fiche ! Ils en sont très choqués... Mais je ne demande pas une lettre de motivation, je demande juste qu’ils me le demandent et que ce ne soit pas moi qui le demande. Voilà, ça c’est le premier truc, et la deuxième chose qu’ils me reprochent c’est de ne pas vouloir être en Une. Alors ils disent que j’ai la grosse tête parce que je veux pas être en Une... Je trouve ça super !
Alain Pilot : Enfin c’est gagné parce que vous arrivez à être en Une quand même !
Jean-Jacques Goldman : Non ! J’y suis beaucoup moins que si je ne le demandais pas !
Alain Pilot : "Le Parisien", ils ne vous avaient rien demandé, et ils vous ont mis en Une !
Jean-Jacques Goldman : Voilà... Mais ce sont les seuls. Les autres, je leur dis : je fais une interview...
Alain Pilot : Est-ce que vous exigez aussi de relire l’article écrit sur vous, après, ou pas ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais tout n’est pas dit, c’est-à-dire que je n’exige jamais de connaître les questions à l’avance, et je m’engage toujours à ne jamais rien changer de ce que j’ai dit ! Simplement, lorsqu’ils écrivent que je déteste Charles Trénet ou que je déteste le rap, par exemple alors que j’ai dit... ou plutôt que je ne l’ai pas dit, je fais juste modifier... Donc j’ai une confiance inouïe dans leur incapacité ! Mais c’est quelque chose d’inimaginable !
Alain Pilot : Alors il y a ces reproches, et puis il y en a d’autres qui sont peut-être un peu moins justifiés, sur votre contrat dans lequel vous avez 24% de royalties sur chacun de vos disques (c’est le plus beau contrat qui soit pour un chanteur français). C’est tant mieux pour vous si vous êtes arrivés à trouver une maison de disques qui accepte ce genre de contrats, non ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais il y a toujours eu une presse un petit peu "people" qui s’occupe des histoires de vie privée, d’argent... Eh bien ça on sait... Et puis il y a toujours eu des délateurs aussi...
Alain Pilot : Alors des délateurs justement il y en a, mais qui témoignent dans l’anonymat, des proches, des gens du métier, qui disent qu’apparemment, si vous avez ce rapport là avec une certaine presse écrite, c’est que vous avez souffert de n’avoir connu la consécration qu’à l’âge de trente ans. Oui ? Vrai ? Faux ?
Jean-Jacques Goldman : Moi, j’ai sorti mon premier album en 1975 parce que je faisais des études avant, ce premier album c’était "Taï Phong", on décroche le tube de l’été tout de suite, et puis on est l’un des groupes les plus chroniqués, et on fait une carrière de trois albums et cinq ans qui est assez rare dans le paysage rock français. Tout ça s’arrête en 1978, je crois, date à laquelle je fais le dernier album qui s’appelle "Last Flight", et deux ans après, je signe un contrat avec CBS, et je sors un premier album, et le premier titre c’est "Il suffira d’un signe". Donc je ne vois pas trop à quel... Enfin, je me trouve quand même extrêmement favorisé ! J’ai dû attendre à peu près trente-six mois, pendant lesquels je n’ai pas eu de contrat et pendant lesquels je n’ai pas fait de musique... Enfin, il fallait bien faire des maquettes quand même... Non, donc... Je crois que j’ai été très chanceux globalement...
Alain Pilot : Réponse à tout ça : "C’est pas vrai", de Jean-Jacques Goldman, extrait de l’album "Chansons pour les pieds".
[C’est pas vrai]
Alain Pilot : "C’est pas vrai", tiré de cet album "Chansons pour les pieds", de Jean-Jacques Goldman. Est-ce que vous allez réitérer la page de pub avec les extraits des articles, dont on parlait tout à l’heure, ou ce n’est plus la peine maintenant ?
Jean-Jacques Goldman : Il n’y en a plus beaucoup maintenant, quand même, des mauvais articles...
Alain Pilot : Donc ce n’est pas la peine... Juste une dernière chose pour en finir avec ceci : le journaliste de "Libération" se plaignait de n’avoir pas pu écouter l’album avant... Il disait que même Madonna et Jackson ne pratiquent pas cela : il n’a pas pu recevoir l’album avant pour l’écouter.
Jean-Jacques Goldman : Oui... Madonna et Jackson quand ils sortent un album en France, il est déjà sorti depuis quinze jours ou trois semaines aux Etats-Unis, donc il est déjà sur Internet. Alors nous, on le sort au dernier moment parce qu’on sait qu’il y a ce souci là, donc ce n’est pas seulement leur problème à eux... Et puis il y a certains journaux du genre "Voici", "Gala", "Match", "Libération", "Le Monde", où je n’ai rien à faire ! Je n’ai rien à faire dans ces journaux "people", donc nous n’envoyons pas le disque.
