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Vincent Delerm, chanteur mélancomique
Entretien enregistré à Grenoble le 21 janvier 2003
Propos recueilis et retranscrits par Jean-Michel Fontaine

A l'instar de Jacques Higelin ou de M, Vincent Delerm évolue au sein d'un monde qui lui est totalement personnel. L'univers delermien mêle références cinématographiques, ironie et angoisses existentielles, avec la dose d'auto-dérision qui permet à ses chansons de ne pas sombrer dans le tragique. A l'occasion de son passage à Grenoble, le 21 janvier, Vincent nous a accordé un entretien, pour Kol Hachalom.

Vincent Delerm, bonsoir.

Bonsoir.

Ton album est sorti il y a neuf mois. Comment as-tu vécu l'année 2002 ?

C'était beaucoup lié au spetacle. On a sorti le disque le jour où on a commencé une série d'un mois à l'Européen, à la fin du mois d'avril. Cela a été abstrait, l'évolution du disque, la façon dont il a été ressenti par la critique. La critique, c'est quelque chose que j'aime bien lire par rapport au spectacle, mais pas par rapport au disque. On sait tellement que l'on ne peut plus intervenir sur le disque une fois qu'il est fait que la scène prend le relais, quelque chose qui est en mouvement, qui peut évoluer. C'est un domaine dans lequel on peut tenir compte de ce que l'on vous dit, alors que l'album...

Justement, on va parler de ton album. Je trouve que ton album a une dynamique propre, que les chansons se relancent les unes les autres. Est-ce qu'il a été construit comme un scénario ?

Je ne sais pas s'il a été construit comme un scénario, mais par contre, en terme d'équilibre, c'est vrai que j'ai toujours oscillé entre des choses plus ou moins graves et légères, sachant qu'évidemment, tout ce qui est de l'ordre de quelque chose d'un peu plus mélancolique demande aux gens qui écoutent l'album de venir vers toi, une démarche active de leur part. Les chansons plus positives, plus joyeuses, sont faites pour aller au contraire au devant des gens. Il faut trouver le bon équilibre, quelque chose d'assez accessible, dans le sens de facilité d'écoute, de quelque chose de pas trop sombre, et en même temps, par ce biais là, pouvoir placer des chansons comme "Châtenay-Malabry" ou "Deauville", qui sont, comme j'imagine souvent, pour les gens en général, les projets les plus intimistes, les plus fragiles... J'imagine qu'on tient davantage à ses enfants les plus fragiles. Ce sont les chansons de cet ordre-là qu'on a le plus envie de défendre et de faire exister.

Tout de suite, on va écouter un premier extrait. Le titre qui t'a révélé au grand public, "Fanny Ardant et moi".

["Fanny Ardant et moi"]

Lorsque ton album est sorti, ce sont avant tout les médias que tu évoques dans tes chansons, comme France Inter ou Cosmopolitan, qui t'ont fait connaître. Est-ce que l'objectif, pour le deuxième album, serait de citer TF1 et NRJ, afin d'élargir ton auditorat ?

C'est un peu faux sur Cosmopolitan. C'est arrivé très tardivement. France Inter, c'est la radio "chansons". Quand on vient d'un milieu profs, c'est la radio qu'on écoute aussi. Dans les années 70, je sais que mes parents ont découvert des chanteurs par rapport à cette radio. Cela m'a fait plaisir d'être programmé sur Inter. La grande inquiétude que l'on a, c'est de se dire, "est-ce que je ne vais pas passer à côté, éventuellement, de gens qui, éventuellement, auraient aimé ce que je fais et qui n'en auront pas connaissance ?". Il y a certaines choses - notamment, le partenariat que l'on a eu avec France Inter - ça évite beaucoup d'avoir cette idée. Le jour où j'ai appris qu'Inter était partenaire... Par rapport à TF1... et l'autre, c'était quoi ?

C'était TF1 et NRJ...

NRJ !

... Non, je disais cela parce que tu es nommé trois fois aux Victoires de la Musique, alors que tu n'es pas nommé aux NRJ Music Awards. [rires] C'est assez révélateur, quelque part, du style...

Sûrement. En tout cas, on s'attendait plutôt à n'être nommé nulle part, mais en tout cas, les NRJ Awards...

On va écouter "Tes parents", puisque tu cites France Inter dans "Tes parents".

Ecoutons "Mes parents" !

