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Sans limites : Jean-Jacques Goldman
(Grenoble, le 22 juin 2002)

Sans limites : Jean-Jacques Goldman
Grenoble, le 22 juin 2002
Radio Kol Hachalom Propos recueillis par Eric Saya

Eric Saya : Bonjour Jean-Jacques.

Jean-Jacques Goldman : Bonjour.

Eric Saya : Tu es de retour à Grenoble pour deux concerts très attendus par le public. Le nouvel album "Chansons pour les pieds" annonce des soirées riches en rythmes différents. L'originalité de ce dernier opus réside notamment dans son orchestration. Tu avais la volonté pour cela d'utiliser de nouveaux instruments et de nouveaux sons ?

Jean-Jacques Goldman : D'abord, je n'avais pas de volonté du tout. J'avais juste la volonté d'écrire des chansons. Ensuite, quand les chansons sont arrivées, je me suis rendu compte que c'étaient des danses, de façon non préconçue. J'ai poussé l'idée jusqu'au bout et forcément quand on parle de danses, on parle de musiques folkloriques et forcément on parle d'instruments plus particuliers.

Eric Saya : A chaque chanson de l'album est associée une danse. Est-ce que tu es parti des chansons pour les attribuer à un style musical ou est-ce que c'était voulu d'écrire une chanson par type de danse ?

Jean-Jacques Goldman : Au départ, comme je l'ai dit tout à l'heure, ce sont les six-sept premières chansons qui déterminent le reste. Ensuite par contre, il est vrai que pour les cinq qui suivent, j'essaie de les faire correspondre à l'idée de l'album.

Eric Saya : Que représente justement la danse ? Est-ce que c'est une chose sur laquelle tu voulais particulièrement t'arrêter sur un album ?

Jean-Jacques Goldman : Je pense que c'était déjà présent plus ou moins dans tous les albums précédents, mais de façon moins systématique. Je me rappelle qu'au début, toutes les chansons étaient reprises dans les discothèques. Nous avions même fait des remix de "Je marche seul", "Quand la musique est bonne", "Il suffira d'un signe". D'ailleurs, ce sont les discothèques qui en ont fait le succès aussi, mais peut être qu'à l'époque dans les années 1980, c'était une musique moins spécifique de danse qui passait. Ensuite l'idée a été de le rendre plus systématique, comme "A nos actes manqués". J'ai toujours été fasciné par les musiques de danses mais il faut dire que c'est aussi ma formation. J'ai commencé dans les groupes de bal. Nous faisions danser les gens et nous passions de Mike Brant à James Brown, à un Tango ou à un rock.

Eric Saya : Justement, je voulais revenir aux remix : un peu tous les artistes qui ont énormément de succès sont sollicités pour des remix. Je pense par exemple à la grande Mylène Farmer en tête des ventes de disques en ce moment, qui est remixée par tout le monde. Est-ce qu'on t'a fait des propositions de ce genre, est-ce que tu les attends ?

Jean-Jacques Goldman : Maintenant, la musique de danse est beaucoup plus spécifique. Avant on pouvait passer des rocks, des chansons populaires. Maintenant, Mylène Farmer fait des musiques de danses assez pointues et j'en suis très éloigné.

Eric Saya : Dans "Tournent les violons", tu racontes l'histoire d'un malentendu entre une jeune fille et un seigneur. La jeune fille attend toute sa vie un amour qui ne viendra jamais. Lorsque tu parlais des femmes dans tes chansons, elles ont souvent eu une attitude souvent passéiste comme dans "La vie par procuration", "Elle attend", "Il me dit que je suis belle", "En attendant ses pas". Est-ce que c'est vraiment un constat ?

Jean-Jacques Goldman : Là, il s'agit d'un constat que tu fais toi- même, car j'avoue que je n'analyse pas trop mes chansons, mais c'est vrai. Je suis beaucoup touché par ces femmes qui rêvent. Je ne dis pas qu'elles me plaisent forcément, mais ce sont des personnages qui me touchent, surtout le côté "je vivrai plus tard".

Eric Saya : Dans "Ensemble", tu cites des jours, des mois : mai, novembre, est-ce que c'est mai 68, novembre 1989 ? On essaye d'interpréter toujours !

Jean-Jacques Goldman : Non, je pensais juste à des mots qui sonnent à ce moment là. C'est vrai que ça aurait très bien pu être décembre et mars mais je trouvais que ça sonnait moins bien, c'est juste de la phonétique. [On sent une pointe d'humour dans la réponse]

Eric Saya : Et tant que nous sommes dans les dates, dans "Quelque chose de bizarre" - c'est une question qui me tient à cœur depuis très longtemps - le samedi 17 novembre, est-ce qu'il y a quelque chose de particulier ce jour là ?