Alain Pilot : "Le Monde" est journal "people" aussi ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, puisqu’il parle de ça, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
Alain Pilot : D’accord... Dan Ar Braz, bonjour...
Dan Ar Braz : Bonjour !
Alain Pilot : Bienvenue ici ! Jean-Jacques Goldman avait souhaité que vous soyiez à ses côtés, ici, pendant cette entrevue, parce que je crois, Jean-Jacques, que c’est un personnage que vous appréciez particulièrement, Dan Ar Braz ?
Jean-Jacques Goldman : Oui ! Je ne suis pas le seul ! C’est un musicien, un musicien intègre, et en plus qui m’a initié, avec d’autres, il y en a d’autres, ce n’est pas le seul, à cette magnifique musique celte et à cette fidélité qu’il entretient avec cette musique...
Alain Pilot : Et puis c’est aussi un musicien de bal au départ ? N’est-ce pas Dan ?
Dan Ar Braz : Oui, c’est le plus beau souvenir de ma vie de musicien, les bals...
Alain Pilot : C’est ce qui vous réunit alors aujourd’hui ?
Dan Ar Braz : Mais il y a plein de choses qui nous réunissent, je l’entends depuis hier [allusion à l’interview du jeudi 14 mars], il y a plein de choses qui correspondent... Et puis un des plus grands souvenirs du concert de Jean-Jacques, c’est lorsque les gens chantent "Là-bas" avec ces photos qui passent sur l’écran... Je trouve ça extraordinaire de voir les gens chanter, d’être dans le public et de les entendre chanter "Là- bas", il les envoie là-bas, il partent tous, ils ont tous leur chance, il y a des visages anonymes qui défilent sur l’écran, je trouve ça fabuleux...
Jean-Jacques Goldman : Et puis il y a la mer, c’est pour ça que tu aimes bien !
Alain Pilot : Il y a une internaute - je suis allé sur des sites non- officiels de Jean-Jacques Goldman sur lesquels de nombreuses questions sont posées - qui demandait "Où c’est Là-bas?" et "Où c’est On ira" ?
Jean-Jacques Goldman : "On ira", "Y’a que les routes qui sont belles", donc peu importe, c’est dit dans la chanson, "Les destinations se ressemblent". L’histoire de "Là-bas", c’est une histoire bien spécifique que moi je voyais au Mexique, entre cet homme qui veut absolument passer la frontière, et cette femme qui dit que finalement, l’essentiel est là...
Alain Pilot : Dan, quel souvenir gardez-vous de ce concert improvisé - vous êtes venus improviser sur scène à Rennes - où Jean-Jacques vous a invité à monter sur scène avec lui ?
Dan Ar Braz : Chaque fois qu’il m’a invité, chez les restos aussi, ça a été un bonheur, je le pense vraiment... On se dit que tellement de gens aimeraient bien être à ses côtés ici où là... Donc qu’il m’ait invité, je considère ça comme un extraordinaire privilège, et puis j’ai pris du plaisir... Je crois que la musique c’est tout simplement prendre du plaisir et s’intégrer dans le monde de l’autre.
Alain Pilot : Vous viendrez nous revoir Dan Ar Braz alors ?
Dan Ar Braz : Ah, ce serait avec grand plaisir oui...
Alain Pilot : Nous aussi... "Un goût sur tes lèvres". Merci Dan Ar Braz, à très bientôt, je rappelle que votre album s’appelle "La mémoire des volets blancs"...
Dan Ar Braz : C’est un album de chansons instrumentales... J’insiste toujours parce que on dit "c’est un album instrumental", ce qui veut dire que "c’est placard" , un peu, musique instrumentale...
Alain Pilot : Oui c’est musique d’ascenseur tout de suite...
Dan Ar Braz : Oui, ou "placard", ça ne passe pas en radio... J’insiste beaucoup là dessus parce que c’est là dessus où je me bats tous les jours... Ce sont des chansons instrumentales ! Et non un album instrumental.
Alain Pilot : Avec RFI, vous n’aurez pas à vous battre, c’est déjà ça... "Un goût sur tes lèvres", à très bientôt Dan Ar Braz.
[Un goût sur tes lèvres]
Alain Pilot : "Un goût sur tes lèvres", extrait de cet album "Chansons pour les pieds", titre d’ailleurs qui en a étonné plus d’un. Vous avez tendu une perche un peu aussi à certains de vos détracteurs : "Chansons pour les pieds", ils l’ont écrit "Chansons pour l’épier" et puis certains se sont dit "C’est pas pour les oreilles, c’est pour les pieds". Comment vous avez eu cette idée, d’appeler cet album "Chansons pour les pieds", Jean-Jacques ?