["Tes parents"]

Maintenant, quant tu interprètes "Tes parents", tu dis "quand est-ce que vous prenez des cours de chant avec Armande Altaï ?" [la prof de chant de la Star Académy]

Je change ça. Il y a des chansons qui sont plus au chausse-pieds, qui sont moins élégantes que d'autres. "Tes parents" fait typiquement partie des chansons qui sont plus vivantes, des chansons de scène. Souvent, je change des bouts de texte, en fonction de choses qui correspondent plus à l'actualité. Cela a vraiment à voir, dans l'esprit, ces chansons-là, avec une discipline de chanson presque médiévale, dans le sens d'aller chanter sur les places, quelque chose qui est en mouvement. Et puis il y a d'autres projets, d'autres chansons, auxquelles on ne touche pas du tout d'une fois à l'autre. Ce soir, je ne chanterai pas ça, par exemple, sur cette chanson-là. Ça change aussi. Quand on fait deux ou trois soirs quelque part, j'essaie de varier aussi.

J'ai demandé à mes amis...

Ouh là !

...qui aiment ton album, comment ils te définiraient, en quelques mots. Parmi les remarques les plus intéressantes, j'ai relevé "un Bénabar mélancolique", "un Arthur H. clean", "le fils des amours particulières de Barbara et d'Alain Souchon", "un Robert Smith français élevé au Truffaut".

Pas mal, Robert Smith français ! Ça fait plaisir. J'étais très marqué par Cure, ou après, par des gens comme Divine Comedy. Pour autant, je reproduis cela très peu dans ce que je fais. Les choses sont curieuses : Robert Smith, j'aimais vachement sa façon d'avancer sur scène, sa démarche physique. Quand on a des influences, ce n'est pas uniquement l'écriture ou mélodique, c'est vrai. C'est un ensemble de choses. Dans mon cas, c'est la scène qui compte le plus pour moi. C'est dans ce domaine-là que j'essaie de piocher, et que je pioche aussi inconsciemment. Ça réunit tellement de choses, aussi, du visuel, que sur l'énergie... Qu'est-ce qu'il y avait d'autre ?

Je trouve que tu as beaucoup de points communs avec Bénabar, notamment.

Oui, oui, le Bénabar mélancolique... Le premier album de Bénabar contenait un peu plus de chansons mélancoliques. "Tes parents", des chansons comme cela, ce n'est pas très loin de "Y'a une fille qu'habite chez moi".

Ça te dirait d'écouter "Y'a une fille qu'habite chez moi" ?

Avec plaisir !

[Bénabar : "Y'a une fille qu'habite chez moi"]

Quelle est la part d'autobiographie dans tes chansons ? Par exemple, Laurent Voulzy a vraiment rencontré une Karine Redinger. Est-ce que toi, tu as rencontré une Charlotte Carrington ?

Il a vraiment rencontré une Karine Redinger ?

La chanson, c'est vraiment autobiographique, c'est-à-dire qu'il a vraiment rencontré une fille sur un bateau qui était en voyage de noces, et qui l'a dragué pendant son voyage de noces.

C'est marrant. C'était une fille que je connaissais, qui faisait beaucoup de projets comme ça, qui se cassaient la gueule régulièrement. C'est drôle parce qu'il y avait vraiment une poésie dedans.

Elle doit être contente, maintenant, de se retrouver sur disque...

Je ne sais pas. La chanson n'est pas vraiment agressive. De manière générale, quand j'essaie, comme ça, d'évoquer des choses qui peuvent éventuellement être un peu de la dérision pour les autres, ce n'est jamais violent. Je crois que j'aurais du mal à m'attaquer à des choses qui m'énervent énormément. Il faut toujours qu'il y ait un charme, même dans le côté un petit peu négatif. Là, en l'occurence, c'est le cas. C'est touchant, de toujours penser qu'on a plein de projets, quand les choses ne se passent pas.

["Charlotte Carrington"]

Tous les articles qui te mentionnent soulignent tes influences cinématographiques, mais il me semble que tu pourrais être le digne héritier du spleen baudelairien, notamment avec Châtenay-Malabry.

J'ai toujours essayé d'intégrer de la légèreté même au sein des chansons dures et un peu tristes. Effectivement, j'ai du mal à me voir comme quelqu'un d'entièrement "baudelairien" [rires] - indépendamment du style et de la qualité de Baudelaire dont je me sens loin. Même sur le fond, la thématique, je ne suis jamais très loin de pouvoir glisser vers quelque chose qui remet en question la gravité de mes chansons graves, par exemple. A un moment donné, il y a un côté fortement mélancolique là-dedans, mais je sais que dès la chanson suivante, on va passer à autre chose, et inversement. Même une chanson comme "Fanny Ardant", il y a des parties qui sont mélancoliques, qui sont voilées, qui ne sont pas ouvertement mélancoliques. J'ai toujours eu du mal à être tout l'un ou tout l'autre.

