Jean-Jacques Goldman :
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Jean-Jacques Goldman : "J’y ai appris l’altruisme, le
désintéressement"
La Vie n°3225, 21 juin 2007
Elisabeth Marshall
Retranscription de Delphine Roger
Age : 56 ans.
Profession : Auteur, chanteur, compositeur.
Scout : A passé ses jeudis après-midi, ses dimanches
et ses vacances, entre 7 à 15 ans, chez les Eclaireur
laïcs, à Paris.
Son totem : "Caffra" (chat sauvage), "arrogant
et décidé".
La Vie : Comment êtes-vous entré dans le scoutisme ?
Jean-Jacques Goldman : Pour ma mère juive, arrivée d’Allemagne en 1933, à l’âge de 11 ans, le passage chez les Eclaireurs israélites a été, avec l’école, le vecteur fondamental d’intégration à la société française. Ma famille n’était pas pratiquante. D’accord avec mon père, ma mère a choisi de nous envoyer, ma sœur, mon petit frère et moi, chez les scouts laïcs.
La Vie : Qu’y avez-vous découvert ?
Jean-Jacques Goldman : D’abord, un autre monde, à la fois rassurant et tolérant, qui ouvrait une alternative à la famille et à l’école. On peut rater son coup en famille, échouer à l’école – qui pour moi fut un milieu très dur à supporter – et être heureux chez les scouts. Aujourd’hui, les enfants qui vont à l’école dans les cités n’en sortent pas et ne vivent qu’un seul monde où ils n’ont d’autre choix que d’être gagnants ou perdants.
La Vie : Le scoutisme, c’est un peu le lieu des premières fois ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, c’est la première fois qu’on campe à la belle étoile, qu’on allume un feu, qu’on construit un pont de singe… La nature, la marche, l’effort physique, la nuit, le froid, c’est là que ça se passe. J’ai appris l’intimité avec la nature, avec la nuit et le silence, appris à être seul avec moi-même. A 12 ans, on partait en "explo" à six ou sept en dormant dans les granges, en cherchant notre route à la boussole, ce qui ne serait plus possible aujourd’hui. On n’avait peur de rien. Maintenant, je me sens partout chez moi, même en Afrique, à l’autre bout du monde. Je sais me préparer un repas, monter une tente, désinfecter une plaie, je n’ai pas besoin d’être assisté tout le temps ! C’est chez les scouts aussi que j’ai commencé à jouer de la guitare, même si je faisais de la musique par ailleurs. Là que j’ai rencontré les répertoires contemporains de Graeme Allwright à Bob Dylan. J’ai même été dans la troupe scoute d’Yves Duteil…
La Vie : La vie en équipe, l’expérience des autres, à quoi vous a-t-elle servi ?
Jean-Jacques Goldman : A comprendre que l’autre est différent de moi. C’est bête à dire, mais passer ses journées, ses nuits ensemble accélère ce processus de découverte. En faisant la cuisine, des nœuds ou les premiers secours, on se frotte aux autres, on devient tolérant, en respectant les capacités de chacun. A travers des apprentissages factuels, on arrive à l’essentiel. A 15 ans, je me suis retrouvé plus expérimenté, en ayant emmagasiné une somme de connaissances de l’autre plus importante qu’ailleurs. J’ai appris avec la vie collective à parler une autre langue. La découverte de soi, des autres, ce sont des libertés en plus, des verrous qui sautent : on n’a plus peur de la nuit, de la route, d’une route inconnue. Aux scouts, on apprend vraiment à entrer en contact avec le monde, qu’il s’agisse de vendre un calendrier, de demander un hébergement, de se débrouiller en voyage. Le rapport à l’autre est sain. Parce qu’on s’est construit soi-même, l’autre n’est plus un besoin, mais un désir. C’est l’humanité de base que ne connaissent plus les enfants lorsqu’ils deviennent incapables de rester seuls quelques heures loin de leur écran…
La Vie : Est-ce aux scouts que vous avez appris la solidarité ? L’engagement aux Restos du cœur, à Amnesty International, cela vient de là ?
