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Jérémie Kisling : "Je suis quelqu'un de très positif dans la vie"
Entretien enregistré le 13 février 2004
Parler d'sa vie, le 10 mars 2004
Retranscription de Christine Artus, Marilyne Clédat, Sandra Di Paolo, Jean-Michel Fontaine, Céline K., Aurélien Lemoine, Nicolas Minck, Laurent Pagès
Propos recueillis par Jean-Michel Fontaine

Petit cadeau en exclusivité pour les visiteurs de "Parler d'sa vie"

Jérémie Kisling, 28 ans, Suisse, originaire de Lausanne, auteur-compositeur-interprète, timide qui se soigne, chroniqueur d'une vie ordinaire, Souchon helvétique, encensé par Télérama, Libération et RTL, victime d'une fascination quasi maladive pour les filles. Est-ce que c'est un bon résumé ?

C'est pas mal. Ça se défend.

Avant de faire plus ample connaissance, je te propose qu'on découvre ton univers avec une première chanson qui te va comme un gant. "Ordinaire".

[ Ordinaire ]

On vient d’écouter "Ordinaire". Tu dis notamment : "Je me sens si binaire / tellement ordinaire". A quel point tes chansons sont-elles autobiographiques ?

Je pense que ce premier album est très autobiographique. Déjà, parce que c'est le premier. Et puis je pense que dans le premier album, c'est de toute façon très introspectif, assez intimiste. Il y a dans cette chanson, et dans pas mal d'autres chansons, cette peur d'être trop dans la norme, de ne pas oser faire assez de choses. De ne pas oser aller vers les autres, de ne pas oser aller trop à l'aventure. Ça parle un peu de cela.

En ce qui concerne cette chanson en particulier, et d'autres peut-être comme "Les abeilles" ou "J'ai trente ans", on sent que l'adulte que tu es devenu s'adresse à l'enfant que tu as été, ou que tu es encore par certains aspects. On ressent une grande nostalgie liée à l'enfance, un peu comme dans "Allô maman bobo" d'Alain Souchon.

Oui, c'est assez bien résumé. Effectivement, Souchon est quelqu'un que j'adore pour ses textes et pour cette présence de l'enfance et pour cette espèce de petit enfant blessé qu'il a en lui et peut-être qu'il y a un peu ça dans mes textes : cette peur d'entrer dans le monde adulte, de sortir du monde de l'enfance, d'être un peu coincé entre les deux. C'est peut-être un peu cela, effectivement.

[ J'ai trente ans ]

Quelles sont tes influences ?

En musique, ce sont plutôt les trucs anglophones : un peu les Beatles, les Beach Boys, Simon and Garfunkel dans les plus anciens. Eliott Smith, Cake, Belle and Sebastian, Radiohead dans les plus récents. Dans la chanson française, j'aime beaucoup Souchon, dont on a déjà parlé. Je suis un fan de Brassens complet. Il y a aussi Brel, Le Forestier, Trénet. Il y a une pétée de vieux, vieux chanteurs qui m'accompagnent un peu tous les jours.

Est-ce qu'il y a une chanson que tu voudrais écouter, une chanson qui t'a beaucoup marqué, qui t'a influencé dans le choix que tu as pu faire par la suite, pour embrasser la carrière de chanteur ?

Si j'ai le droit de choisir une chanson, c'est assez chouette. Je sais pas, peut-être "Sous les jupes des filles" de Souchon ou non, plutôt "Quand je serai K.O.". C'est une chanson qui me touche vachement. Dans cette peur de l'artiste de tout d'un coup retomber de son piédestal, de ne plus être regardé comme avant, de ne plus être apprécié pareillement de son entourage. Si tout un coup il est déchu. C'est un texte que je trouve super drôle et assez touchant.

[ Alain Souchon : Quand j'serai K.O. ]

Ces dernières années, on a vu l'émergence d'une certaine chanson à texte. Est-ce que tu penses que le succès de chanteurs comme Vincent Delerm, Bénabar ou Sanseverino t'a permis de percer, d'être plus connu, ou mieux reconnu ?

