Auteur : Jean-Jacques Goldman
Compositeur : Jean-Jacques Goldman
Editée par : Editions J.R.G.
Version originale
Année : 1997
Interprétée par : Jean-Jacques Goldman
Distribuée par : Columbia / Sony Music
Je courais sur la plage abritée des alizés
Une course avec les vagues, juste un vieux compte à régler
Pieds nus comme couraient mes ancêtres
Oh ! j'ai bien vu derrière ses lunettes
Un type avec un chronomètre
Je suis rentré au soir quand les vagues ont renoncé
Il était déjà tard mais les parents m'attendaient
Il y avait l'homme bizarre à la table, ma mère, une larme, un murmure
Des dollars et leur signature
J'ai pris le grand avion blanc du lundi
Qu'on regardait se perdre à l'infini
J'suis arrivé dans le froid des villes
Chez les touristes et les automobiles
Loin de mon ancienne vie
On m'a touché, mesuré comme on fait d'un cheval
J'ai couru sur un tapis, pissé dans un bocal
Soufflé dans un masque de toutes mes forces, accéléré plein d'électrodes
Pour aller jusqu'où j'avais trop mal
On m'a mis un numéro sur le dos
Y'avait des gens qui criaient, des drapeaux
On courait toujours en rond, des clous aux deux pieds pour écorcher la terre
Je la caressais naguère
J'ai appris à perdre, à gagner sur les autres et le temps
A coup de révolver, de courses en entraînements
Les caresses étranges de la foule, les podiums
Et les coups de coude
Les passions, le monde et l'argent
Moi je courais sur ma plage abritée des alizés
Une course avec les vagues, juste un vieux compte à régler
Puis le hasard a croisé ma vie
J'suis étranger partout aujourd'hui,
Etait-ce un mal, un bien ?
C'est ainsi
"J'ai appris à perdre, à gagner sur les autres et le temps / A coups de revolver, de courses en entraînement / Les caresses étranges de la foule, les podiums et les coups de coude, / Les passions, le monde et l'argent. / Moi, je courais sur ma plage abritée des alizés / Une course avec les vagues, juste un vieux compte à régler."
Artist News : "Le Coureur" ou comment la civilisation peut-elle pervertir une beauté simple et naturelle ? Y-a-t-il des civilisations dans l'Histoire auxquelles tu reconnais plus de qualité ou de valeur que la nôtre?
Jean-Jacques Goldman : J'ai essayé de ne pas juger. Je constate juste cette situation étrange, ce décalage que chacun peut remarquer lors de compétitions. Mais je ne sais pas si cet homme a eu de la chance ou pas. "C'est ainsi" (extrait de cette même chanson, NDLR). Il a connu beaucoup de choses nouvelles, et a dû renoncer à d'autres. C'est le décalage visible, violent qui m'a intéressé.
Artist News : Nous trouvons que cette chanson croise parfois "La corrida" de Francis Cabrel. Parenté des thèmes, de structure, deux textes très forts. Ces deux chansons sont-elles cousines?
Jean-Jacques Goldman : Peut-être est-ce l'emploi du "je" pour deux victimes, subissant une situation qui donne cette impression. Plus généralement, si nous avons un "oncle" commun qui est Bob Dylan, ce n'est pas très net dans la Corrida.
Jean-Paul Germonville : Et cette autre chanson, l'histoire du "Coureur" ?
Jean-Jacques Goldman : Vous regardez les Championnats du Monde d'Athenes, par exemple, et tout d'un coup vous voyez le sourire de Gebre Sellassie à la fin. Et vous vous rendez compte qu'il s'agit du sourire d'un type d'un autre monde, quelqu'un de transposé violemment dans un univers de contrats, de caméras, de milliards de téléspectateurs. Il s'agit d'un villageois éthiopien qui courait, on peut l'imaginer, parce qu'il y a avait 20 km entre sa demeure et l'école à faire chaque jour. J'ai trouvé touchant ce paradoxe, sans porter un jugement de valeur d'ailleurs.
Jean-Paul Germonville : Comment ne pas penser à des sociétés comme la nôtre ou, après avoir décelé un talent, on fabrique de véritables machines à courir pour ne citer qu'elles.
Jean-Jacques Goldman : Comme on a fait de vous une machine à poser des questions et de moi, une machine à faire des chansons. La société nous modèle. Est-ce un bien, un mal ? Je n'en sais rien. Avec le temps je ne trouve pas ça négatif. Si le type retourne au pays, il est content d'avoir vécu tout ça. Il a vu d'autres pays, rencontré d'autres gens ! Surtout quand on sait que dans ce sport ils ne sont pas dopés. Ce n'est pas un hasard s'ils viennent tous du Kénya, d'Ethiopie, ils apportent une touche de fraîcheur à ce milieu.