Jean-Jacques Goldman : En général, moi je ne sais pas trop quel album je vais faire, donc je commence à écrire les chansons qui viennent comme ça, puis au bout de six ou sept chansons, sept ou huit peut-être, je me rends compte qu’elles ont un point commun. Et là je me suis rendu compte que c’était toutes des danses, toutes des chansons de bal. A partir du moment où j’en ai huit ou neuf, j’essaie de faire rentrer les autres dans... le concept on va dire.
Alain Pilot : Donc ça a donné ces "Chansons pour les pieds", avec ce "technoriental" aussi...
Jean-Jacques Goldman : Oui oui, un petit néologisme...
Alain Pilot : Un petit plaisir, comme ça, de faire de la techno ?
Jean-Jacques Goldman : Oui oui, avec l’ironie persistante de mes enfants...
Alain Pilot : Ils ont quel âge aujourd’hui ?
Jean-Jacques Goldman : Entre dix-sept et vingt-cinq ans.
Alain Pilot : Alors qu’est-ce qu’ils ont dit quand ils ont entendu le technoriental ?
Jean-Jacques Goldman : Ils ont un peu honte, parce que pour eux... ou alors quand je fais du disco, parce qu’ils se disent que je n’ai pas les sons qu’il faut, que je ne sais pas le faire... Ils me disent "Continue plutôt à faire de la valse et du tango"...
Alain Pilot : Douze chansons et puis une treizième, qui arrive, comme ça, et qui n’a qu’un refrain, et pas de couplet. Est-ce qu’il y aura un jour des couplets sur cette vie "qui est mieux quand on est amoureux" ? Ou est-ce qu’elle est arrivée vraiment comme ça, c’est à dire qu’on entend à un moment "Jean-Jacques tu viens ?" et "Attendez-moi cinq minutes"... Puis vous restez dans le studio... C’est la vraie vie ou pas du tout ?
Jean-Jacques Goldman : Non, elle est arrivée comme les autres chansons, et en plus elle rentrait tout à fait dans ce disque, parce que c’était un rythme un petit peu africain, un rythme un petit peu balançant, et j’ai commencé à l’écrire. Alors j’ai commencé à faire les couplets et je n’y arrivais pas. A un moment je me suis rendu compte que cette chanson n’était finie que lorsque c’était un type en train de balayer au fond d’un studio, qui faisait "la la la " il aurait pu siffler "la la la, La vie c’est mieux quand on est amoureux..." - et je pense qu’à ce moment-là elle est parfaite cette chanson... Enfin, en toute humilité, mais elle est finie à ce moment-là. Mais je ne pouvais quand même pas faire une chanson officielle qui ne ferait que "la la la, La vie c’est mieux quand on est amoureux", donc je l’ai mise cachée dans l’album, avec cet esprit, où l’on est au fond d’un studio et où l’on chantonne sans vraiment penser à ce que ça passe un jour en radio... Et on dit l’essentiel, que la vie "c’est mieux quand on est amoureux"...
Alain Pilot : Les fidèles sont toujours là. Eric Benzi...
Jean-Jacques Goldman : Oui...
Alain Pilot : Gildas Arzel, qui est venu, à un moment... La famille reste là, toujours présente ?
Jean-Jacques Goldman : Non, non, je ne suis pas très fidèle, moi, sur ce plan là. Je suis fidèle quand ça fait l’affaire mais il m’est arrivé de faire quelques gros divorces avec des gens avec qui je travaillais depuis longtemps, parce que tout à coup, la musique en pâtissait. Ça ne s’est pas passé dans les cris et dans la colère, mais beaucoup dans la douleur, évidemment... Et si je reste fidèle à ces gens là, c’est que pour moi ce sont les meilleurs aussi... Et en plus ce sont des amis...
Alain Pilot : Merci Jean-Jacques Goldman. On va se quitter avec cette vie qui "est mieux quand on est amoureux"...
Jean-Jacques Goldman : Eh bien d’accord...
Alain Pilot : ...si ça ne vous dérange pas qu’elle passe à la radio un jour...
Jean-Jacques Goldman : Non non, pas du tout...
Alain Pilot : A très bientôt...
Jean-Jacques Goldman : A très bientôt, et puis merci pour votre accueil...
Alain Pilot : "La vie c’est mieux quand on est amoureux", bon week-end sur RFI.
[La vie c’est mieux quand on est amoureux]
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