Je pense qu'effectivement il y a un terreau qui est propice à l'éclosion de pas mal de nouveaux chanteurs plus intimistes, plus aptes à écrire des chansons d'auteur, plutôt que des trucs qu'on nous balance sur TF1 ou M6, Popstar ou Star Academy. Je pense que Delerm, mais aussi Keren Ann, des gens comme Mickey 3D, Bénabar, tous ces gens qui refont de la vraie chanson super intéressante, d'auteur, drôle, avec des textes, avec des mélodies aussi. Effectivement, je pense que je suis tombé au bon moment… Trois ans avant, j'aurais peut-être eu plus de peine à émerger parmi toutes les sorties de Star Academy…

Est-ce que tu ressens des affinités avec certains de ces nouveaux artistes ? Je crois savoir que tu aimes beaucoup Vincent Delerm, par exemple, dont tu parles d'ailleurs dans une de tes chansons.

[rires] Oui, effectivement, c'est un chanteur que j'adore, entre autres pour ses textes, parce que je trouve que c'est super bien écrit, ce qui est assez rare, tant au niveau de la versification qu'au niveau du rythme. En plus, c'est très très touchant et drôle en même temps et c'est assez rare, je trouve. Une chanson comme "La vipère du Gabon", c'est une chanson qui m'a fait mourir de rire, mais en même temps qui a un côté super triste. Ou "Cosmopolitan"… C'est un album qui arrive à me faire autant rire que pleurer, et ça, c'est super rare.

Je sais que tu adorerais faire un duo avec lui - tu en as parlé à plusieurs reprises - donc j'espère qu'il finira par entendre ton appel du pied.

Je ne me rappelais pas que j'avais dit ça, mais c'est clair que ça me ferait plaisir.

En attendant, on va écouter une chanson de Vincent Delerm. Laquelle aimerais-tu entendre ?

"Cosmopolitan", on va dire.

[ Vincent Delerm et Irène Jacob : Cosmopolitan ]

Bénabar a commencé à écrire des chansons pour Juliette Gréco et Gérard Darmon. Te vois-tu poursuivre une carrière d'auteur-compositeur, parallèlement à celle d'interprète ?

C'est pas exclu effectivement, si j'ai une période très prolifique dans la création. Il y a beaucoup d'interprètes que j'adore et qui ont un vrai univers, mais qui ne composent pas forcément, donc cela devient super intéressant de se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre pour écrire. C'est un métier totalement différent, mais cela m'attirera de toute façon, c'est clair, parce que c'est un vrai challenge et puis parce que cela doit être enrichissant de travailler pour quelqu'un d'autre, de rencontrer une autre personne. De faire apprécier cette chanson à ce dernier, de la lui faire interpréter, de regarder comment il la fait vivre.

Dans l'absolu, y a-t-il quelqu'un pour qui tu rêverais d'écrire une chanson ?

Johnny Hallyday ! Non, je déconne.

Je te vois bien écrire pour des femmes, plutôt actrices, en fait, pas des chanteuses professionnelles.

Des femmes actrices ? Charlotte Gainsbourg.

Je vois bien, par exemple, Zachary Richard interpréter "Le bonnet".

Ah oui, c'est pas bête, ça !

Comment t'es venue cette idée de chanson acadienne ?

Pour moi, elle est country, simplement. C'est de la chanson française mais elle est totalement inspirée de la country que j'écoute beaucoup. Entre autres un groupe américain qui s'appelle Cake, qui est très influencé par ce côté country et puis Johnny Cash, le vieux Johnny Cash. C'est plutôt inspiré de ce côté-là. Mon père était un fan de country, il jouait beaucoup de country à la guitare depuis que je suis tout petit. Cela fait partie intégrante de mes oreilles, un petit peu. Cela devait ressortir sur une chanson.

[ Le bonnet ]

Est-ce que tu as une méthode de travail ? Par exemple, est-ce que tu écris plutôt sur une musique ou est-ce que tu composes sur des textes ?

