Céline Dion : 1 fille & 4 (chics) types
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Céline Dion : 1 fille & 4 (chics) types
Carrefour Savoirs n°52, octobre 2003
Propos recueillis par Rémi Bouet
Retranscription de Jean-Michel Royer
De Las Vegas nous parvenaient, depuis quelques temps, les nouvelles d'une Céline Dion plus (trop ?) américaine que jamais. Une Céline qui aurait presque oublié l'attachement de la France : son égard. Fausse rumeur ! Intox ! Tout en recevant le monde entier dans la capitale mondiale du jeu, elle trouvait le temps de préparer son retour sur la bonne vieille terre de France. Un retour orchestré par le complice de ses aventures discographiques hexagonales, Jean-Jacques Goldman. Mais le duo prolifique, auteur des triomphaux "D'eux" et "S'il suffisait d'aimer", est devenu quintet avec la participation active de trois surdoués de l'écriture et de la production, Erick Benzi, Gildas Arzel et Jacques Veneruso. A eux trois, ils formaient dans les années 1980 le groupe Canada (souvenez-vous de la chanson "Mourir les sirènes"), aujourd'hui ils collectionnent les tubes pour Garou, Florent Pagny, Johnny Hallyday, Yannick Noah, Patrick Fiori, etc. A eux cinq, ils nous offrent un album qui transpire d'amitié, de joie, de passion et de mélodies entêtantes. On connaît parfaitement bien la fille, Céline, et l'un des types, Jean-Jacques. Carrefour Savoirs est donc allé à la rencontre des trois derniers de la bande qui nous racontent cette folle aventure de "1 fille & 4 types".
Jacques Veneruso : "Avec Céline et Jean-Jacques, on ne peut plus appeler ça du travail"
Rémi Bouet : Comment devient-on un des quatre types de Céline ?
Jacques Veneruso : On se connaît depuis longtemps. C'est une aventure que l'on doit à Jean-Jacques Goldman. Il avait une nouvelle opportunité de travailler avec Céline et c'est elle qui a eu l'idée de nous réunir tous les quatre et de créer un groupe derrière elle.
Rémi Bouet : On a l'impression que tout s'est fait naturellement.
Jacques Veneruso : Je suis habitué à des artistes qui sont humainement bien, mais là, on est au top. Avec Jean-Jacques et Céline, on ne peut même pas appeler ça du travail. Pour eux, par leur état d'esprit et leur manière d'aborder les choses, qui font que tout se passe agréablement.
Rémi Bouet : Céline Dion se comporte toujours simplement ?
Jacques Veneruso : Humainement, je ne la connaissais pas et j'ai été vraiment séduit par sa personnalité. Elle est numéro un mondial et elle est plus simple que beaucoup d'autres qui n'ont fait que le dixième de ce qu'elle a fait.
Rémi Bouet : Comment abordez-vous chaque projet ?
Jacques Veneruso : J'ai une approche un peu particulière. C'est-à-dire que j'écris des chansons, je les chante jusqu'à faire comme si j'allais les enregistrer et les sortir moi-même le lendemain. En fait pour une chanson, il y a celui qui l'écrit et celui qui la chante. J'essaie donc de trouver le meilleur interprète pour mes chansons. Il y a toute une famille d'artistes qui m'attirent et, depuis pas mal d'années, j'ai la chance de pouvoir choisir. Pour l'instant, je ne me suis pas trompé et je travaille avec des gens comme Florent Pagny, Johnny Hallyday et Garou. Alors, bien sûr, je pense parfois à eux, à ce qui leur irait bien en écrivant, mais pour moi, une chanson existe d'abord par elle-même. L'interprète, si on le choisit bien, va ensuite l'amener à son summum.
Rémi Bouet : Une chanson peut-elle attendre longtemps la rencontre avec son interprète ?
