Auteur : Jean-Jacques Goldman
Compositeur : Jean-Jacques Goldman
Editée par : J.R.G. / N.E.F. Marc Lumbroso
Version originale
Année : 1987
Interprétée par : Jean-Jacques Goldman
Distribuée par : C.B.S.
Remarques :
Jean-Jacques Goldman avait proposé une version reggae de ce titre à Philippe Lavil, qui l'a refusée. En réécrivant les arrangements pour lui donner un air country, Jean-Jacques était certain de l'échec du titre. Si la chanson a surpris lors de sa sortie, elle n'en est pas moins devenue l'un des plus grands succès de Jean-Jacques.
Elle a fait un bébé toute seule
Elle a fait un bébé toute seule
C'était dans ces années un peu folles
Où les papas n'étaient plus à la mode
Elle a fait un bébé toute seule
Elle a fait un bébé toute seule
Elle a fait un bébé toute seule
Elle a choisi le père en scientifique
Pour ses gènes, son signe astrologique
Elle a fait un bébé toute seule
Et elle court toute la journée
Elle court de décembre en été
De la nourrice à la baby-sitter
Des paquets de couches au biberon de quatre heures
Et elle fume, fume, fume même au petit déjeuner
Elle défait son grand lit toute seule
Elle défait son grand lit toute seule
Elle vit comme dans tous ces magazines
Où le fric et les hommes sont faciles
Elle défait son grand lit toute seule
Et elle court toute la journée
Elle court de décembre en été
Le garage, la gym et le blues alone
Et les copines qui pleurent des heures au téléphone
Elle assume, sume, sume sa nouvelle féminité
Elle court toute la journée
Elle court de décembre en été
De la nourrice à la baby-sitter
Des paquets de couches au biberon de quatre heures
Et elle fume, fume, fume même au petit déjeuner
Elle m'téléphone quand elle est mal
Quand elle peut pas dormir
J'l'emmène au cinéma, j'lui fais des câlins, j'la fais rire
Un peu comme un grand frère
Un peu incestueux quand elle veut
Puis son gamin, c'est presque le mien, sauf qu'il a les yeux bleus
Elle a fait un bébé toute seule
Graffiti : "Elle a fait un bébé toute seule", le single annonciateur de l'album, il fallait oser la sortir, il pouvait le faire, il l'a fait ? Te serais-tu identifié à John Wayne, ma parole ?
Jean-Jacques Goldman : C'est une chanson que j'avais enregistrée au moment de "Positif", mais à l'époque, elle n'était pas prête. Ce qui m'a surtout plu, c'est le côté démodé du son ! Cet été, j'avais quatre autres titres de prêt, mais si j'ai choisi de sortir "Bébé toute seule" c'était justement pour le plaisir d'énerver tout le monde.
Graffiti : Eh bien, c'est mission accomplie ?
Jean-Jacques Goldman : Tu sais, j'ai du mal à résister à ce genre de tentations ! (Rires)
Graffiti : Par contre, au niveau du texte, l'inspiration date aussi, les nanas de 87 ne rêvent plus de faire des bébés sans papa ?
Jean-Jacques Goldman : Ne me dis pas que tu ne connais pas de filles qui élèvent leurs enfants toutes seules ? Attention, je ne dis pas qu'elles l'ont voulu toutes seules, je parle uniquement du fait d'assumer des bébés sans père ou avec des pères absents. Ce n'est pas la même chose. C'est vrai qu'il y a des tas de nanas qui cherchent désespérément des pères ! (Il sourit)
Graffiti : Décidément, sujet Goldman, vous n'êtes pas si féministe que vous en avez l'air dans la chanson. Ce sont des filles kleenex en somme ?
Jean-Jacques Goldman : Ou n'importe comment, ça existe donc je suppose qu'elles y trouvent aussi une façon de vivre.
Graffiti, 1987
JJG, chantant : Y s'passe des choses bizarres / Dans l'métro, l'mercredi soir / Ça m'est arrivé y a quelques temps / J'avais un rendez-vous très important / Avec l'assistant du receveur principal concernant la réattribution des allocations familiales / Et comme vous connaissez les problèmes de circulation dans Paris et sa périphérie
JJG, parlant : C'est joli comme texte !
JJG, chantant : Et comme vous connaissez les problèmes de circulation dans Paris et sa périphérie !
JJG, parlant : Dans la série "les poètes du XXème siècle"...
JJG, chantant : J'y suis allé en métro / Alors j'ai acheté un ticket / Et aussi un p'tit journal / J'suis descendu à la station "Porte d'Orléans" / Et le compartiment est parti tout doucement / Pour l'instant rien de spécial...
Ouh ouh !
Le public : Ouh ouh !