Non, j'écris sur une musique. Je fais chaque fois toutes les mélodies, j'essaie d'aboutir la musique avant de la mettre sur les textes, parce que, dans ma vision de la musique, les mélodies c'est le truc le plus important, c'est ce qui va accrocher en premier le public, avant même les textes. Pour moi, c'est hyper important que ma chanson soit entièrement aboutie musicalement avant d'y mettre les textes. C'est comme ça que je travaille.

Quelles sont tes sources d'inspirations ? Comment te vient l'inspiration, en fait ? Est-ce que tu te promènes avec un petit carnet, comme certains, pour capturer le quotidien ?

Non, pas du tout, non. Je n'ai pas l'impression d'être un chanteur du quotidien, à écrire qui j'ai rencontré en buvant mon café le matin. Je n'arrive pas tellement à travailler comme ça. C'est une inspiration plutôt un peu onirique. J'ai de la peine à dire vraiment si j'ai une vraie source d'inspiration. J'écris, je me mets à ma table et j'attends que l'idée vienne. J'écris, j'écris jusqu'à ce qu'il y ait une phrase qui me percute, ou qui m'intéresse vraiment. Après, quand j'ai cette phrase là, ça me donne une idée de thème, une idée de débouché. Ce serait plutôt comme ça. Je n'ai pas d'idée de thème à aborder. Avant la fin de la chanson, je ne sais pas vraiment de quoi elle va parler, c'est ça qui est intéressant.

Prenons un exemple précis, par exemple, "Carambar". Comment est-elle est née ?

Ça, c'est un peu spécial parce que c'est une chanson que j'ai écrite quand j'avais 20 ans. C'est vraiment la première chanson que j'ai faite. Et je n'avais pas du tout l'idée à l'époque de faire de la chanson un jour. J'avais juste eu cette phrase : "Les filles, c'est chouette, ça colle aux dents…", qui m'était un peu tombée sur le coin de la tête. Et puis, j'ai développé le truc. C'était inspiré d'une chanson de Sarclo que j'aimais beaucoup. Ça m'a donné l'idée de ce texte. Je suis parti là-dessus et j'ai écrit ce texte avec un début de mélodie, mais pas très abouti. Puis je l'ai complètement oubliée. Elle est restée dans un tiroir pendant cinq ans. Il y a deux ans, je suis retombé dessus complètement par hasard en fouillant toutes mes affaires. Alors, j'ai essayé de la faire en concert, et j'ai senti que ça interpellait un peu les gens, qu'il y avait une vraie écoute super attentive, avec un humour qui passait, et qui touchait… C'est vrai que c'était une des chansons que je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle percute autant les gens. C'est une très bonne surprise. C'est une chanson qui m'a beaucoup aidé par la suite : c'est pratiquement grâce à elle que j'ai signé chez Naïve, parce qu'ils ont adoré d'abord cette chanson. C'est vraiment ça qui les a fait entrer dans l'album. Et puis c'est grâce à cette chanson qu'on fait, maintenant, un clip sur M6. C'est une chanson un peu "sésame".

[ Carambar ]

Avec "Carambar", est-ce que tu as l’impression d’avoir écrit ton "Mistral gagnant" ?

[rires] Non, je n’aimerais pas que ça arrive trop tôt quand même, mon "Mistral gagnant". C’est vrai que c’est un peu le chef d’œuvre de Renaud. Mais non, je ne pense pas, enfin je n’espère pas, car j’ai encore beaucoup de chemin à faire.

Dans tes chansons, on sent à la fois un grand intérêt mais également une sorte de crainte de la gent féminine. Dans "Carambar" elles sont tantôt "chouettes comme les vagues à la mer" mais peuvent écoeurer "comme de la crème vanille à la louche". Dans "La liste", tu as suspendu ton balcon "hors d’atteinte des filles". Dans "Le bon moment", tu te trouves même toutes les excuses pour ne pas avoir à embrasser une fille.

