Auteur : Jean-Jacques Goldman
Compositeur : Jean-Jacques Goldman
Editée par : Editions J.R.G.
Version originale
Année : 1997
Interprétée par : Jean-Jacques Goldman
Distribuée par : Columbia / Sony Music
Année | Interprète | Support | Référence | Pochette |
2002 | Gregorian | CD Masters of Chant III | Edel Records / Warner Music 5046620742 |
Après les brumes, où commence le ciel
Où les aigles reculent, où manque l'oxygène
Où les grands froids règnent même au soleil
Aux neiges éternelles
Où rien ne pousse, où les âmes s'éteignent
Où plus rien ne frissonne
Plus rien ni personne
Juste quelques hommes
Quelques hommes
Au fond des fonds aux entrailles des mers
Où les sirènes sombrent en leurs sombres repaires
Plus loin que loin, aux extrêmes des extrêmes
Où plus un être n'ose
Des astres éteints au sein des volcans même
Où les laves fusionnent
Ni rien, ni personne
Juste quelques hommes
Quelques hommes
Au plus sauvage, où renoncent les fauves
Dans les grands marécages où les humains pataugent
Au bout du mal, où tous les dieux nous quittent
Et nous abandonnent
Dans ces boues noires où même les diables hésitent
A genoux pardonnent
Juste quelques hommes
Quelques hommes justes
Quelques hommes justes
Artist News : À la fin de cette chanson, "Juste quelques hommes" devient "Quelques hommes justes". Qui sont ces hommes que l'on ne trouve qu' "Après les brumes, où commence le ciel, où les aigles reculent, où manque l'oxygène" ?
Jean-Jacques Goldman : Il y a toujours des hommes pour aller voir au-delà des extrêmes : froid, chaleur, altitude, profondeur, ciel, océans. Et quelques-uns aussi pour racheter nos extrêmes sauvageries. Parfois médecins ou prêtres, mères, résistants. Quelques "justes".
Dominique Souchier : Là j'ai choisi qu'on écoute ce matin peut-être une des chansons de l'album qu'on a pas encore beaucoup entendu : "Juste quelques hommes". Là vous n'avez pas commencé par les mots ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne commence jamais par les mots.
Dominique Souchier : Même là ?
Jean-Jacques Goldman : Même là oui.
Dominique Souchier : Parce que là la version des mots est j'allais dire vitale dans la chanson !
Jean-Jacques Goldman : Absolument. Mais ça ce sont... Bon, peut-être, cette idée-là, je l'ai eue, elle était donc marquée mais après il fallait que je la case et c'est la mélodie qui allait définir de quelle façon ce texte-là allait apparaître.
Dominique Souchier : Cette idée-là... c'est-à-dire qu'au fond, là où il y a juste quelques hommes ce sont forcément des hommes justes, si j'ai bien compris, c'est un peu ça la chanson ?
Jean-Jacques Goldman : Non il y a... partout il y a juste quelques hommes, il existe aussi quelques hommes justes.
Dominique Souchier : C'est pas forcément les mêmes ?
Jean-Jacques Goldman : Non pas forcément.
Dominique Souchier : Je veux dire c'est pas forcément là où l'accès est difficile que se trouve la justice.
Jean-Jacques Goldman : Non, là c'est vraiment lié au dernier paragraphe, les premières strophes parlent des extrêmes physiques qui sont le grand nord, qui sont l'espace, qui sont le coeur des volcans, qui sont les grandes profondeurs ou les plus hauts sommets, on trouve (...) plus d'animal, on trouve plus de végétal et on trouve quelques hommes qui traînent là toujours.
Dominique Souchier : Juste quelques hommes.
Jean-Jacques Goldman : Juste quelques hommes. Et ensuite au fond de... aux extrêmes de l'horreur qui sont malheureusement l'exclusivité des hommes puisque les animaux vont pas jusqu'à ces souffrances ou ces cruautés, on trouve encore quelques hommes mais on trouve aussi quelques hommes justes.
(...)
Dominique Souchier : J'imagine quelque chose qui est peut-être complètement idiot vous allez me le dire, "juste quelques hommes quelques hommes justes", j'ai écouté et je me disais Johnny Hallyday pourrait peut-être le chanter ça ?
Jean-Jacques Goldman : Ben Johnny, il peut à peu près tout chanter parce que c'est un grand interprète, je sais pas s'il serait très convaincant et très crédible sur ce texte.
Dominique Souchier : Ouais, sur les paroles ?
Jean-Jacques Goldman : Oui.
Gilles Médioni : De quelle façon a surgi "Juste quelques hommes", un titre qui martèle : "Au bout du mal, où tous les dieux nous quittent et nous abandonnent (...) / Juste quelques hommes / Quelques hommes justes" ?
Jean-Jacques Goldman : Sans doute une image qui m'a marqué, peut-être un reportage sur le Grand Nord à la télé. A l'extrême de l'extrême dans le Grand Nord, les grands fonds, les forêts les plus touffues, même dans l'espace, on trouve toujours des hommes. Et jusqu'"au bout du mal". Oui, même au bout de l'horreur, il y a toujours un prêtre, une mère, un médecin, une mère Teresa pour essuyer un corps.
Goldman, un homme juste
L'Express, 25 septembre 1997
Mary-Claude Taillens : Dans "Juste quelques hommes", vous terminez en insistant sur "quelques hommes justes". Vous en connaissez ?
Jean-Jacques Goldman : Il y en a à tous les coins de rue. Malheureusement, dans les journaux et à la télévision, on parle plus souvent d'un pédophile qui s'évade que d'un juste. Je rencontre chaque jour des hommes qui accomplissent les tâches qu'ils se sont données, ceux-là sont des hommes de bien. Ils traversent leur temps, avec enthousiasme et droiture. Au cours du spectacle, j'évoque un instituteur que personne ne connaît et qui est un homme juste.