Jacques Veneruso : Bien sûr, parce qu'il y a des chansons où on se sent plus proche, mais dont on a du mal à déterminer qui pourra la chanter. Par exemple, "Sous le vent" était une chanson que j'avais déjà écrite depuis pas mal de temps et je ne la proposais jamais à personne. J'ai pourtant participé à des projets d'albums assez importants dans cette période, mais intimement je me disais "j'attends qu'elle soit dans le meilleur écrin possible". Ça a été Garou ! Même chose pour "Marseille". Je ne pensais jamais pouvoir la donner à un interprète, parce que c'était une chanson intimiste. Il fallait que ce soit quelqu'un qui ait une histoire comparable et c'est arrivé avec Patrick Fiori.
Rémi Bouet : Vous avez d'ailleurs enregistré cette chanson en duo avec Patrick Fiori.
Jacques Veneruso : Patrick sentait que j'avais un peu de mal à me séparer de cette chanson et il m'a proposé de la chanter en duo avec lui. Ça m'a fait vraiment plaisir et, depuis, on la fait sur scène pendant sa tournée.
Rémi Bouet : Vous êtes allés vers le projet de l'album de Céline Dion en position de groupe. C'est un beau challenge ?
Jacques Veneruso : Oui. Je ne sais pas jusqu'où ça va aller, mais c'est vrai que l'idée du concept est géniale. Moi, j'adorerais qu'il y ait une petite tournée.
Rémi Bouet : La relation que vous avez avec Jean-Jacques Goldman est exceptionnelle.
Jacques Veneruso : C'est vrai et ça a été une chance. D'ailleurs, avec le recul, on se dit que tout s'est joué sur un instant. Avec le groupe Canada, on avait une chanson, "Mourir les sirènes", qui marchait bien. Jean-Jacques nous a croisés dans un aéroport et il nous a dit : "J'adore ce que vous faites, il faudra qu'on se revoie". La semaine suivante, il nous a invités sur une radio. Et depuis quinze ans, Erick, Gildas et moi avons des rapports particuliers avec lui.
Rémi Bouet : J'ai l'impression que l'enregistrement de "1 fille & quatre types" a été bonne partie de rire et d'amitié.
Jacques Veneruso : Oui, c'est vrai. Jean-Jacques, Erick, Gildas et moi, on se connaissait déjà pour la rigolade, mais il y en a une qui n'a pas donné sa part au chat, croyez-moi ! Céline est vraiment quelqu'un qui adore la fête.
Gildas Arzel : "Céline, elle est vraiment une taille au-dessus"
Rémi Bouet : Vous travaillez depuis plusieurs années avec Jean-Jacques Goldman. Vous avez réalisé et participé, avec Erick Benzi et Jacques Veneruso, à plusieurs de ses albums et à ceux de Johnny Hallyday, Garou ou Florent Pagny. Vous êtes, à vous quatre, une marque de fabrique, un style.
Gildas Arzel : Oui, c'est vrai, on s'est bien trouvés. Avec Erick Benzi et Jacques Veneruso, nous avons créé le groupe Canada, il y a plus de vingt ans, et nous formons une véritable équipe. En ce qui concerne Jean-Jacques, il a dix ans de plus que moi et il fait un peu office de "grand frère". Dans le show-business, il y a toujours des pièges qu'il nous a appris à éviter. On est assez complices et on lui apporte des choses qu'il n'a pas forcément. Nous sommes très complémentaires. Il apprécie également l'aspect relations entre musiciens. Il est soufflé de voir, par exemple, que je peux passer des heures sur ma guitare pour trouver un son.
Rémi Bouet : La rencontre avec Céline Dion a dû être un moment important pour vous.
Gildas Arzel : Je me souviens que le premier contact avec Céline a eu lieu pendant une télé où elle chantait en public. Je me suis rapidement aperçu de l'ampleur de la dame. En live, c'était déjà très impressionnant et ça s'est confirmé lors de notre travail en studio.
Rémi Bouet : Comment aborde-t-on un album pour Céline Dion ? On doit impérativement faire du sur mesure ?