C’est vrai que c’est un thème qui est assez présent. C’est un peu le paradoxe du timide : la peur et l’envie en même temps. C’est l’envie, l'intérêt, la curiosité qu'éveillent un peu les filles, ce monde un peu différent et étrange. Et puis en même temps, c'est cette peur qui fait que tu as aussi envie de t’en éloigner ou que tu préfères t’en protéger plutôt que de souffrir. C’est un peu tout ça à la fois !

[ Le bon moment ]

Comment as-tu rencontré tes musiciens ?

J'ai d'abord rencontré Raphaël, Monsieur Bidouille, parce que l'on a travaillé ensemble sur un disque à lui, avec son ancien groupe de funk, en fait, avec lequel il voulait que je vienne chanter. C'est comme ça que je l'ai rencontré. Par la suite, on a commencé à s'entendre super bien, et à se voir énormément. Quant est venue pour moi l'heure d'être en studio, j'avais besoin d'un clavier. Donc voilà, c'est parti de là. Et puis il m'a présenté son frère, qui est Monsieur Bidouille... Monsieur Boum Boum, pardon, à la basse, et qui est là d'ailleurs. [il l'interpelle] "Salut Monsieur Boum Boum !". Le trompettiste était aussi un gars qui a vécu dans le même endroit qu'eux dans leur jeunesse, c'est-à-dire la vallée de Joux, une petite vallée en Suisse, dans les montagnes. Et puis voilà, je suis entouré de gens de la vallée de Joux, avec le batteur aussi qui n'est pas tout le temps là, mais qui sera là par exemple le 5 mars, qui vient lui aussi de là-bas. Donc c'est vraiment toute une équipe de vieux routards de la vallée de Joux. C'est ce qui fait que l'on s'entend super bien : eux se connaissent depuis très longtemps. Ça donne un côté un peu sympathique sur scène. On fait beaucoup de fautes, mais on s'amuse aussi beaucoup.

Alors justement, tu as les mêmes musiciens en studio et sur scène, ce qui est assez rare, malgré tout. Est-ce que tu préfères le studio ou la scène ?

C'est difficile... Non... J'adore les deux. Je pourrais passer des semaines entières en studio à travailler des petites parties de chansons, à travailler des sons, à peaufiner, à travailler le son, à trouver des idées, j'adore ça. Et puis la scène, la scène c'est... Quand on a la chance de jouer devant un public aussi attentif que l'on a ces temps, aussi communicatif, et bien de toute façon, c'est des moments de rêve.

[ Les abeilles ]

Parlons d'Internet. Sur ton site, tu proposes en mp3, des versions complètes de certaines chansons d'album. Comment te places-tu dans le débat de la musique et de la chanson sur Internet ? Monsieur Bidouille qui s'approche, peut-être a-t-il un avis ?

Monsieur Bidouille : Je pense que c'est un problème, qu'il faudra trouver des moyens juridiques pour arriver à y pallier, mais je pense aussi que c'est à l'artiste d'arriver à s'extraire de ces difficultés. Je ne crois pas trop à l'artiste syndicaliste qui défend ses droit pour arriver encore à faire son art, et puis à une espèce de fonctionnarisation de l'artiste. Je n'y crois vraiment pas. Je crois que c'est à l'artiste, c'est à lui d'inventer des trucs, à être visionnaire, de sortir en fait de ces schémas, de ces problèmes et d'en faire quelque chose, de les transcender par différentes méthodes : en revalorisant les concerts par exemple, en revalorisant d'autres choses, en créant un disque, un objet spécial, avec de la peau d'ours en peluche qui fait que les gens pourront peut-être télécharger les chansons, mais ils auront tellement envie d'avoir la peau de l'ours en peluche que ça sera plus intéressant.

Ce qui est paradoxal, c'est que d'un point strictement légal, à partir du moment où tu as un contrat avec une maison de disques, où tu es édité par la Sacem ou par ses équivalents dans d'autres pays, tu n'as plus le droit de proposer des mp3 sur ton site, donc tu pourrais éventuellement même être condamné pour proposer tes propres chansons sur ton site !