Goldman, juste quelqu'un de bien
Le Matin (Suisse), mardi 5 mai 1998
"Où plus rien ne frissonne / Plus rien ni personne / Juste quelques hommes".
Jean-Jacques Goldman : C'est une chanson sur le fait que les hommes peuvent être excessifs dans le bien comme dans le mal. Des hommes vont là où on ne peut pas aller. Certains passent leur vie - la référence c'est mère Teresa - à aider, à essuyer des malades. Le courage physique ne me paraît pas si extraordinaire. Un gars qui monte à huit mille mètres en quatre jours c'est très bien, c'est beaucoup pour lui mais ça n'a rien à voir avec les médecins qui vont chez les lépreux. Il en faut, mais moi je n'irais pas.
Hervé Beaudis : Comment est née "Juste quelques hommes" ?
Jean-Jacques Goldman : Ben… Peut-être en faisant de la plongée, par exemple. T'as toujours des gens qui discutent, des profs de plongée qui racontent qu'ils sont allés à 100 m, 200 m… Puis après, tu vois un reportage sur l'Annapurna, tu te rends compte qu'il n'y a plus rien, plus un arbre, plus un animal, il y a des hommes qui se baladent, sans oxygène. En réfléchissant à ça, tu te dis, finalement, les hommes sont dans toutes les extrêmes possibles, au centre des volcans, dans l'espace… Où on peut aller, il y a des hommes. Et ils sont aussi, malheureusement, dans les extrêmes, et de la sainteté, et de l'horreur.
Paul Ferrette : Penses-tu que dans un groupe d'hommes, il y en a toujours au moins un de bon et de juste, ou qu'il y a toujours un côté juste et bon dans chaque homme ?
Jean-Jacques Goldman : Ni l'un, ni l'autre ! Je crois, au contraire, que dans un groupe d'hommes, il y a toujours un mauvais. Et l'histoire de l'humanité nous montre que l'on a plus manqué de saints que de tortionnaires. Au départ, je suis parti de ces "extrémistes", ces hommes, toujours présents, dans les lieux extrêmes où les autres espèces, végétales, animales, ont renoncé. Ensuite, en écrivant la chanson, tu te dis que ce sont les hommes aussi qui vont le plus loin dans l'horreur, la cruauté mais aussi dans la sainteté. En fait, c'est une chanson sur nos excès, en bien ou en mal.
Paul Ferrette : Et sur le plan musical, ne semble-t-elle pas un peu "décalée" par rapport aux autres chansons de l'album ?
Jean-Jacques Goldman : Peut-être. Elle est plus "orchestrée", plus "électrique". Plus "planante" aussi. Eric (Benzi) et les guitares de Patrice Tison sont déterminants pour ces ambiances.
Livre de partitions de "En passant"
Hit Diffusion, juin 1998
Paul Ferrette : Tout de suite, cette chanson nous transporte dans d'immenses espaces. On vole, on plane, avec l'agréable sensation d'être dans un espace visité par Goldman.
Erick Benzi : Vu le sujet, on a voulu opposer la petitesse de l'homme à la grandeur des éléments qui nous entourent. Donc, des climats de synthétiseurs, des nappes, des infrabasses où la voix semble se perdre. Egalement, des nappes de guitares en écho. Des guitares déchirantes. Et aussi une petite percussion mécanique avec cette fameuse batterie électronique TR 808 (une référence chez Goldman). Des bruitages dans l'espace. C'est vrai, c'est très "Pinkfloydien", très planant.
Paul Ferrette : On le ressent parfaitement.
Erick Benzi : Alors c'est bon : pari gagné !
Paul Ferrette : Raconte-nous : comment naissent les sons, comment les rnémorises-tu, les travailles-tu ?
Erick Benzi : J'ai le problème de tous ceux qui travaillent beaucoup. Ils finissent par s'enfermer dans des systèmes pas toujours faciles à casser. En tout cas, cela dépend des artistes. J'ai toute une bibliothèque de sons. Des kits de sons que j'utilise comme base de travail. A partir de là, je vais chercher dans mes expanders, d'autres sons avec lesquels les marier. Je peux passer le temps que je veux, à rechercher sans aucune restriction de temps et de budget.
Paul Ferrette : Si je comprends bien, ces machines fabuleuses peuvent apporter beaucoup mais elles exigent au préalable beaucoup de toi.
Erick Benzi : Oui. Beaucoup de temps. Le son est quelque chose de capricieux et ces mélanges subtils réclament matériel, temps et patience. J'adore cette cuisine. Je la fais chez moi ainsi, en arrivant au studio, je n'ai pas de surprise.
Paul Ferrette : Ne me dis pas qu'avec tes samplers, tu imites même les guitares !
Erick Benzi : Si. J'ai fait des guitares synthés. Je les garde car Jean-Jacques aime ça. Tous les plans U2 par exemple, je les fais très bien au clavier. Je dis simplement, que, noyés dans des masses, ce sont des sons qui passent très bien. Mais il ne peut être question de remplacer un bon guitariste (ouf !).
Livre de partitions de "En passant"
Hit Diffusion, juin 1998
Raphaël Toledano : Ça revient souvent ce thème de la Shoah dans vos chansons, même en filigrane. Il y a eu aussi "Juste quelques hommes" qui évoque ces Justes.
Jean-Jacques Goldman : Qui parle des excès possibles de la nature humaine et donc, de nous.
Rencontre avec Jean-Jacques Goldman
L'Arche n° 535, septembre 2002