JJG, parlant : Ça c'est pour voir si vous suivez...
JJG, chantant : Quant tout à coup / A la station Denfert-Rochereau / Y a une fille qui est montée / Et son regard a croisé mon regard !
Elle avait des yeux... / Elle avait un nez... / Elle avait une bouche ! / C'était une fille normale quoi !
Moi j'me suis dit, "p'têt'bien qu'c'est la femme de ma vie !" / Alors je me suis demandé : / Comment lui parler ? / Comment l'aborder ? / Et j'ai pas osé...
[sifflets du public]
JJG, parlant : N'importe comment elle est descendue à la station d'après...
JJG, chantant : Alors moi je suis resté dans mon p'tit compartiment / Avec mon p'tit journal... / Tranquillement / Et un peu... tristement...
Ouh ouh !
Le public : Ouh ouh !
JJG, parlant : Ça va !
JJG, chantant : Quand tout à coup... / A la station... gare de l'est / Y a une fille qu'est montée / Et son regard a croisé mon regard / Elle avait des yeux... / Elle avait un nez... / Et là... / Elle avait une bouche ! ! ! / Moi j'me suis dit, sûrement qu'c'est la femme de ma vie !
JJG, parlant : Et alors là, elle s'est approchée de moi, et elle m'a dit "bonjour", et alors moi je lui ai répondu "bonjour"... [applaudissements du public] Alors, elle me dit, vous avez les résultats de la dernière journée du championnat de football de première division ? [Note de Jean-Michel : A voir les réactions du public, Bordeaux a dû se prendre une sacrée tôle la veille !] Moi, j'lui ai répondu... Oui. Alors elle me dit, vous avez vraiment les résultats de la dernière journée du championnat de football de première division ? Alors moi je lui dis "bah oui". Alors elle me dit, si vous avez vraiment les résultats de la dernière journée du championnat de football de première division , rien ne vous empêche d'aller boire un verre quelque part. [cris du public] Alors moi je lui dis, effectivement si j'ai les résultats de la dernière journée du championnat de football de première division , rien ne nous empêche d'aller boire un verre quelque part. Alors nous sommes donc allés boire un verre quelque part, et l'histoire est finie. [Le public veut la suite] Quoi ? ! ? Qu'est-ce que vous voulez ? La suite ? Vous voulez des détails aussi peut-être ? Vous êtes sûrs que vous vous intéressez aux détails dans la région ?
Non, non, on n'a pas le temps ! / Bon alors je vous résume / C'était pas la femme de ma vie / Mais elle a quand même partagé ma vie pendant un p'tit moment / Et maintenant, de temps en temps... / Elle me téléphone quand elle est mal / Quand elle peut pas dormir / J'l'emmène au cinéma, j'lui fais des câlins, j'la fais rire...
Introduction de "Elle a fait un bébé toute seule"
Bordeaux, La Patinoire, 25 septembre 1988
Jean-Jacques Goldman se veut un homme normal. Banal, même. Grand faiseur de tubes depuis le début des années quatre-vingt, il a souvent défrayé la chronique. On l'aime ou on le déteste. Il est traité de "nul" par L'Evénement du Jeudi, mais interviewe Michel Rocard pour Le Nouvel Observateur. Il navigue entre titres à chanter, succès à danser et prose intimiste. En 1987, il surprend une fois de plus. Les ondes résonnent tout à coup d'un air de banjo, Goldman regarde vibrer son époque. Elle a fait un bébé toute seule fait écho à ce qu'il est désormais convenu d'appeler "la famille monoparentale". Goldman, toujours photographe de son temps : "les chansons sont les meilleurs instantanés de l'époque, c'est un instrument de travail irremplaçable pour un historien".
Divorce, mariage, avortement : la chanson s'est régulièrement préoccupée de la vie de famille. Plus que de tout autre sujet dit sérieux. En cette année 1987, Marguerite Yourcenar disparaît, Dalida se suicide et Margaret Thatcher brigue un nouveau mandat ; TF1 est privatisée et le polémiste Michel Polac n'a plus "Droit de réponse". La campagne pour les élections présidentielles bat son plein, dans l'attente de la décision de François Mitterrand de se représenter ou non. Une intense actualité médico-familiale fait aussi la une. Mary Whitehead, une mère porteuse en rupture de contrat, perd son procès et doit rendre l'enfant qu'elle voulait garder peu avant, l'Église avait réagi aux évolutions rapides de la génétique en rejetant la procréation artificielle. Quant au sida, il se fait de plus en plus oppressant. Michèle Barzach, ministre de la Santé, autorise la vente libre des seringues et lance la campagne de prévention : "Le sida, il ne passera pas par moi". Enfin, si le 7 novembre s'ouvre à Paris le deuxième Salon des célibataires, on nous annonce que nous sommes désormais cinq milliards sur Terre, alors qu'elle, elle a fait un bébé toute seule !