En fait, au moment où j'ai fait ce site Internet – c'est une vieille version du site qui n'a pas beaucoup évolué, en tout cas pas cette page où il y a les mp3 - quand j'ai fait ça, je n'avais pas de maison de disques, c'était vraiment la toute première version du site, je n'avais pas signé ni chez Note à Béné, ni chez Naïve. Et puis c'était pour offrir un truc aux internautes. Maintenant, c'est vrai qu'on ne s'est plus du tout posé la question, ni moi, ni Raphaël, ni Monsieur Bidouille, ni notre entourage professionnel, de savoir si ça posait problème au niveau juridique, mais maintenant que tu poses la question, peut-être qu'il faut qu'on s'intéresse à la chose. Ça ne m'inquiète pas plus que ça, je pense qu'il y a des débats beaucoup plus importants.

Ce matin, on trouvait 940 pages sur Google qui parlent de toi. Est-ce que tu cherches ce qu'on peut dire de toi sur le web ?

Non, mais j'aime bien de temps en temps quand quelqu'un m'envoie une chronique qu'il a découverte, un petit truc assez chouette… On m'a récemment envoyé une chronique sur la sortie de mon disque au Japon - une centaine d'exemplaires est sortie au Japon - ce genre de raretés qu'on peut découvrir sur le net. Je trouve ça génial. Mais je ne vais pas passer des heures à fouiller les 940 pages…

… Je l'ai fait, c'est épuisant !

[rires] C'est gentil de l'avoir fait à ma place. Je ne pense pas qu'il n'y ait que des trucs intéressants !

Ton adresse e-mail figure sur ton site web, combien de messages reçois-tu tous les jours maintenant que tu es plus médiatisé que voici quelques mois ?

C'est encore tout à fait gérable. J'arrive encore à répondre à tout le monde : ça doit être une dizaine par jour. C'est assez agréable parce que tu sens qu'il y a un public qui est en train de se former. Il y a des gens qui achètent le disque et puis qui viennent te faire une critique en direct sur le net. Moi, je trouve ça vraiment génial, et j'espère avoir encore longtemps le temps de lire et de répondre à tout le monde.

Après les concerts, est-ce que tu recherches le contact, est-ce que tu discutes avec le public ? Là, j'ai vu que tu signais quelques autographes… Enfin, tu viens de passer une demi-heure à cela, c'est assez rare… ! Comment est-ce que tu vois l'évolution de cela par rapport à ta notoriété ? Est-ce qu'un jour tu te dis, "malheureusement, je ne pourrai plus" ?

Si je ne me dis pas cela, c'est que je me dis que je ne vais jamais gagner ma vie vraiment bien avec la musique, donc je suis obligé d'entrevoir cette possibilité, parce que ça veut dire que ça commence à marcher et puis que tous les gens qui croient en moi, et moi y compris, pensent qu'on arrive à gagner notre vie honnêtement, en ayant du plaisir à faire ce qu'on fait. Effectivement, tout d'un coup, si après les concerts je n'ai pas le temps de voir tout le monde, ou d'être aussi présent que maintenant – parce que moi je le fais avec un grand plaisir - ça voudra dire que de plus en plus de gens sont touchés par ce qu'on fait et puis voilà. De toute façon, je suis quelqu'un de très positif dans la vie, donc tout ce qui m'arrive dans la vie pour l'instant est positif, et ce qui va m'arriver après, que ce soit une plantée magistrale sur mon prochain album ou alors un gros succès, de tout façon ça me fera évoluer vers quelque chose d'intéressant.

[ Les courants d'air ]

Souvent, les auteurs-compositeurs sont touchés lorsque les gens les remercient pour avoir décrit des sentiments ou des situations qu’ils avaient eux-mêmes vécus. Est-ce qu’on t’a déjà écrit pour te dire "Ordinaire, ça parle de moi !", "La liste, c’est un résumé de ma vie", "J’ai fait écouter J’ai trente ans à ma psy pour qu’elle comprenne ce que je ressens enfin !".