Jean-Jacques Goldman : Non, mais c’est peut-être la conséquence de ce que j’y ai appris, de ce que ma famille aussi m’a appris : l’altruisme, le désintéressement, les vraies valeurs, quoi. Je sais que je peux être heureux sous une tente, passer de belles vacances avec mes potes en camping, qu’il y a d’autres choses plus importantes dans la vie que de gagner de l’argent et de séjourner dans les grands hôtels. D’autres choses à vivre ensemble. Aux Restos du cœur, j’ai vu des artistes vraiment bouleversés devant la valeur infinie qu’on peut découvrir dans un engagement désintéressé. Ils n’avaient jamais connu cela.
La Vie : Cérémonies, insignes, promesses, grades… tous ces rituels du scoutisme vous paraissaient-ils positifs ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, parce que c’était cohérent. Ces veillées où l’on s’expliquait, c’étaient des prémices de démocratie participative. Chacun vidait son sac dans le cadre d’une autorité juste et progressive. A 7-8 ans, vous pouviez déjà avoir de petites responsabilités, à 10 ans, devenir chef de troupe, chargé de faire respecter l’heure ou le rangement. C’est une prise d’autorité progressive et naturelle qui se transmet et ne s’apparente pas à l’autoritarisme. J’entends souvent dire aujourd’hui « J’ai un problème avec l’autorité », mais quand vous avez fait du scoutisme, l’autorité ne fait pas peur, n’est pas une ennemie. Je sais que je peux m’y soumettre et l’exercer sans l’humilier. Je me rappelle avoir passé seul une journée entière dans une prairie, puni après avoir fait pas mal de bêtises. Eh bien, c’était une des meilleures journées de ma vie, passée à regarder, creuser, rêver, marcher… Le scoutisme, ce n’est pas du formatage, mais une boîte à outils où l’enfant se frotte aux expériences : le rapport au travail, à l’autorité, aux autres. On se découvre des capacités. A chacun d’en faire une force pour sa vie.
La Vie : Vous avez déjà trois grands enfants, deux petits et bientôt une nouvelle petite fille, qu’avez-vous à cœur de transmettre ? Les apprentissages du scoutisme vous semblent-ils encore adaptés aux jeunes d’aujourd’hui ?
Jean-Jacques Goldman : Quand Ségolène Royal parle d’encadrements militaires, on n’en est pas loin. Il ne s’agit pas de bagne, mais de règles de vie à respecter. Des bases d’existence à transmettre si les parents ne l’ont pas fait. C’est important de transmettre, de ne pas laisser la jeunesse livrée à elle-même, en friche. Encore faut-il s’adapter. Là où nous étions, à 14 ans, de jeunes garçons de 1,50 mètre, vous avez maintenant de grands gaillards de 1,90 mètre. Et ces grands gars se retrouvent souvent sans père, dans des familles monoparentales, face à une école qui s’est beaucoup féminisée dans son encadrement. On n’a pas pris en compte ces faits nouveaux, ce problème d’autorité physique entre 12 et 15 ans. Nous, on était en face d’hommes plus grands que nous ! Et cela change les choses. J’ai beaucoup d’amis de ma génération que je sens mal à l’aise avec l’autorité, qui pensent que l’exercer n’est pas bien. On confond autorité et autoritarisme et les plus faibles en pâtissent aujourd’hui. Les gars que j’ai rencontrés en prison lors d’un atelier à Fleury-Mérogis paient très cher de n’avoir pas eu des parents autoritaires, qui savaient les garder à la maison. Personne ne leur a expliqué comment être maître de soi. Dans un bon rapport à l’autorité, on n’a pas besoin de répression et il vaut peut-être mieux se libérer d’une autorité que de ne pas en avoir du tout. Je crois que le scoutisme m’a donné une vision tranquille de l’autorité, qui me permet aujourd’hui de mieux me rebeller contre l’autoritarisme ou les abus de pouvoir.
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