Année de la naissance musicale de Patricia Kaas avec Mademoiselle chante le blues et de Vanessa Paradis avec Joe le Taxi, Jean-Jacques Goldman propose, en octobre, l'album "Entre gris clair et gris foncé". En juin, un 45 tours précédait la sortie de ce cinquième opus studio. Goldman ne croit pas au grand succès de cette chanson dissonante aux airs de banjo et d'harmonica. Et pourtant... En deux mois, 250 000 exemplaires de "Entre gris clair et gris foncé" sont vendus. Avant d'atteindre le million et le disque de diamant ! Mais pour Goldman, le succès est devenu une habitude. Et au moment où il nous raconte l'histoire tendre de cette jeune femme élevant l'enfant qu'elle a eu toute seule, l'institution "famille" prend un nouveau tournant.
Formalisé et institutionnalisé depuis les années soixante-dix, le divorce connaît alors une stabilisation, puis une légère décroissance pour passer de 107 000 en 1986 à 104 000 en 1989. Côté mariage, le phénomène est concordant, avec une légère remontée dès les années 1987-88. En 1988, 271 000 couples signent à la mairie contre 281 000 en 1989 et 280 000 en 1990. On a atteint le summum de la décomposition de la cellule familiale. "C'était simple il suffisait de regarder autour de nous, raconte aujourd'hui Jean-Jacques Goldman. J'avais beaucoup de copines qui élevaient seules un enfant, avec une démission programmée des hommes. Maintenant, on appelle ça, de façon beaucoup plus officielle, une famille monoparentale"...
Monoparentale, le mot est lâché. Goldman, attaché au genre du portrait (Comme toi, Filles faciles, La Vie par procuration, ou plus récemment Natacha) ne pouvait passer à côté de ces femmes qui défont désormais leur grand lit toute seule". "Ces filles-là sont très touchantes parce que c'est vrai qu'elles n'arrêtent pas et qu'elles font ça vraiment très très bien. Avec leurs petits coups de blues le soir, avec leur jambon-yaourt devant la télé"... Une situation devenue monnaie courante. Lorsque Goldman compose sa chanson, plus d'un million de familles déjà sont "monoparentales".
Aujourd'hui, en France, une famille sur huit est estimée monoparentale et dans 85 % des cas, c'est une femme qui en est chef. "Elle court toute la journée / Elle court de décembre en été / De la nourrice à la baby-sitter / Des paquets de couches au biberon de quatre heures". C'est sans se tromper que l'auteur de Fais des bébés (chanson humoristique du même album) évoque ces femmes qui font trois journées par jour". Car près de 85 % de ces mères travaillent et un quart d'entre elles gagne moins de 5 500 francs par mois (chiffre de 1992), elles sont sur-représentées parmi les allocataires du RMI et 22 % d'entre elles vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Toutefois, Goldman ne cherche pas à dresser un tableau précis, détaillé, voire parfaitement exact, de la situation. Pour Elle a fait un bébé toute seule, il se dit sensibilisé avant tout. "Dans cette chanson, je ne me dis pas "tiens, je vais parler du problème de la démission des hommes et du problème de ces femmes qui font trois journées par jour". Je suis juste touché par des copines qui vivent comme ça autour de moi". Revendiquant haut et fort sa profession de chanteur et non de philosophe ou de sociologue, il reste fidèle à son souci de saisir l'époque par le biais d'"instantanés", de photos à la Doisneau ou à la Claude Gassian, son photographe fétiche. Je ne signerais pas avec certitude pour dire que les chansons restent à la postérité. Par contre, je signe tout de suite pour dire qu'elles sont des polaroïds assez exacts et assez pointus des époques qu'on traverse".
"Les pères de familles sont les aventuriers du monde moderne" disait Charles Péguy. En parlant de "démission programmée des hommes", Goldman ne mâche pas ses mots. Quelques années plus tôt, Alain Souchon, en incarnant lui-même le rôle de l'anti-macho, en revendiquant sa fragilité et on osant appeler sa mère au secours (Allô maman bobo), abordait le sujet encore épineux du père à la maison : "les papas des bébés sont nuls / c'est pour ça que dans la nuit, tous les bébés hurlent". La législation a également contribué à institutionnaliser ceux qu'on appelle "les nouveaux pères".