[rires] C’est marrant, parce que "Ordinaire", c’est une des premières chansons où il y a effectivement pas mal de gens qui m’ont dit "ça me parle vachement et tout". Ça l'a fait pas mal sur "Ordinaire" et sur "J’ai 30 ans" aussi. D’ailleurs, il y a beaucoup de post-trentenaires ou de juste trentenaires qui sont venus me dire merci. Il y a des moments super touchants effectivement. Il y a des moments drôles quand les gens viennent comparer un peu ce qu’ils ont interprété ou ce qu’ils ont ressenti. Ce n’est pas tout le temps exactement ce que tu as voulu dire toi dans ta chanson [rires] mais c’est ça qui est intéressant. Une fois que ta chanson est écrite, et puis qu’elle part, qu’elle s’envole dans l’air un peu, chacun saisit ce qu’il a envie de saisir. J’aime bien ce côté là.

J’ai l’impression que "Le manège" est une allégorie. Est-ce que je me trompe ?

Non, ce n’est pas vraiment une allégorie. Ça parle vraiment de... Enfin, après, tu peux faire l’allégorie que tu veux avec ça, mais c’est vraiment l’histoire de... "Le manège", ça parle d’un garçon qui regarde évoluer son arbre tout au long de la saison et qui est à chaque fois pris de panique à l’automne venu, parce qu’il le voit perdre ses feuilles. Il a l’impression qu’à chaque hiver l’arbre meurt. Donc, une année, il essaie de le sauver en l’entourant de papier d’alu. Et puis là, pour le coup, il le fait vraiment mourir. C’est peut-être une allégorie de... Non, c’est plutôt... Ça parle vraiment de... C’est peut-être une chanson un peu écolo : à moitié écolo, à moitié faire confiance à la vie comme elle se déroule. Peut-être que l’allégorie, c’est de faire confiance aux événements de la vie, que ce soit pour la nature ou comme je disais tout à l’heure pour mes propres choix, mes propres événements à moi.

Moi, je l'avais vraiment compris plutôt comme l'enfant qui a peur de sortir de l'enfance, surtout peur de perdre ses êtres chers, puisque forcément, quand on grandit, ses grands-parents, ses parents vieillissent et donc on a toujours peur de les perdre. On aimerait les retenir par tous les moyens.

Oui, c'est assez touchant, mais c'est vrai que ça me fait penser aux analyses de textes de Baudelaire que l'on faisait à la fac, où tu pouvais partir dans 1 500 directions. Et je pense que Baudelaire n'avait pas forcément pensé à chaque fois aux 1 500 solutions. Je ne voulais évidemment pas me comparer à Baudelaire, évidemment pas [rires]. Comme je disais tout à l'heure, c'est intéressant si tu peux aller sur plusieurs pistes dans une chanson. Je n'avais pas vu ça comme ça, mais maintenant, au bout d'un moment, une chanson ça fait vraiment partie d'une espèce de conscient collectif, l'inspiration aussi et après, il y a plein de choses qui passent dans mes chansons dont moi je ne me suis pas du tout rendu compte ou que je n'ai pas pu contrôler, ou que je n'ai pas eu envie de contrôler. Donc, après, tant mieux s'il y a plein de sentiments ou d'émotions différentes qui sortent.

[ Le manège ]

Parlons de l'avenir. En ce moment, tu fais beaucoup d'allers-retours Lausanne-Paris. Est-ce que tu mets à profit ces longs trajets pour trouver des idées pour un nouvel album ?

Le gros problème avec ça, c’est que quand je déballe le coffre de ma guitare dans le TGV, ça ne plaît pas à tous mes voisins. Donc, je ne peux pas tellement faire de musique dans le TGV. De temps en temps, j’essaie d’écrire un texte, mais comme je vous disais que je faisais plutôt d’habitude les musiques d’abord, je suis un peu coincé si je n’ai pas les musiques en avance. Donc, je n’ai pas vraiment le temps de composer. J’ai le temps de dire "ça c'est bien", de lire, de me reposer ou de faire un peu de méditation ou de regarder le paysage. Tout ça, c'est agréable.