Quelques mots "en passant"
L'Est Républicain, septembre 1997
Gaël : Qu'est-ce qui vous a inspire la chanson "Le coureur"?
Jean-Jacques Goldman : Les championnats d'Europe d'athlétisme avec ces montagnards kenyans qui couraient parce que, dans leur pays, pour aller à l'école, il y avait 20 km à parcourir. Tout a coup, on les emmène en Europe. Je ne sais pas ce qu'ils comprennent à ça. On regarde leur visage, leur sourire, leur spontanéité et on se rend compte qu'ils ne sont pas de notre monde. Et trois millions de gens les regardent. Il y a des cameras hyper sophistiquées qui se penchent vers eux. Ils doivent parler dans les microphones. Parfois, leurs gestes sont décalés. Je les trouve remarquables et très touchants. Ils deviennent des champions et des marchandises puisqu'ils font de la publicité pour Nike. C'était très intéressant d'en faire une chanson.
Jean-Jacques Goldman, flâneur sur la Terre
Gaël, 24 septembre 1997
Christophe Nicolas : On va parler un petit peu de sport. Enfin, on va parler. On va plutôt vous écouter le chanter avec une chanson nouvelle sur "En passant" qui s'appelle "Le coureur", qui parle un petit peu, je sais pas si nos auditeurs ont eu l'occasion de la découvrir lors de la journée spéciale Goldman ou, en tous cas, pas mal l'ont déjà entendu en achetant l'album, ou on va, sinon, leur faire découvrir. Elle évoque les rapports, un peu, du sport et de l'argent. Là, je résume un petit peu... Si ! La dérive d'un sportif qu'on prend, on pourrait dire, tout nature, tout jeune, tout novice, et qui se laisse, finalement, un petit peu "salir", entre guillemets, par les dollars. Parce que c'est ça l'histoire ?
Jean-Jacques Goldman : Ouais. Enfin, c'est pas... le jugement est pas si net que ça parce que...
Christophe Nicolas : Non. C'est mieux dit dans votre chanson, c'est sûr.
Jean-Jacques Goldman : [rires]. Non, je veux dire que il n'a pas tout perdu, lui. Il n'a pas d'autre chose. Evidemment, il y a l'argent qui se mêle à ça mais il y a aussi... il a aussi voyagé, il a rencontré plein d'autres gens qu'il n'aurait pas rencontré dans son village. Simplement, ce qui m'a intéressé c'est, lorsqu'on regarde ces reportages à la télé, c'est de voir ces gars-là qui, visiblement, ont un espèce de sourire naturel, une attitude extrêmement spontanée, parce que, quinze jours avant ou un mois avant ils étaient encore dans leur village en Ethiopie ou au Kenya et tout à coup ils se retrouvent dans l'enfer médiatique le plus sophistiqué, avec des caméras sur eux, un podium, 3 milliards de personnes qui les regardent, des contrats, des chaussures aux pieds et tout ça.
Christophe Nicolas : Ouais. Et ça vous choque ça, ou... ?
Jean-Jacques Goldman : Non ! Ça ne me choque pas, ça me choque... disons ça m'impressionne de voir cet espèce de décalage. Comme si on voyait un poisson, tout à coup,... président de la république, quoi. C'est ce décalage là. Et là, on voit tout à coup ces hommes extrêmement natures, avec une culture extrêmement précise, tout à coup brutalement transbahutés dans cet enfer de flashs et de technologie. Je trouve ça... J'imagine ce que eux peuvent ressentir, quoi. La violence des émotions qu'ils peuvent ressentir. Voilà, c'est tout. Mais, à la fin, je dis : "Est-ce que c'est bien ? Est-ce que c'est mal ? J'en sais rien." Ils vont revenir à leur village, ils seront, évidemment différents des autres, ils auront vécu d'autres choses. Peut-être même qu'ils seront enviés. Et, aussi, ils auront perdu beaucoup de choses.
Week-end Jean-Jacques Goldman
Nostalgie, 26-27 septembre 1997
"On m'a mis un numéro sur le dos / Y avait des gens qui criaient, des drapeaux / On courait toujours en rond des clous aux deux pieds pour écorcher la terre / Je la caressais naguère".