Gildas Arzel : En fait, ce n'est pas vraiment du sur mesure. Par exemple, j'ai écrit un blues, c'est plutôt un style qu'elle aime mais qu'elle ne chante pratiquement jamais. Elle a retenu la chanson et aborde ainsi quelque chose de nouveau. Par ailleurs, comme Jean- Jacques connaît assez bien les personnalités des artistes, c'est quand même lui qui coordonne tout le travail et établit un cahier des charges. On sait à peu près où on va, mais on essaie surtout de refaire ce qui a fonctionné dans l'histoire de Céline. Le fait qu'on chante sur elle sur une ou deux chansons, chacun sur un couplet, apporte plein de nouvelles choses à l'album. Il y a également beaucoup de chœurs parce qu'on adore ça, donc ça sonne vraiment comme un groupe. En fait, le changement se fait dans la continuité mais très naturellement.
Rémi Bouet : Comment, professionnellement, pourriez-vous décrire Céline Dion ?
Gildas Arzel : Elle donne l'impression de tout faire facilement. C'est en fait la conséquence d'un énorme boulot. Avec elle, on ne se rend jamais compte qu'elle travaille. La vérité, c'est qu'elle est vraiment une taille au-dessus ! On a fait un album pour Johnny Hallyday (Lorada, ndlr), c'était pareil, on sait que là on est en train de bosser avec la légende !
Rémi Bouet : Vous emmenez à chaque fois les artistes à une certaine simplicité de l'approche du son, à une certaine innocence.
Gildas Arzel : On le fait comme ça, sans se forcer et je pense que les artistes retrouvent avec notre équipe cette simplicité. Je crois que d'autres proposent peut-être des choses un peu plus pudiques. On aime bien les chansons directes qui disent : "je suis content d'être là". On peut aussi faire des titres tristes ou alambiqués... Mais ce qui va directement à l'essentiel, les artistes aiment ça en général.
Rémi Bouet : J'ai l'impression que vous ne faites pas d'album dans la douleur. C'est une forme de joie d'écrire et d'enregistrer un album ?
Gildas Arzel : On a connu des albums douloureux. Ce n'est pas facile à vivre, on ne peut pas faire ça tout le temps. L'avantage de travailler à quatre, c'est qu'effectivement personne n'a le poids complet de l'album sur les épaules. C'est très décontractant, chacun fait son boulot et ça évite pas mal de tensions. Comme on est assez calmes et confiants et que, pour l'instant, on a beaucoup de résultats dans notre travail, ça se passe bien. J'ai l'impression qu'on offre aux artistes une petite parenthèse de fraîcheur car, quand on travaille sur un album, on leur permet d'oublier le poids du marketing et de l'enjeu économique qui sont indissociables des projets de disques importants.
Rémi Bouet : C'est quand même une sacrée histoire que d'être partie prenante d'un album de l'artiste numéro un mondial. D'être un des "quatre types" aux côtés de "la fille". Peut-il y avoir un prolongement sur scène tous les cinq ?
Gildas Arzel : Je suis prêt à tout ! Si la question est : "Si Céline partait en tournée française, est-ce que tu la ferais ?" Oui parce que c'est un bon moment, une expérience, ça ne peut pas faire de mal.
Rémi Bouet : Comment analysez-vous la relation exceptionnelle qu'entretient Jean-Jacques Goldman avec son public ?
Gildas Arzel : Je pense qu'il a tout fait pour ça, mais dans le bon sens. C'est-à-dire qu'il fait de la bonne musique et qu'il ne dit pas n'importe quoi. Et puis son engagement d'homme, par exemple dans les Restos du Cœur, le rapproche des gens qui apprécient son attitude. De plus, quand il fait des chansons pour les autres, il les fait bien. Enfin, il n'y a pas de différence entre ce qu'il dit à la télé et ce qu'il est avec nous, avec ce qu'il est dans la vie. Il ne dit pas forcément tout ce qu'il pense mais il pense tout ce qu'il dit !