Quand penses-tu sortir ton deuxième album, d'ailleurs ?

Le plus tard possible... [rires] Non, tout le monde me met déjà un peu la pression pour ce deuxième album. Moi, j'ai envie de prendre mon temps, comme j'ai pris mon temps pour le premier. Comme vraiment personne ne m'a dit "c'est maintenant que tu dois composer, c'est maintenant que tu dois aller en studio", je me suis botté le cul tout seul et j'ai envie de continuer à pouvoir le faire. Donc je ne peux pas dire, mais ça ne va pas être plus que dans une année, je pense.

Quelle est la question la plus surprenante que l'on t'ait posée, ou la rencontre la plus bizarre que tu aies eue avec un journaliste ?

C'était un journaliste à la Fête de l'Espoir à Genève l'année passée. Je crois qu'il avait 14 ans, il faisait un petit magazine pour jeunes. Non, même pas 14 ans, il avait dix ans, je crois. Il faisait une espèce d'"OK Podium" à lui tout seul, qui était drôle d'ailleurs, avec des questions intéressantes. Mais, il m'avait, entre autres, demandé à quel âge j'avais embrassé ma première copine. Ça m'avait fait rigoler !

Pour l'instant, il existe relativement peu d'interviews intéressantes sur toi - en tout cas, je n'en ai pas trouvé beaucoup - et cette interview sera également présente sur Internet. Quel message aimerais-tu faire passer aux internautes qui aiment tes chansons, et qui vont lire cet entretien ?

Hors promotion, c'est un peu difficile... Non, mais merci d'aimer mes chansons. Surtout, venez les partager en concert. C'est ça qui me fait le plus plaisir.

On va se quitter avec une dernière chanson. La plus intime de l'album, j'ai l'impression. La plus impudique, peut-être aussi. C'est un peu comme "Qu'elle soit elle" de Jean-Jacques Goldman : on comprend que c'est une chanson très importante, mais on ne peut connaître le fin mot de l'histoire que si l'auteur le veut bien. Vois-tu de quelle chanson je veux parler ?

La chanson la plus intime, c'est peut-être "1986". Elle parle de mes trois sœurs. 1986 est l'année de mes dix ans. Etant donné que j'avais fait une chanson qui s'appelait "J'ai trente ans", j'avais envie de faire un petit flash dans ma vie où j'avais dix ans, où je regardais mes sœurs avec beaucoup d'admiration, pour toute l'énergie, la joie qu'elles dégageaient. Et avec ce regard un peu introverti que j'avais moi. C'est une chanson qui parle de ce décalage-là qu'il y avait entre mes sœurs et moi, entre l'amour que je leur portais et l'envie d'aller vers elles ou d'être comme elles. Mais sans y arriver vraiment à cause d'une introversion, à cause d'une timidité ou d'un petit décalage avec la réalité que j'avais à cette époque.

On va se quitter avec "1986", ça tombe bien. Merci Jérémie Kisling, à bientôt pour un deuxième album et à bientôt sur scène.

A bientôt, merci beaucoup.

[ 1986 ]

 

[ Extraits ]

Interview en kit:

 

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Je suis une fidèle de "Parler d'sa vie" et aime à me promener sans l'univers de JJG au travers de ce site. Je ne connaissais pas Jérémie Kisling mais je suis ravie d'entendre ce qu'il fait. J'aime beaucoup son timbre de voix et ses mélodies. J'ai déjà un coup de coeur pour "Le sens des affaires". La chanson française a besoin de chanteurs comme lui (je pense aussi à Mickey 3D ou encore Bénabar). Merci de me l'avoir fait découvrir. Je lui souhaite une belle et longue carrière.

Dodo


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