Jean-Jacques Goldman : C'est l'anniversaire de mon père, sa date de naissance. [On perçoit un sourire dans la réponse, certainement le plaisir de l'évoquer].

Eric Saya : OK, alors on continue dans les chansons. Dans "C'est pas vrai", tu dénonces les clichés qui t'énervent plus ou moins, plutôt plus que moins. Pourquoi dénoncer les clichés ?

Jean-Jacques Goldman : Ça aussi, c'est une façon de voir les choses, qui revient dans pas mal de chansons d'avant. Une fois de plus, je ne suis pas trop dans l'analyse de mes chansons et j'y retourne d'ailleurs assez peu. J'ai réécouté une chanson qui s'appelle "Plus fort" par exemple, où il y a déjà ça… Moi un cliché tel que "tel père tel fils" ou "neige au printemps [il hésite un peu], rugby en septembre", ça ne me dérange pas, parce qu'aucune personne qui profère ces phrases, ces lieux communs n'a la sensation d'être brillante ou très réfléchie. Ce qui m'agace le plus, ce sont ces lieux communs qui font que les gens ont l'air très philosophes, du genre "c'est la faute à la mondialisation" ou "Oui, c'est le grand capital" ou bien "les politiciens sont tous corrompus". Ces phrases-là m'agacent, parce qu'elles sont aussi stupides et lapidaires que les autres mais avec une prétention de penser que je trouve plus grave qu'un bon vieux lieu commun, bien provincial, on va dire.

Eric Saya : Au sujet de la globalisation et de la mondialisation, je voulais savoir si tu considérais que la globalisation dans le métier que tu exerces, était le pouvoir des multinationales, des maisons de disques, qui font tout pour faire acheter telle marque plutôt qu'une autre. On a d'ailleurs eu récemment dans le magazine "Chorus" une étude qui dit que justement, il y a de plus en plus de musiques à la radio, à la télévision mais le spectre est de plus en plus étroit. On passe quasiment toujours les mêmes choses et c'est très formaté.

Jean-Jacques Goldman : Je voudrais des chiffres d'abord, des faits. Si, par exemple, la dispersion des chansons est beaucoup moindre maintenant sur un million de passages alors qu'avant c'était beaucoup plus dispersé mais sur 3 000 passages, ce n'est pas grave. Cela veut dire qu'il y a plus de choses qui passent. Je me rappelle dans les années 80, lorsque j'ai commencé, il y avait trois radios qui avaient en main le pouvoir sur notre travail. En gros, en deux heures, on savait si notre album était viable ou pas. C'était RTL, Europe 1 et France Inter. Je ne trouve pas que c'était mieux à l'époque. Après, il y a effectivement eu toutes ces radios libres et maintenant il y a le problème des réseaux. Je pense que les problèmes ont toujours existé. Maintenant, il y a Internet. Quand je vois les plus grosses ventes de disques actuellement, il y a Manu Chao, Noir Désir, beaucoup de choses qui étaient au départ des productions indépendantes. Il me semble que ce sont des faux problèmes. Par contre, ce qui est un vrai problème, c'est l'histoire des quotas et des quotas des chanteurs nouveaux. Cela, effectivement, il faut continuer à les défendre.

Eric Saya : Ici, la transition n'est pas évidente car je voulais parler de la chanson "Là-bas". Certains membres de notre communauté (Radio Kol Hachalom) ont interprété "Là-bas" comme une transposition du rêve de terre promise. Je voulais savoir ce que tu penses de cette interprétation.

Jean-Jacques Goldman : Ça l'est tout à fait, mais avec terre promise entre guillemets. Ça peut être Israël, mais ce sont les Etats-Unis pour les Mexicains, c'est la France pour un Marocain ou un Tchadien. En fait, ce n'est pas tellement une chanson sur l'exil, c'est une chanson sur les hommes et les femmes. On rejoint une question précédente. Je donne effectivement sans m'en rendre compte, un rôle à la femme plutôt attentiste, et plutôt un rôle de personne qui se contente de l'essentiel. J'aime bien cette phrase, "elle se contente de l'essentiel", c'est-à-dire qu'il soit mari, qu'il soit père, qu'ils vieillissent ensemble, qu'ils meurent, qu'ils fassent des enfants. Lui rêve d'avoir des droits, de pouvoir travailler, et même à d'autres horizons, d'autres combats. C'est plutôt une peinture d'un "caractère masculin", entre guillemets bien sûr, il ne faut pas trop généraliser, et d'un caractère féminin, plutôt qu'une chanson sur l'exil.

Eric Saya : Ces dernières semaines, Israël s'est considérablement détériorée. Les attentats contre les civils sont quasi quotidiens. Quelle légitimité accordes-tu à la politique de défense mené par le gouvernement israélien ?