L'année de la sortie de la chanson de Goldman, la loi instituant l'autorité parentale conjointe sur les enfants du divorce fait la navette parlementaire, du 7 mai au 9 juillet. Mais l'évolution législative avait commencé dès 1889 depuis cette date, le père de famille est déchu de son autorité de justice. Son droit de correction avait été supprimé en 1935. Le 4 juin 1970, une loi partage l'autorité parentale entre les deux géniteurs. Enfin, celle du 23 décembre 1985 autorise l'enfant à accompagner son nom patronymique de celui de l'autre parent. Les nouveaux pères sont nés. "Pendant trente ans, on a eu l'oeil sur le couple et surtout sur la femme. On l'a délivrée des culpabilités qui pesaient sur la mère, mais on a jeté le père avec l'eau du bain", analyse la sociologue Evelyne Sullerot. Les papas ne sont décidément plus "à la mode".
L'évolution scientifique a par ailleurs considérablement modifié la culture du couple, et par là-même, la structure de la famille. Non seulement la femme maîtrise sa fécondité depuis maintenant vingt-deux ans grâce à la contraception autorisée en 1967 et remboursée depuis 1974, mais elle a obtenu le droit de faire un enfant sans père. Une loi bien évidemment guidée par les évolutions de la génétique. Depuis le 25 juillet 1978, Louise Brown, un bébé blond d'un peu moins de 3 kilos, né près de Manchester, a, non seulement donné espoir à bon nombre de familles, mais fait franchir une étape à l'humanité. Elle a surtout donné aux femmes la possibilité biologique de faire un bébé toute seule" ! Louise Brown est le premier bébé éprouvette de l'histoire de la génétique mondiale. En France, Amandine est arrivée au monde le 24 février 1982, Vincent et Camille, les deux premiers jumeaux français issus de deux embryons congelés voient le jour à Clamart le 18 juin 1986. Dans l'album Entre gris clair et gris foncé, Goldman fait un autre clin d'oeil, en dissertant de façon ironique, dans la chanson Fais des bébés, sur le plaisir de faire des enfants : "En éprouvette, inséminé / Qu'importe le flacon pourvu que t'aies l'ivresse, ou l'pied". Si le Pape rejette, le 13 mars 1987, toute idée de procréation artificielle, des scientifiques annoncent, en août, l'isolement des gènes qui contrôlent la différenciation sexuelle. Une étape qui pourrait un jour amener les parents à choisir le sexe de leur enfant... "Elle a choisi le père en scientifique / Pour ses gènes, son signe astrologique".
Alors que les célibataires représentent 50,8% de la population parisienne, Goldman écrit une page mélancolique sur une tranche de vie de solitude. "C'est une chanson tendre puisqu'à la fin, je lui dis que je l'emmène au cinéma, que je suis comme un grand frère, un peu incestueux, quand elle veut. C'est rien de plus qu'un truc qui m'a touché". Des paroles finales couchées sur quelques notes de piano, cassant la journée folle illustrée par le rythme effréné du couple banjo-harmonica. Celui qu'on a présenté comme le chef de file d'une "génération morale" de la fin des années quatre-vingt, ne cesse de remuer les sentiments quotidiens. "Quand les gens choisissent une chanson, ce n'est pas parce que la chanson les a convaincus, mais parce qu'elle dit ce qu'ils pensent, même si c'est de façon informulée". Elle a fait un bébé toute seule touchera la génération du divorce des années quatre-vingt. Un sacré "Polaroïd".
B.P. : Une particularité dans votre nouvel album, c'est la multiplicité des styles musicaux. Cela va du zouc au disco, avec des styles un peu étranges tels la tarantelle. Est-ce-que cela veut dire que vous essayez cette fois-ci de dépasser les styles musicaux typiques du JJG que l'on connaît ?
Jean-Jacques Goldman : Disons que c'est la première fois que c'est revendiqué comme ça. Mais si vous regardez mes anciens albums, il y a les envolées tsiganes de "Comme toi", à côté de "Rouge" avec les Coeurs de l'Armée Rouge, mais également le style country-western de "Elle a fait un bébé toute seule" en passant par le zouc de "A nos actes manqués". On peut considérer que j'ai toujours été un petit peu un traître sur le plan du style, ou plutôt, un touche-à-tout. Disons que dans cet album, c'est revendiqué de façon plus claire.
Haute Tension
JFM, février 2002
Anthony Martin : Et c'est quelque chose qu'on ressent très bien dans les titres de vos chansons. Si je prends "La vie par procuration", "Je te donne", "Peurs" ou même "Elle a fait un bébé toute seule" par exemple, c'est presque des titres d'articles de journaux...
Jean-Jacques Goldman : Oui... (...) Je pense qu'on est un peu des chroniqueurs, et puis des bons diagnostiqueurs de ce qui se passe, on prend un peu l'air du temps.
Quand la musique est bonne
RTL, 5 juillet 2003