Rémi Bouet : Vous allez vivre la sortie du disque de Céline avec anxiété ?
Gildas Arzel : Non, avec elle, je ne suis pas inquiet ! Je ne suis même pas inquiet pour moi. Je suis du genre fataliste quand ça marche bien, je suis très content, mais quand ça ne marche pas, je reste heureux si le résultat artistique était bon. Je considère que le résultat commercial est un bonus.
Erick Benzi : "Pour moi, cet album, c'est juste du plaisir"
Rémi Bouet : Racontez-moi comment vous avez abordé cet album ?
Erick Benzi : Avec Céline, c'est quand même le troisième album que je fais après "D'eux" et "S'il suffisait d'aimer", et je vis une grande complicité avec Jean-Jacques depuis des années. L'idée est donc venue progressivement de faire ce nouvel album en famille. J'ai abordé tout ça très sereinement, parce que je sais que ça se passe toujours super bien avec elle. Elle est débordante de joie, c'est toujours très facile, c'est quelqu'un qui est au-dessus. On a fait des choses qu'on a commencé à préparer pour lui soumettre et, après, ça c'est fait simplement, entre Paris et Las Vegas.
Rémi Bouet : Comment expliquez-vous qu'à ce niveau professionnel, ce soit si simple de travailler avec Céline et Jean-Jacques ?
Erick Benzi : Ce que je pense, c'est que l'époque de "la galère" est passée, l'époque de travailler dur est derrière. Il arrive un moment où l'on n'a rien à se prouver les uns aux autres. Tous les cinq, on a fait chacun un parcours assez conséquent. On a réglé tous nos problèmes d'ego. Pour moi, cet album, c'est la cerise sur le gâteau, c'est juste du plaisir et ça se ressent à l'écoute.
Rémi Bouet : On a le sentiment que vous n'avez pas pour autant laissé de côté vos envies de poursuivre une carrière à vous.
Erick Benzi : C'est pour ça que je dis que c'est une parenthèse, c'est une collaboration. On a tous des tas de projets séparés mais c'est un moment sympa de se retrouver. On fait un album, de la promo, un magnifique clip : on s'est beaucoup amusés on a beaucoup rigolé avec Céline ! C'est ce qui est le plus imposant.
Rémi Bouet : Elle m'a dit qu'elle s'était découvert des nouveaux frères.
Erick Benzi : Oui, parce qu'elle se rappelle son enfance, entourée de ses frères. Nous avons travaillé en famille et, chacun, dans l'histoire de cet album, est à sa place, chacun fait ce qu'il faut. C'est un régal.
Rémi Bouet : Vous qui avez travaillé avec les plus grands, comment aborde-t-on Céline Dion par rapport à Johnny Hallyday ou à des artistes de ce gabarit ?
Erick Benzi : Chacun est particulier, chacun a des qualités respectives. Céline, c'est quelqu'un qui apprend très vite. On chante une fois la mélodie, elle la retient immédiatement avec le bon ton. Elle sent la chanson. Le premier enregistrement est souvent le bon. La première fois qu'elle chante peut être tellement magique qu'il ne faut pas hésiter à garder cette voix sur l'album. Il faut savourer ces moments-là parce qu'on sait que ça ne va pas durer longtemps, ça va trop vite. Céline est capable d'enregistrer un album en quatre jours, ce qui est impossible à faire avec d'autres artistes, c'est un phénomène de la nature. C'est toujours intimidant la première fois, quand on n'est pas, soi-même, un grand chanteur.
Le mot du maître
Jean-Jacques Goldman : Céline souhaitait que je lui écrive des chansons et que je réalise complètement ce nouvel album. Par manque de temps, je l'avais prévenue que je ne pourrais pas prendre tout l'album en charge. L'idée nous est venue de réaliser un vrai travail de groupe. Avec Erick Benzi, Gildas Arzel et Jacques Veneruso, nous sommes devenus les "4 types" !
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