Jean-Jacques Goldman : Toute légitimité puisque c'est une politique qui a été décidée démocratiquement par les Israéliens. Que je sache, ce sont eux qui meurent et pas nous. S'ils pensent que de façon démocratique - c'est le seul pays de la région qui a ce droit - c'est la meilleure politique, je n'aurai pas l'impudence, l'obscénité de leur dire, moi, ici, ce qu'ils ont à faire.

Eric Saya : Considères-tu que les médias français et européens, nous aident à percevoir le conflit de manière objective ?

Jean-Jacques Goldman : Je pense que les médias sont bêtes, globalement. Je pense qu'ils sont lâches et peureux. Ils ont à faire ici à une communauté maghrébine beaucoup plus virulente que la communauté juive, qui est assez pacifique. Ils n'ont aucun risque à raconter des histoires dans ce sens là. Je pense aussi que Israël communique très mal.

Eric Saya : Un certain nombre de chansons que tu as composées pour d'autres interprètes ont été très exportées et ont eu un succès énorme. On voulait savoir quelle était la chanson qui t'avait apportée le plus de satisfaction ? Plus particulièrement celles de Khaled, Patricia Kaas ou d'autres, lesquelles t'ont apporté les plus grandes surprises, les plus grandes satisfactions ?

Jean-Jacques Goldman : C'est difficile de choisir. Toutes m'ont apporté beaucoup de satisfaction. Évidemment, peut-être, "Aïcha" un petit peu plus, parce qu'elle est allée là où je ne pensais pas aller. Je me rappelle un jour, j'étais dans un studio, il y avait des Africains qui étaient là, des Zaïrois je crois. On se croisait tous les jours et on travaillait là-bas. Ils ne savaient pas qui j'étais. Un jour, il y en a un qui est venu me demander un autographe et les autres ont demandé qui j'étais, et il a répondu : c'est celui qui a écrit "Aïcha" [rires]. Et le fait de savoir que Khaled va jouer dans des stades aux Indes, par exemple, et que tout à coup qu'il y a des milliers d'hindous qui chantent cette chanson, ça me fait bizarre, c'est sûr !

Eric Saya : Un certain nombre de jeunes artistes revendiquent ouvertement leurs influences goldmaniennes, on va dire ça comme ça, comme toi et Francis Cabrel, vous revendiquiez une filiation avec Bob Dylan. Connais-tu ces jeunes artistes, comme Frédéric Lerner, Sally bat des ailes… Il y en a plein en ce moment.

Jean-Jacques Goldman : Non, je ne les connais pas. Je ne les ai pas rencontrés. J'ai croisé Frédéric Lerner dans une émission de télévision, mais on a très peu le temps de se parler. Je ne suis pas très bavard, je ne suis pas beaucoup le milieu des chanteurs. Je n'ai pas trop le temps, et je n'habite plus Paris.

Eric Saya : On va terminer sur les comédies musicales : parmi de grands producteurs, j'ai entendu Gérard Louvin dire : "le jour où Goldman me propose l'aventure d'une comédie musicale, je le suis les yeux fermés". Il me semble que "Rouge", que le deuxième album pour Céline Dion ont été des tentatives de créations scéniques… Jamais deux sans trois ?

Jean-Jacques Goldman : Non, là j'ai définitivement - on ne peut pas dire définitivement - mais j'ai laissé tombé, du moins, la comédie musicale telle que je l'envisageais, c'est-à-dire de la faire autour d'une histoire originale. Evidemment je pense que faire une comédie musicale autour de la belle au bois dormant ou des dix commandements ou des Misérables ou d'un livre, finalement c'est comme écrire douze chansons sur un thème. Je ne sais pas si c'est si différent d'un album. Ce que je voulais, c'était essayer d'écrire une histoire aussi. Maintenant, je suis sûr que j'en suis incapable. Donc est-ce que j'accepterais de faire dix ou douze chansons autour d'un thème qui pourrait être l'exodus ? Là j'ai vu que Barbelivien s'attaquait aux rapatriés d'Algérie. Je ne sais pas, mais ça ne m'excite pas trop pour l'instant. Je sais déjà que je n'arriverai pas à écrire un scénario orignal.

Eric Saya : Dernière question : quand tu dis "J'ai besoin de nos chemins qui se croisent", est-ce à l'attention de ton public à qui tu dédiais "Pour que tu m'aimes encore" sur la dernière tournée ?

Jean-Jacques Goldman : Je crois que c'est plus global que ça, mais eux en font partie. C'est un bel exemple. C'est-à-dire que je vis très bien sans eux, quand la tournée se termine, j'ai d'autres gens à croiser, j'ai d'autres choses à faire et quand tout à coup, le moment vient, je suis super heureux de les revoir, de remonter sur scène et de partager ces deux heures avec eux. Pendant que je suis avec eux, il y a plein de gens que je ne vois plus et que je serai content de retrouver après. Les vies sont faites ainsi, de ces croisements qui rendent la vie plus jolie.


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