Jean-Jacques Goldman : A la télévision je vois le sourire de Gebre Selassié victorieux. On le montre aussi, quinze jours auparavant, dans son village en Ethiopie où il n'y a peut-être pas l'électricité partout, peut-être pas le téléphone. Il s'est mis a courir parce qu'il fallait faire 20 km pour aller à l'école. Et tout à coup, il est devant des millions de téléspectateurs, des caméras ultramodernes, des gars avec les micros. Cette opposition entre sa culture et ce milieu complètement différent tellement artificiel me choque, me surprend, me frappe. Je me dis qu'il pense peut-être à un ami qui n'a jamais pris l'avion, qui garde des chèvres, l'essentiel de son monde mais je ne prends pas du tout parti. Je me dis qu'il a eu de la chance. Quand il revient, il a un téléphone portable, un pantalon que les gens n'ont jamais vu. Il ne fait plus partie de son village mais, d'un autre côté il a vécu des choses que les gens de son village ne vivront jamais.
Hervé Beaudis : Qu'est-ce qui t'a le plus interpellé chez ces athlètes qui sont complètement déracinés ?
Jean-Jacques Goldman : C'est leur sourire, à quel point ils sont mal à l'aise, leur façon extrêmement concentrée et importante de répondre aux questions, des tas de choses auxquelles on n'est pas habitué, tout simplement parce qu'ils ne viennent pas du même monde. Il y a encore un an ou six mois, ils étaient dans un village d'Afrique, avec des coutumes différentes, des habitudes différentes, un rapport au mal et à leur corps différent, une altitude différente, et tout à coup, ils se retrouvent avec trois milliards de personnes qui les regardent, des caméras hypersophistiquées, des micros, des gens qui leur posent des questions, et ce décalage là, je le trouve assez touchant.
Paul Ferrette : Je sais que tu aimes le sport. Est-ce un hasard d'avoir choisi un coureur ?
Jean-Jacques Goldman : Oui et non. Il se trouve que j'aime regarder les championnats à la télévision et notamment l'athlétisme où l'on voit des hommes qui, auparavant couraient seuls, pour leurs déplacements, dans des montagnes ou des hauts plateaux d'Afrique et qui, soudain, se trouvent plongés dans un univers aux antipodes, hyper médiatisés, sponsorisés, sous le regard du monde entier. C'est ce décalage violent et les images fortes qui en écoulent qui m'émeuvent. Ces hommes vont vivre tant de choses nouvelles : ils rentreront chez eux couverts d'honneurs, d'argent, avec un statut nouveau qui en fera des trangers dans leur propre pays. Mais je ne porte pas de jugement. Après tout ce destin vaut peut-être bien celui qui les aurait laissés dans leur vie simple, rude, d'hommes qui n'auraient jamais rien vu du monde.
Livre de partitions de "En passant"
Hit Diffusion, juin 1998
Paul Ferrette : Dès la première écoute, j'ai été frappé par cette sensation parfaitement rendue de foulée du coureur.
Erick Benzi : Ici, c'est le cas type d'illustration du texte que doit faire l'arrangeur. Tout de suite, puisqu'on parle de coureur, j'ai tout de suite cherché un mouvement extrêmement hypnotique comme le mouvement régulier de la foulée du coureur. A travers toute la construction, il y a ce côté mécanique de la course à pied, avec la respiration, comme quelqu'un dont le souffle s'amplifie. Les percussions, pour le côté primitif tribal. J'ai beaucoup travaillé sur cette sensation our bien illustrer le texte.
Paul Ferrette : Avez-vous été, Jean-Jacques et toi, très rapidement d'accord sur cette pulsasion ?
Erick Benzi : La maquette étant un peu floue, nous avons discuté pour savoir si l'on restait sur une chanson voix / guitare, si l'on mettait ou non en avant cette couleur africaine. C'est une chanson où la maquette comportait déjà les paroles définitives. Cela m'a beaucoup aidé à baigner dans le bon climat, à comprendre l'esprit général du texte. J'étais donc parfaitement en harmonie avec l'idée de Jean- Jacques. Arrive ensuite, avec l'entrée d'une basse énorme et d'une guitare slide, une ambiance plus urbaine. Des guitares très attaquées et puis vers la fin, un retour à des choses plus calmes.
Paul Ferrette : Vous travaillez en équipe et cela semble vous réussir parfaitement. Parle-moi, si tu le veux, de cet esprit d'équipe.
Erick Benzi : Tout le monde parle, tout le monde exprime ses idées. Après ce travail d'équipe, il y a un "boss", c'est normal, celui qui décide. Mais chacun a le sentiment d'avoir apporté sa touche à la construction de l'album. Jean-Jacques a la qualité première de tout artiste : savoir ce qu'il ne veut pas. Enthousiasme, argumentation, réflexion et décision sont les 4 phases qui caractérisent notre travail en commun rapide et réalisé dans un "bon esprit".
Livre de partitions de "En passant"
Hit Diffusion, juin 1998