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Le sale juif
Libération, 27 septembre 1979
Article d'André Glucksman
Retranscription de Priscille Fossé

Un crime nécessairement antisémite. Quels qu'ils fussent, ils tuaient obligatoirement, de science immédiate et indépassable, un juif polonais né en France. Telle était la position choisie, voulue, construite par Goldman. Le pouvoir de qualifier la cible n'est pas dans le canon du revolver mais tout entier dans la cible. Là, l'antisémite ne définit plus le juif, ce coup, c'est l'inverse.

Avant d'évoquer une montée de l'antisémitisme, remarquez que pour une fois, dans tout le XXème siècle, la question ne vient pas de ce bas fond. Introduite en 68 ("nous sommes tous des juifs allemands" ) un premier livre l'article en 75, à une hauteur hors d'atteinte depuis : "Les souvenirs obscurs…".

Pas n'importe quel juif. Ils se ressemblent tous certes, mais seulement à Auschwitz. Un sale juif. On dit aussi un sale nègre. Un cas particulier. Une première fois aux assises il s'enferme dans le silence. Condamné, il n'écrit pas un livre pour proclamer son innocence, il force son lecteur à le suivre dans une zone obscure et inquiétante. Non pas : ça n'aurait jamais pu m'arriver, mais : nul n'est à l'abri de ce personnage de l'assassin que la police peaufine en connaissance de cause : facile à dire : je ne le suis point, pas facile de jurer : je n'aurais pu l'être. Le lecteur n'a pas à innocenter l'auteur mais à s'infecter de l'obscurité des souvenirs.

Acquitté, il réitère, le blanchi s'emploie à demeurer douteux ; loin de camper la vertu outragée, il rédige la geste d'un assassin nommé Rapoport. La société aime voir l'africain porter sa "négritude" et le juif sa "judéité" au trésor-commun-de-l'humanité, à l'occasion, elle s'amuse des querelles des préséances, mon livre, mes idoles. L'idéal : l'oncle Tom écrivant "la case de l'oncle Tom".

Goldman ne s'est pas pris pour Miss Beecher Stowe, il ne sera pas un juif clean. Il réclame pour ses saletés particulières les égard moyens dont on entoure celles des autres. Voilà quelques années, des noirs promenaient des armes dans leurs voitures, droit reconnu à tout citoyen américain mais qu'en face d'eux la police oubliait en dégainant. Eux allèrent vers la lutte armée, Goldman en revenait. Non point "pour toujours", chi lo sa ?, simplement, passant par Paris, ce révolutionnaire, ce clandestin, ce braqueur a défini le seul fondement possible pour une défenses des droits de l'homme.

Non pas : je suis bon, mais : tu n'es pas meilleur que moi. Non pas : je sais ce qu'est le bien, mais : nous savons trop ce que peut-être le mal. Insolent, Goldman ne l'est qu'en nous, il dit des choses simples, il n'a pas à faire le beau. A l'accusateur d'apporter la preuve, depuis Kafka et les procès de Moscou on sait qu'un accusé qui entreprend de démontrer son impeccabilité est fichu. Les présomptions de la police pèsent aussi lourd que la foi du charbonnier et la science d'une tireuse de cartes ; la conscience de Goldman vaut celle du commissaire Leclerc, pas plus (il n'a pas ce gauchisme là), pas moins. La matérialité des faits seule autorise à juger ; si elle est douteuse, il faut acquitter non pas un grand écrivain ou un survivant de l'holocauste, mais n'importe qui peu être capable de n'importe quoi, Goldman, l'indistinction du Christ et de deux larrons. Si l'on savait reconnaître un homme vraiment bon, il n'y aurait plus qu'à défendre les droits de l'homme bon (le Révolté, le Fidèle, le Citoyen, le Juif ou le Prolo). C'est précisément dans la mesure où de l'homme en général il n'est pas de savoir ni de certitude morale qu'il est question, brûlante, de ses droits. Les droits de l'homme ce sont toujours les droits d'un métèque.

Je ne dis pas que c'est ce que pensait Goldman c'est vouloir se consoler trop aisément que prétendre boucher cette place terriblement vide où nul ne pense plus pour nous, je dis : telle fut sa stratégie pendant et après les assises ; il y a gagné sa liberté et peut être par ce qu'il y avait là d'insoutenable. La pulsion de mort chez ses assassins.

Cette fois la question juive n'a pas été posée par l'antisémitite, ni par le juif qui veut s'en débarrasser historiquement, sociologiquement ou dans une prédication édifiante.

Pas un juif modèle, pas de modèle juif qui nous garantissent contre les souvenirs obscurs : Goldman n'a jamais fait le coup du nouvel Adam, de l'homo-universalis, cette image gratifiante dont le lancement ne date pas du dernier printemps à Paris, mais d'Alexandre. Dans cette capitale intellectuelle de l'empire romain, des hébreux très éclairés attirèrent l'attention des autorités sur les besoins spirituels des paumés d'orient et d'occident. A empereur unique, dieu unique, non plus celui des juifs trop particulier, pas encore celui des chrétiens qui sent sa plèbe, le monoprix d'un dieu mono, l'innommable, l'ineffable. Un Conscient, dira la préciosité alexandrine. Bref, Goldman ne rétablit pas l'ordre idéologique en obturant la question juive par l'image d'un vrai-beau-bien, bon juif ou bon dieu au dessus de tout soupçon.

Un juif ne devient bon qu'à faire oublier sa "saleté". Cette question du récurage est plus profonde que celle de l'athéisme parce qu'à l'évidence le dieu juif est lui même un sale dieu, pas universalisable pour un sou sauf à oublier les scènes interminables entre lui et "son" peuple (cherchant le méchant dans ce ménage impossible, le monde a perdu son latin).

Dans l'internationale de la saleté, Pierre Goldman, juif qui reste juif, me communique sa particularité, m'introduit à la mienne, ferait à la limite de chaque homme un juif mais jamais d'un juif un homme. Tu seras un nègre mon fils. On pense, lui aussi y pensait, à Sartre Saint Genêt comédien et martyr malgré lui, Pierre Goldman n'était pas déchiré entre l'universel et le particulier.

Ce sont plutôt les assassins qui furent coincés à tuer ce qu'ils avaient devant eux pour éviter de regarder en leur intérieur. Faisant découvrir à chacun sa "saleté" juive Goldman opère au tribunal social comme Freud sur une autre scène, il fait prendre langue avec notre inconscient, le souvenir obscur, l'avenir aveugle. Par là le XXème siècle continue les rapports heurtés des hébreux et de leur seigneur, par où Pierre Goldman a rencontré la solution finale. Et notre amour.

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