D'ailleurs, l'adjectif "mélancomique", c'est toi qui te l'es inventé ?

C'est Gilles Médioni, de L'Express. J'ai trouvé ça bien.

On va écouter "Châtenay-Malabry".

["Châtenay-Malabry"]

On sait à quel point tu es passionné par le cinéma. Quand j'ai entendu ton duo avec Irène Jacob sur "Cosmopolitan", je n'ai pas pu m'empêcher de penser que tu pourrais, à l'instar de Serge Gainsbourg, faire chanter les actrices. Est-ce un projet que tu envisages, et si oui, avec qui aimerais-tu travailler, dans l'absolu ?

Pas vraiment, sous cette forme-là, de me dire, "je vais travailler avec des actrices". J'ai toujours aimé les auteurs-compositeurs, et surtout, le fait de faire exister un univers vraiment à soi, par le texte, beaucoup. N'importe quelle chanteuse a déjà son univers. Une fille comme Keren Ann : j'adore chanter avec elle, on a déjà fait pas mal de scène ensemble. On chante les chansons des autres, ou les nôtres, mais je ne crois pas que j'aurais envie de la faire entrer dans mon univers, sur un disque, parce que le sien est déjà tellement fort... Les actrices ont une façon de chanter qui est toujours assez investie, même si c'est un peu moins juste...

Une sorte de fragilité dans la voix qui est extrêmement touchante...

Oui, et puis elles jouent vraiment de ça : avec Irène Jacob, quand on est venus chanter à "La Cigale", elle était là, et c'était vraiment très émouvant.

On t'imagine plus chanter avec Virginie Ledoyen, par exemple, qu'avec Lara Fabian !

Oui, plus ! [rires]

On va écouter "Cosmopolitan", alors.

[Irène Jacob et Vincent Delerm : "Cosmopolitan"]

On vient d'écouter "Cosmopolitan", qui est un duo avec Irène Jacob. On a pu t'entendre, en diverses occasions, interpréter des reprises de chansons - soit seul, soit en duo - des chansons aussi inattendues que "La fleur aux dents" de Joe Dassin, "Le lundi au soleil" de Claude François, ou "L'aventura" de Stone et Charden. Ces chansons deviennent alors des chansons de Vincent Delerm à part entière. Est-ce que tu ne tends pas dans ces cas-là vers l'auto-parodie, le sketch comique ?

Je ne crois pas... Dans le cas de "L'aventura" [rires], je ne dirais pas que c'est devenu une chanson à part entière de moi. C'était avec Jeanne Chéral, à la fin du spectacle de L'Européen. C'est sûr que des chansons comme "Le lundi au soleil", ça m'a toujours intéressé. C'est le cas pour beaucoup de chansons des années 80, des chansons arrangées avec un arrangement qui a un peu vieilli, lié au son de cette époque-là. Des chansons avec une vraie richesse mélodique, des textes qui sont parfois un peu naïfs, mais pas forcément. Les couplets du "Lundi au soleil" par exemple sont assez bien écrits, et assez littéraires. J'aime bien les chansons dont les couplets sont supérieurs aux refrains, notamment mélodiquement. Chez Simon et Garfunkel, par exemple. Avec Keren Ann, on a repris "Tout doucement" de Bibie, ça fonctionnait bien. C'était assez beau. C'était un concert où on était tous les deux, et je pense vraiment [rires] que c'est la chanson que les gens ont retenue du concert ! C'était drôle.

On va écouter "Le lundi au soleil" que tu avais chanté avec Keren Ann l'été dernier, sur SLAP.

[Keren Ann et Vincent Delerm : "Le lundi au soleil"]

Les inédits que tu interprètes sur scène figureront-ils sur un deuxième album studio, ou sur un album live ?

Sur un album live, sûrement à un moment donné ; certaines de ces chansons, aussi, sûrement, sur le deuxième album, mais peu, finalement, et surtout, pas celles qui sont le plus efficaces sur scène, à savoir la chanson des jeux de société, "Les assiettes", les chansons comme ça, ou "Les connaissances". Ce sont vraiment des chansons de scène. Ça fait toujours un peu peur aux gens après le spectacle, quand ils me demandent quelles chansons ils verront sur le deuxième, et que je leur donne les quatre qui ont le plus plombé l'ambiance du spectacle [rires]. Il y a une chanson qui s'appelle "La véranda", par exemple, qui sera sur le deuxième album.

Pour quand est-il prévu, ce deuxième album ?

On l'enregistrera sûrement au mois de décembre prochain, donc il sortira au printemps suivant. J'aime bien l'idée d'un album tous les deux ans, de même que - comme je le disais - j'avais été influencé par beaucoup de gens. Il y a des gens chez qui on apprécie le rythme, les pochettes, ou des choses comme ça, qui sont parfois en décalage, comme Thomas Fersen, qui sort un album tous les deux ans à la même saison. C'est quelqu'un que j'ai toujours bien aimé.

Ce sera un album aussi court ?

Un petit peu moins. De toute façon, il fera un nombre de titres impair, parce que je n'aime pas les nombres pairs. Ce sera 11 ou 13. En général, j'aime bien l'idée de concision, que ce soit un petit boeuf, quitte à ce qu'il soit court. Ce n'est pas très grave. Ce qui compte, c'est que les gens n'arrêtent pas en cours de route, j'avais beaucoup cette hantise-là. Il y a des albums que j'aime beaucoup, mais il y a un moment où je me dis, "bon, ça va maintenant", et là, je voulais que le disque arrive jusqu'au bout...

Là, on n'a pas le temps d'arrêter ! [rires]

Voilà ! Mais par contrat, normalement, on est tenus de faire 35 minutes, et le premier, il fait moins de 35 minutes. Je vais avoir un procès de Warner.

On va écouter l'un des inédits, dans une version que tu as interprétée pour la Radio Suisse Romande il y a quelques semaines...

Pas mal !

... "Les jeux de société".

["Les jeux de société"]

Ton père raconte dans un livre que quand tu avais huit ans, tu voulais devenir facteur. N'est-ce pas ce que tu as réalisé, finalement, puisque tu délivres des lettres de la vie quotidienne à ton public ?

Oh là là ! Il faisait allusion... Quand j'étais petit... J'ai eu une enfance assez heureuse. J'avais moyennement envie de quitter l'enfance. C'est très... Je répugne un peu à parler de ça, parce que le personnage qu'on a, qu'on met en place, on décide qu'il a tel âge -- par exemple, moi, mon personnage sur scène, c'est un personnage d'étudiant. Autant dans la vie, je peux parler de l'enfance facilement à des gens qui sont proches de moi, autant, l'enfance, si j'en parle, j'en parlerai sous un angle donné, précis, et pas sous des angles qu'on m'impose. Quand je dis "qu'on m'impose", par rapport à cette thématique, là, je commençais à partir sur une explication d'enfance qui pour moi n'a rien à voir avec ce que je fais en chanson. Sûrement que mes chansons sont des lettres, oui. Peut-être que cette impression vient de "Châtenay-Malabry", qui a un format épistolaire. Les correspondances, ça m'a toujours intéressé. Les correspondances de Truffaut, par exemple.

Et puis il y a "La vipère du Gabon", aussi, qui est une belle correspondance entre deux personnes à mots couverts, donc on va l'écouter tout de suite.

["La vipère du Gabon"]

 

Voilà, c'est fini, déjà. J'espère que tu as trouvé mes questions plus intéressantes que les épreuves de bobsleigh.

C'est bizarre. J'adore le principe des jeux olympiques, le fait que régulièrement, tous les quatre ans, on s'intéresse à quelque chose dont on n'a absolument rien à faire le reste du temps. Par contre, pour cette idée-là, j'ai un peu transformé la vérité, j'ai un peu triché : même les matches de hockey sur glace, c'est quelque chose qui m'intéresse plutôt !

On va se quitter avec "Slalom géant". Est-ce que tu as un petit mot à faire passer à nos auditeurs ?

C'est difficile... "Slalom géant", c'est la chanson qu'on fait tout le temps en balance. C'est la chanson où généralement, on fait des imitations d'autres chanteurs. C'est une chanson par exemple qui se prête bien à une chanson de Renaud. Quand on imite Renaud, c'est assez ressemblant.

Merci Vincent, et à bientôt.

Merci à vous !

["Slalom géant"]

[Annonce pour la radio] Bonjour, c'est Vincent Delerm, vous écoutez Kol Hachalom.

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Interview en kit:

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(c) janvier 2003 Jean-Michel Fontaine - Tous droits réservés

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